Shanda Tonme "Nous restons redevables à notre diaspora avec des promesses non tenues"
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Comment experts et professionnels de la diplomatie jugent-ils les déclarations du président français Emmanuel Macron à Paris sur son homologue camerounais Paul Biya ?

Un des meilleurs spécialistes de la question, à la fois académique et professionnel, nous apporte son éclairage. C’est encore SHANDA TONME

Monsieur Shanda Tonme. Tout diplomate que vous êtes, auteur de nombreux ouvrages sur les relations internationales, entre autres : Pensée unique et Diplomatie de guerre ; Reformer la gouvernance mondiale; Mémoire d’un diplomate Africain ; l’impossible paix mondiale ; Espoirs et désespoirs des nations ; Conflits d’éthiques et crises des relations internationales ; Repenser la diplomatie ; Jeux et enjeux des Etats dans l’ordonnancement géostratégique planétaire…….. pour ne citer que ceux-là. On aimerait bien connaître comment vous analysez les propos du président tenus par Emmanuel Macron à l’endroit du président Camerounais.

Je vous remercie et vous félicite surtout de vous référer à bonne source. Ecoutez, s’il fallait le dire en un seul mot, j’aurais l’embarras entre la faute et l’erreur. J’entends ici laisser clairement mon sentiment national, mes soucis de patriotes et mes approches personnelles de côté, pour vous parler en ce que je suis, dans la peau et avec les yeux du professionnel de terrain et de l’expert de la théorie à la fois.

Pourquoi parlez-vous de faute, et en quoi consisterait l’erreur ?

Voyons, Ce qu’à fait le président français, est une sorte de méconduite très inappropriée dans l’ordonnancement de la pratique diplomatique. Nous ne sommes ni dans un forum ni autour d’une table. Nous sommes dans une foire, une kermesse, une manifestation publique et populaire nationale française où l’on ne suspecte pas qu’une préoccupation de politique internationale, voire un sujet de relation bilatérale, puisse émerger des échanges. Nous avons en face, un président français, venu parler à ses compatriotes d’un secteur, l’agriculture. D’où sort donc cette lancée, cette sorte de bousculade du protocole de céans, ce dérapage avec un parfait inconnu subitement projeté dans un débat plus que hors sujet ? C’est tout de même étrange de se rendre compte après, que c’est le président de la France qui se met ainsi en mouvement en répondant curieusement à quelqu’un qui n’a rien à faire là, et sur des sujets loin de l’ordre du jour. Soit il est perdu, soit il est momentanément déséquilibré et hébété, soit il a oublié un instant qu’il est un chef d’Etat.

Pour vous donc, c’est grave ?

Ce n’est pas moi qui le dis ou formule la réponse, elle s’impose d’un point tout à fait objectif. Nous sommes en plein dans la rupture des usages, et la violation des éléments systémiques et conventionnels de langage. Vous savez, son prédécesseur avait commis un livre fort à propos : « un président ne dit pas ça ». Je crois qu’il faut ajouter, « un président ne fait pas ça ». Certains voudront par pure extrapolation fantaisiste, invoquer un espace d’expression plus ouvert, plus démocratique, et un président plus à l’aise et disponible à échanger partout et avec n’importe qui. Ecoutez, il ne faudrait pas tout mélanger. La diplomatie est un art de traitement des intérêts divergents, contradictoires, opposés et disposés à des concessions à la fois. Un chef d’Etat ne l’ignore pas, fusse-t-il celui d’une grande puissance. On ne s’attend pas à une dérive ni à des diatribes de cette nature, de la part d’un chef d’Etat, s’exprimant sur la situation d’un autre pays, et mettant en jeu l’honneur, la personnalité et des relations avec un autre chef d’Etat. On parle d’ailleurs de dignitaires internationaux, pour mieux marquer la communauté de destin et la spécificité de privilège qui les caractérise collectivement. Tout écart ou tentative d’infantilisation voire de réduction, est une atteinte à un protocole quasiment sacré. C’est malheureusement ce que Macron a fait.

 Mais beaucoup de personnes estiment qu’il a parlé un langage vrai à un ami ?

Attendez, qu’appelez-vous langage vrai dans ce cas ? Vous imaginez un seul instant tout le tralala des pourparlers et des tractations de toute nature entre dignitaires mondiaux entrain d’être balancé dans la rue, parce que n’importe quel monsieur tout le monde a posé une question ? Et puis, la plus haute des indignations intervient quand un dignitaire révèle ou prétend, qu’il aurait instruit et qu’il va encore instruire un autre dignitaire sur la marche de son pays, sur la gestion de ses nationaux, sur l’orchestration du destin du pays. IL y a dans cette présentation une brutalité et une insulte qui conduit à s’interroger sur la maturité et l’expérience de son auteur.

Mais revenons sur la substance de l’affaire. Marcon a-t-il raison ou non ?

Là n’est pas le sujet. Le Cameroun a des problèmes comme la France, les Etats unis, la Chine, la Russie, l’Ethiopie et l’Australie ou l’Arabie saoudite en a. Nous évoquons le ton, la légèreté, la condescendance, le non-respect, la fracture dans les usages et la banalisation du statut d’un autre chef d’Etat. Cela ne se fait pas, et cela demeure inconcevable. Les dignitaires quels que soient leurs atouts, leurs caractéristiques en termes d’instruments de puissance et de moyens d’influence, se doivent une égale considération et un respect mutuel conséquent. Chaque jour, ce sont des milliards de coups de fil et des millions d’heures d’échanges qui marquent les rapports entre les dignitaires internationaux. Cela s’appelle la diplomatie directe, la diplomatie exécutive qui donne lieu à des conventions, des arrangements, des ententes, des conclusions. C’est par cette voie et surtout par cette voie, que se mettent en place les repères qui formulent les solutions aux crises et tracent les axes des partenariats positifs ou négatifs. Bien évidemment, tout cela respect des canons dont le secret est le trait central. Alors, entendre un chef d’Etat ne fendre en triomphe ou en menace par rapport à un autre, c’est comme un chauffeur qui fait une sortie de route et tombe dans le ravin. Macron a fait là, une vraie sortie de route pour tomber dans le ravin.

Comment voyez-vous les conséquences ?

Ecoutez, d’abord, quand on dirige un pays, on a le souci des siens, de ses sujets et plus globalement de ses intérêts nationaux. Et lorsque l’on évoque les intérêts nationaux, on envisage la fonction à la fois directement opérationnelle et la fonction prospective. C’est aujourd’hui et demain, après demain aussi. Ce sont les adultes, les enfants, les petits enfants. Ce sont les entreprises, les industries, les services, les projets, les investissements. Un acte, une déclaration malheureuse influence directement l’état de tous ces paramètres et atouts, ces substrats et ces contrats. Vous mettez en péril leur existence, leur santé, leur standing. Les manifestations que l’on voit devant les chancelleries, expriment bien ce que je dis, et traduisent dans les faits, la retombée populaire de la démarche des dignitaires.

 Mais que dirait-on alors des nombreux dérapages de Trump ?

Attendez, laissez les comparaisons qui ne sont pas raison. Nous sommes dans des relations qui portent un contexte historique, économique et sentimental bien trop particulier. Un président français ne peut pas évoquer les problèmes du Cameroun comme un président Américain en parlerait. La France, en ces différents dirigeants, par son histoire, ses stratégies et ses manœuvres, assume une responsabilité terrible et réelle dans les problèmes, les malheurs du Cameroun. J’entends certains en parler avec légèreté, mais qu’en disent-ils, s’agissant des faits et des actes délictueux et déplorables de la France au Cameroun ? A-t-on déjà ouvert et soldé le dossier du génocide en pays Bamiléké et en pays Bassa ? A-t-on ouvert et soldé le dossier des crimes de la guerre d’indépendance ? Non, ce n’est pas du Cameroun et de ses problèmes que la France peut traiter dans la rue, dans une foire bruyante, en médisant sur le chef de l’Etat en fonction. Je dis bien en fonction car c’est celui que l’ONU et les partenaires diplomatiques connaissent et reconnaissent. Cessons de rêver et de rire bêtement.

 Voulez-vous ici reprochez les compatriotes qui se disent satisfaits des déclarations du président Français ?

Je le dis et je le répète. Vouloir insulter ou médire Paul Biya par tous les moyens, par toutes les voies et à tout prix est une autre faute, une faute bien trop grave. Laissons donc nos cœurs passionnés et nos émotions brutales sous la table et revenons au réalisme. Traiter Biya comme un petit dictateur arrivé au pouvoir par le sang, les armes, la guerre et la tricherie, n’est ni juste ni honnête ni acceptable. Je crois que même le président français ne comprend finalement rien aux articulations de la politique et de l’histoire du Cameroun. Je ne parle même pas de la sociologie politique propre au jeu et enjeux du contexte de notre pays. Cela a été la grande erreur de certains opposants jusqu’ici, et je constate avec regrets que certains persistent dans cette voie. Le pays serait à feu et à sang et totalement détruit depuis, si nous étions réellement et effectivement dans une dictature classique selon la terminologie consacrée par les enseignements et les théories science politiciennes.

Pouvons-nous jurer que nous sommes vraiment sérieux ?

Ecoutez, il ne faut pas faire pousser des boutons sur la face des gens, des dirigeants et des citoyens, pour le montrer. Nous sommes tous frappés, dérangés et bouleversés par la situation qui prévaut dans plusieurs régions de notre pays, par ces morts, ces destructions des infrastructures, des écoles et des collèges, des hôpitaux et des centres de santé détruits ou incendiés, des enfants pris entre des feux croisés, des prises d’otage par-ci et par-là. Le président français ne peut pas être plus touché ou plus préoccupé que nous. Nous le vivons sur place, comme lui il vit ses crises sociales et nous cherchons des solutions comme lui il en cherche. Croire que c’est lui qui va faire bouger les lignes c’est se tromper lourdement, et croire que nos dirigeants à commencer par le chef de l’Etat dort tranquillement sur ses deux oreilles, c’est mentir. Nous ne refusons pas que la situation est grave et nous ne supportons aucune exaction, bavure ou dérapage.

Votre jugement est manifestement sévère ?

Mais oui, si vous le voulez, et sans qu’il soit besoin de trop de démonstrations. Rien n’obligeait le président français à se livrer à ce spectacle, et rien, vraiment rien, ne le mettait en demeure d’user de tels langages, de telles extases, de tels manifestes.

Vous parlez là de la relation que l’on dit privilégiée entre la France et le Cameroun ?

Hélas, c’est vrai, mille fois vrai. Nous n’allons pas refaire un passé séditieux, ruineux, regrettable, détestable et défavorable. Il faut être pragmatique et avancer en intégrant les aspects positifs et négatifs de notre histoire. Chercher à tout remettre en cause, à tout dénoncer et à pleurer tout le temps nous bloque et apparaît par moment, comme une fuite en avant. Nous avons été faits exclaves en tant que Noirs et il n’y a plus rien à faire à ce sujet. La France nous a colonisés et il faut en tirer toutes les conséquences, de même que toutes les implications pour avancer. Si nous sommes assez forts, allons donc coloniser les européens à notre tour, remplacer Bolloré par un autre, et pourquoi pas aller prendre le contrôle de l’économie française ?

Comment juger certains compatriotes qui célèbrent l’événement ?

C’est la bêtise, la pure bêtise, la perdition et l’oubli de soi. A trop haïr Paul Biya ou à trop prêcher le radicalisme, la guerre, la haine et la jalousie, nous naviguons dans des eaux malsaines. On a insulté et voulu diminuer un Chef d’Etat dont nous sommes citoyens, et nous ne devons pas cautionner cette forfanterie. Le débat politique au Cameroun ou la réflexion sur le destin de notre pays, n’a pas besoin de jugements extérieurs péremptoires.

Trouvez-vous normal que l’on indexe à chaque fois la diaspora en des termes frisant la haine en retour, et surtout une certaine communauté ?

Vous touchez là à un point qui me brûle le cœur. Soyons réalistes. Les Bamilékés constituent entre 70 et 80% de notre diaspora. Comment ne pas les incriminer ou comment ne pas les voir partout ? Je peux comprendre, mais ne je tolère pas que l’on en fasse une fixation négative, que l’on cherche à ne trouver que eux partout et sur tous les coups. Nous restons redevables à notre diaspora, des promesses non tenues, par exemple sur la question de la double nationalité. Le Chef de l’Etat a pris des engagements qui attendent d’être transformés en réalités vécues et palpables. Il faut sortir du piège et du débat sur la double nationalité, pour mieux valoriser et mieux impliquer notre diaspora dans notre processus multiforme de développement, de coexistence et d’appréhension des défis plantaires. Je suis convaincu que ce sera une des toutes premières lois votées par la nouvelle assemblée.

Que reste-t-il de vos convictions révolutionnaires ?

Etre révolutionnaire aujourd’hui c’est être pragmatique, réaliste et alerte. Comme vous le savez, j’ai créé un parti, le Mouvement populaire pour le dialogue et la réconciliation (MPDR – PMDR) qui veut faire la différence, aller dans l’essentiel, faire avec tout le monde, intégrer ce qui nous rassemble et ce qui nous divise, mais dans une transversalité qui tienne absolument compte de l’état des lieux, des influences et des acteurs dans leurs spécificités. Nous allons avancer avec sagesse et respect de ce qui existe. Nous militons pour un dialogue franc et sincère, pour des avancées plus importantes en ce qui concerne la forme de l’Etat, pour des corrections voire des innovations lourdes sur notre système de gouvernance.

Croyez-vous que nous sommes sur la bonne voie ?

Je suis convaincu que nous y arriverons, avec patience et résolution. Aller crier au secours dehors, c’est courir dans un sac. Le destin du Cameroun se joue au Cameroun. Emmanuel Macron demeure le président de la France et Paul Biya demeure le président du Cameroun. Chaque charbonnier reste maître chez lui, sur son terrain./.

C’est donc clair, Emmanuel Macron a commis une faute diplomatique ?

Une faite grave. Il ne nous aide pas avec de telles sorties, il verse au contraire de l’huile sur le feu. Et à voir les réactions de certains, je ne me trompe pas.

 Merci pour cet éclairage.

NB: Le titre est de la rédaction de camer.be

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