L’enseignant définitivement piétiné
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L’image de l’enseignante couchée, suffocante, une autre image de deux femmes, tenant des restes des bombes lacrymogènes, et une troisième montrant des enseignants embarqués, une autre montrant des lances eau qui usent de la dernière énergie de leur ventre pour arroser les enseignants, encore une autre montrant des enseignants en toges interpellés et assis dans les véhicules de la police, en direction du Secrétariat d’Etat à la Défense, des images et des images encore, toute honteuses.

Ces images constituent le spectacle que le pouvoir de Yaoundé a encore offert gratuitement au monde entier le 30 janvier 2020, en humiliant une fois de plus les enseignants. Qu’avaient-ils fait de si mal ? Rien d’autres que de marcher aux côtés du cercueil de leur collègue Njomi Tchakounte Boris Kevin lâchement assassiné le 14 janvier 2020au lycée de Nkolbisson à Yaoundé, alors qu’il se battait pour trouver sa pitance, alors qu’il était pourtant sortie d’une école de formation et devait avoir aussi son salaire, comme ces policiers enragées qui versaient de l’eau.

Usages

Marcher autour d’un cercueil est-il une si lourde faute ? D’après l’article6 de la loi n°90 /055 du 19 décembre 1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques au Cameroun : alinéa 1, « sont soumis à l’obligation de déclaration préalable, tous les cortèges, défilés, marches et rassemblements de personnes et, d’une manière générale, toutes les manifestations sur la voie publique. Alinéa 2, « dérogent à l’obligation visée à l’alinéa 1er les sorties sur la voie publique conformes aux traditions et usages locaux ou religieux. » C’est conformément à cet alinéa 2 que les cortègent funèbres défilent dans les rues des villes au Cameroun sans être inquiétés, parce qu’ils sont conformes aux traditions et usages locaux. C’est également dans cette catégorie de manifestations rentrant dans les usages locaux que se range la sortie des enseignants pour accompagner la dépouille de l’un des leurs. Comment le pouvoir en est-il arrivé à sortir de l’artillerie lourde, des lance-eaux et du lacrymogène contre eux, la même chose qu’il a souvent fait contre des marches politiques sous le prétexte que ce sont des manifestations interdites ? D’ailleurs les enseignants ne sont pas sortis pour une manifestation, puisqu’il ne réclamaient rien comme c’est souvent le cas, ils sont sortis pour un dernier hommage à un collègue, et l’avaient fait savoir 6 jours plus tôt.

Depuis le 23 janvier 2020 en effet, 18 syndicats d’Enseignants du Cameroun avait rendu public un communiqué disant « afin qu’un hommage mérité soit rendu à ce soldat de l’éducation tombé au front, que tous les enseignants de Yaoundé assistent massivement aux phases du programme se déroulant dans la cité capitale. Que tous les enseignants du pays observent deux jours de silence avec cessation de travail les jeudi 30 et vendredi 31 janvier 2020. Que tous ceux qui peuvent accompagnent le corps du défunt à Bazou et donnent un caractère populaire à la cérémonie d’adieu. Les syndicats d’enseignants du Cameroun, demandent à tous de répondre massivement à cet appel afin qu’il soit clair que désormais, les enseignants entendent se mobiliser pour défendre leur profession et l’école camerounaise.»

Une profession méprisée et indignation

Et ils sontsortis en portant leurs toges, qui représentent tout un symbole, celui de la connaissance et de la consécration. Le port de ces toges indiquait que ce n’étaient pas des individus quelconques qui étaient dans la rue, mais toute une profession, donc c’est toute profession qui a été ainsi humiliée, insultée, méprisée. Faut-il le rappeler, la crise qui secoue aujourd’hui encore les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest a commencé par le même mépris de la profession des enseignants, doublée de celle des avocats. La robe noire, symbolisant toute une profession, avait été brutalisée dans la rue de Buea de la même façon que ce qui s’est passé dans la rue à Yaoundé, et aujourd’hui, les ramifications prises par cette crise laissent croire qu’en brutalisant ainsi une profession, le pouvoir avait attiré toute malédiction sur le pays. Et il vient de remettre ça.

L’indignation provoquée par ces agissements est à son comble au sein de l’opinion. Baudelaire Momo, un expert en relations internationales et développement durable, s’indigne en ces termes « En quoi ceux qui ont versé des eaux et gaz lacrymogènes sur les enseignants aujourd’hui sont-ils différents du rejeton criminel du lycée de Nkolbisson? Parmi ces enseignants je suis sûr, il y en avait qui enseignent depuis au minimum 20 ans. Parmi ces policiers et gendarmes je suis sûr il y en avait qui ont moins de 30 ans.

Autrement dit, les élèves d’hier qui bombardent de gaz lacrymogènes leurs enseignants d’hier. Leur cas est à mon avis plus grave que celui du rejeton criminel de Nkolbisson, puisque le gendarme et policier protecteur ont commis un crime avec préméditation contre des enseignants marchant ou couchés mains nues. Le seule crime des enseignants étant d’avoir fait foule, c’est à dire unis, donc dangereux pour qui on sait. Le rejeton criminel de Nkolbisson peut encore bénéficier du caractère non prémédité de son acte donc homicide involontaire. Et toi, le gendarme ou le policier d’aujourd’hui, quelle circonstance atténuante devront nous trouver pour justifier ta lâcheté ? »

Et l’avocat maître Kameni à Bafoussam, d’y ajouter cette médiation : « Que de diatribes verbales dans les fora pourtant un “En-saignant” gît quelque part ! Ordre public contre Droits de l’Homme: l’impossible conciliation ? Le statut d'”agent de l’État” peut-il influencer la perception, la lecture et l’analyse qu’on peut avoir des questions de gouvernance ? Dans la vie, il y a deux juges: La conscience et le temps. Si notre conscience n’est pas infaillible, les archives demeurent. L’oppresseur ne se rend pas compte du mal qu’il fait tant que les opprimés l’acceptent. Quand soufflera le vent et que les mers s’agiteront, malheurs à qui prendra ses sandales. »

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