La nation menacée par le repli identitaire
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Le repli identitaire est en train de prendre de l’ampleur au Cameroun, lentement mais sans doute, sûrement. Et au commencement, cette attitude a été plutôt encouragée, motivée et financée par les hommes et femmes supposées protéger la nation camerounaise. Dans de multiples éditions du quotidien national Cameroon tribune, foisonnent les motions de soutien au président de la république, son excellence Paul Biya, des remerciements pour la nomination de tantampion au poste de directeur général de telle entreprise ou à une fonction au sein du gouvernement. Les titres du genre « Les élites du département X, de la Région Y apportent leur soutien total au président Paul Biya dans sa politique de reconstruction de la nation », ou pour autre motif barrent régulièrement la Une, avec en pages intérieures des longues listes des concernés. Et au fil du temps, ces différents regroupements montrent un nouveau visage, ou plutôt, dévoilent progressivement leur « agenda caché » pour emprunter à un langage cher au gouvernement.

A chacun sa région

Le 26 juin 2019, le site d’information en ligne journalducameroun.com relayait une réunion organisée à Edéa, chef-lieu du département de la Sanaga maritime, région du Littoral, par des élites des départements de la Sanaga Maritime et du Nyong-Ekelle, pour finaliser un document qu’elles comptaient transmettre au président de la république pour réclamer la création d’une région qui sera dénommée Sanaga Maritime. Elle devrait selon les élites, couvrir les territoires actuels du département de la Sanaga maritime de la région du Littoral et du département du Nyong-Ekelle dans la région du Centre. Le projet, dont l’idée est de l’association Mbock Liia, était porté par des personnalités du monde politique, économique et universitaire du grand groupe Bassa-Mpoo-Batix, parmi lesquelles le professeur Tchade Eone, Charly Gabriel Mbock. La sénatrice Marinette Yetna avait expliqué le bien-fondé de la démarche en ces termes : « nous disons que ces deux département se trouvent au carrefour entre le Littoral, le Centre et l’Océan.

Et pourtant nous n’avons pas de route, l’électricité du pays est produite chez nous et pourtant nous n’avons pas d’électricité dans nos villages, nous ne sommes pas représentés au sein de l’administration…nous avons des enfants qui fréquentent et pas d’opportunité pour eux comme cela se fait ailleurs. Ceux qui se lancent dans l’agriculture ne peuvent pas prospérer dans leurs activités parce qu’ils n’y a pas d’infrastructures routières pour écouler leurs produits. Nous avons été coupés de tout depuis 1950 et aucun projet d’envergure n’est mené chez nous depuis. Pourtant le président Paul Biya connait bien la situation de cette zone. Il a fréquenté chez nous à Eseka. Nous lui demandons donc ce qu’il a fait pour nous, près de 37 ans après, qu’est-ce qu’il nous laisse comme héritage »

Morcellement

Le 27 juin 2020, presque un an jour pour jour, le journaliste Guibaï Gatama a lancé l’opération 10 millions de nordistes, qu’il a clairement présenté comme un instrument de défense des intérêts des ressortissants du Grand nord, soit les régions de l’Adamaoua, Nord et Extrême nord du Cameroun. Il précisait que le mouvement « vise à promouvoir et à défendre les intérêts du Grand Nord dans un esprit républicain. Il est impérieux que chaque Nordiste en fasse la promotion pour une appropriation collective de notre poids au Cameroun.Nous avons une place dans notre pays. Nous devons être respectés. Si nous sommes 10 millions, c’est que nous sommes une force. Nous devons l’affirmer. Nous devons peser dans notre pays. Nous avons une place dans notre pays. » En d’autres termes, le mouvement se positionne comme une plateforme transversale qui permettrait à tous les ressortissants du Grand Nord de se reconnaitre, sans forcément être enfermés dans un enclos politique.

Dans la région de l’Ouest, le département du Noun n’est pas en reste. L’idée de sortir de l’ombre des autres populations de la région a toujours trotté dans la tête des élites de cette unité administrative, qui estiment avoir suffisamment d’atouts, en termes d’espace et de ressources du sol pour être pris en considération avec plus de sérieux. D’ailleurs, l’annonce de la création du mouvement 10 millions a suscité cette réaction d’un journaliste originaire de ce département, Abdelaziz Moundé, « Attention, les 10 millions de Nordistes sont sur le marché des bantoustans ethniques, tribaux et régionalistes. Faisons notre part : Réunissons-nous, Bamoun du Noun, de Kye-Ossi, du Gabon, de Bessengue…autour du Njapche-couscous, dans un mois pour créer notre Fédération…Ne laissons pas les fédérations Ekang, Grassfields, Ambazonia, Sawa, Grande Sanaga Maritime, etc nous coiffer au poteau. Nous avons l’écriture de Njoya, les bases documentées de la gestion d’un État précolonial, un Monaco, Malte en puissance. Ça ne doit pas nous laisser… Quel ridicule devient mon pays ! La semaine prochaine, on aura 50 millions de zézémot, 32 millions de Doungourous, 25 millions de Tintins ! Continuons de creuser, il y’a encore des milliers de mètres pour atteindre le fond.»

Pente glissante

Le Cameroun en est là aujourd’hui. Quand les motions de soutien au président de la République ont commencé à être la nouvelle méthode utilisée pour prouver l’allégeance au pouvoir, personne n’a vu venir le danger. L’encrage ethnique devient de plus en plus marqué et renforcé aujourd’hui, ce sont les mêmes regroupements ethniques et communautaires, qui ont transformé les motions de soutien d’hier en mémorandum pour réclamer la partition du pays. Si l’on ne fait attention, la grande nation camerounaise va progressivement se disloquer en groupuscules communautaires, dans lesquels les uns et les autres prétendent pouvoir mieux se reconnaitre, faute de se reconnaitre dans une grande nation, parce qu’il n’existe dans le fond aucun élément fédérateur.

« Notre Nation doit s’unifier pour se réunir », disait George Walker Bush, le 43eme président des Etats Unis. Plus que jamais il est urgent de revoir la politique d’intégration nationale, si la consolidation d’une nation forte fait encore partie des préoccupations gouvernementales, à moins que l’intention du pouvoir ne soit de laisser derrière lui une nation en morceaux.

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