Révélations dans le scandale des indemnisations à Kribi
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Un ingénieur agronome a expliqué devant le Tribunal criminel spécial comment il a surévalué certains biens indemnisés pour la construction du port de Kribi.

Achaque audience, son lot de révélations dans le procès du scandale des indemnisations du complexe industrialo-portuaire de Kribi devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Les 26 février et 5 mars 2019, l’équipe de juges qui examine le dossier a poursuivi avec l’audition de la soixantaine de mis en cause.

1.Délégué ignorant de la fraude…

Martin Aimé Ngoun, détenu à la prison centrale de Kondengui, a expliqué qu’au moment des faits il était le délégué départemental du Minader de l’Océan. En 2010, deux activités majeures se sont présentées au même moment, le comice agropastoral d’Ebolowa et le concours de la meilleure plantation d’une part, le recensement et l’évaluation des cultures touchées par les travaux de construction du port de Kribi d’autre part. Pris par la préparation du Comice agropastoral, il a créé une sous-commission constituée de ses proches collaborateurs notamment André Ndjoumbe, Lysette Ndzana Ekanga, Jules Obam Ella et Magloire Mbili, désigné président, pour procéder au constat et à l’évaluation des cultures du site de construction du port. Évoquant le choix porté sur Magloire Mbili comme son représentant, M. Ngoun justifie que le concerné était «plus chevronné » et, surtout, chef section des enquêtes et statistiques à la délégation.

De fait, M. Ngoun déclare qu’il a préalablement conçu la fiche de collecte de données sur le terrain servant à inventorier les biens en cause. Au terme du constat, la date du recensement devait être mentionnée sur la fiche de collecte obligatoirement contresignée par l’enquêteur, le chef du village et le propriétaire des biens recensés, et éventuellement par les riverains. Raison. N’étant pas présent sur le terrain, cela visait à «responsabiliser» ses collaborateurs. Dès lors, chaque «enquêteur» était comptable de la fiabilité des informations collectées. L’équipe a ramené 327 fiches remplies pour 324 bénéficiaires. Me Pierre Wikam, l’avocat stagiaire de M. Ngoun, a rappelé à son client qu’on lui reproche le fait d’être complice des faits décriés pour avoir signé le procès-verbal transmettant le rapport des données recueillies par ses collaborateurs à la commission départementale de constat et d’évaluation. «S’il n’y avait pas eu de contrexpertise on aurait jamais su qu’il y a eu sur/sous-évaluation des cultures. Je n’ai rien bénéficié de ces malversations, ni mis au courant de cette fraude», répond l’ex délégué prenant son coaccusé Magloire Mbili à témoin. L’accusation s’est montrée sensible à la version des faits de l’ex délégué en disant avoir eu toutes les réponses aux questions qu’elle voulait poser.

2. 10 millions pour préparer sa retraite

Qui peut cracher sur la somme de 10 millions de francs, surtout à quelque mois de sa mise à la retraite ? C’est la ligne de défense bâtie par Magloire Mbili pour se tirer du scandale des indemnisations du port de Kribi. Il a reconnu pendant sa déposition avoir surévalué certains biens alors qu’il conduisait l’équipe chargée de recenser les cultures des personnes victimes de la construction du complexe portuaire de Kribi. Le site portuaire touche dix-neuf villages. Il indique que sur le terrain, son équipe et lui se contentaient d’enregistrer les données du recensement dans des bloc-notes. Une fois rentrée, chaque «enquêteur» «noircissait les fiches de collecte de données qu’ils avaient préalablement fait signer à blanc par les chefs de village et les propriétaires des plantations». Il dit ignorer si ses collègues reportaient fidèlement les données sur les fiches de collecte. Il avoue, sans ambages, avoir seulement surévalué les cultures de la plantation de son ami et coaccusé Innocent Madola au village Bouchibiliga. Au lieu de 5,5 millions de francs correspondant à la réalité, il s’est entendu avec M. Madola pour que son indemnisation soit réévaluée à 20,9 millions de francs. Selon les clauses du «deal», M. Madola devait lui reverser 10 millions de francs de l’enveloppe au moment du paiement des indemnisations.

M. Mbili justifie la fraude allégué par le fait qu’il était à quelques mois de sa retraite. Il n’a pas résisté aux sirènes de la fraude, d’autant plus qu’il n’avait jamais touché un montant pareil de sa carrière. Après quelques tensions portant sur le respect du «deal» par M. Madola, ce dernier a fini par lui faire un virement de 10 millions de francs comme convenu dans son compte ouvert à la Bicec en décembre 2010. L'info claire et nette. Mais à cause de la vague des contestations liées au processus de paiement, son compte a été scellé quatre jours après le virement par les enquêteurs. L’argent avec. Il a proposé au ministère public de prendre l’argent et d’abandonner les poursuites engagées à son encontre. En vain. En revanche, M. Mbili a catégoriquement nié les cas de deux supposées autres surévaluations qu’on lui impute, et dont les bénéficiaires de la fraude ont révélé à l’accusation qu’il devait également percevoir la moitié du butin.

3. Ketch a pris ses 26 millions d’Eboundja

Paul Ntep est écroué à la prison de Kondengui. Il est l’ancien délégué départemental des Mines de l’Océan. A ce titre, il a conduit l’expertise sur la carrière de pierre d’Eboundja qui s’étendait sur 17 hectares, exploitée par la société Ketch Sarl. La seule intervention qu’il dit avoir effectuée dans son domaine de compétence comme membre de la commission départementale d’évaluation des biens. Dans son rapport déposé en janvier 2010, il évalue l’indemnisation à verser à Ketch à environ 26 millions de francs. Me Sylvestre Mben, son avocat, lui a rappelé qu’il est en jugement parce que le ministère public prétend que c’est lui-même qui «a perçu le montant prétendument versé à Ketch Sarl».

En guise de défense, M. Ntep déclare qu’il a voulu simplement restituer à la société Ketch les frais versés au trésor public relatifs à l’exploitation de la carrière d’Eboundja. Il explique que Ketch Sarl était installée sur la carrière à travers un arrêté du ministre des Domaines daté du 12 novembre 2008 lui attribuant la parcelle en contrepartie du paiement d’un montant de 51 millions de francs au trésor public dans un délai de cinq ans. Mais avait déjà versé environ 20 millions des francs lorsque son site a été inclus dans le site portuaire déclaré d’utilité publique. De plus, pour obtenir l’autorisation d’exploitation du ministre des Mines, la société Ketch a versé 1 million de francs à l’agent intermédiaire des Mines. Et déboursé 5 millions de francs liés à la réalisation de l’étude d’impact environnemental préalable obligatoire à toute exploitation de carrière. Ces différents montants font environ 26 millions de francs.

Selon l’accusé, Ketch a un temps boudé son expertise au prétexte qu’elle sous-évalue son indemnisation en ne prenant en compte que les frais liés à l’exploitation versés dans les caisses de l’Etat. «Mon souci était la préservation des intérêts de l’Etat», se défend l’accusé qui souligne que son travail a d’ailleurs été reconduit par la contrexpertise. Et c’est François Tchantchou, le directeur des affaires financières de Ketch Sarl, qui a touché le pactole litigieux à la Bicec, le 1er octobre 2014. Il a versé une panoplie d’éléments de preuve au soutien de ses dires. L’audience reprend les 9 et 10 avril prochains pour entendre cette fois les anciens responsables des services départementaux des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières de l’Océan. En rappel, 56 personnes passent en jugement pour des tripatouillages présumés enregistrés lors du processus d’indemnisation des victimes des travaux de construction du port de Kribi ayant occasionné le détournement présumé de 23 milliards de francs.

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