France- Cameroun: Jean-Paul Tchakoté « J'ai vécu de terribles frustrations au sein du SDF »
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France- Cameroun: Jean-Paul Tchakoté « J'ai Vécu De Terribles Frustrations Au Sein Du Sdf »

Ancien président du SDF-France, il a remis sa lettre de démission, il y a un an, jour pour jour, le 20 août 2018. Il a occupé, en France, les plus hautes fonctions au sein du Social democratic front(Sdf), principal parti d'oppsosition au régime du président Paul Biya. Il explique, pour la première fois, les raisons de sa démission et l'espoir que représentent, à ses yeux, les Camerounais de l'extérieur. Décapant !

Vous êtes un ancien membre du SDF, le principal parti camerounais d'opposition au régime du président Paul Biya. Quel est le rôle de l'opposition dans un pays comme le Cameroun et avez-vous le sentiment qu'elle se donne les moyens de son ambition ?

J’ai été membre actif sans discontinuité du Sdf-France depuis 1992 et j’y ai occupé plusieurs postes de responsabilités y compris celui de Président. Le rôle de l’opposition est de construire un projet alternatif crédible qu’elle soumettra aux suffrages des électeurs. Parfois, on a eu l’impression que ces oppositions ne se donnaient pas toujours les moyens de leur crédibilité.

Qu'est-ce qui, au sein du SDF, vous semble problématique dans l'organisation du parti et la stratégie de conquête du pouvoir ?

D’emblée, je vous dirais de ne pas vous attendre à des grandes révélations. Mon éthique personnelle m’interdit de mettre sur la place publique des informations dont j’ai pu avoir accès du fait d’une position privilégiée. Dans ma lettre de démission, en date du 20 août 2018, je fais état de « profondes divergences politiques, stratégiques et organisationnelles ». Le détail de ces reproches, j’aimerais les réserver aux militants de base du Sdf pour qui je conserve mon respect. Ils ne sont pas souvent au fait de certaines turpitudes des sommets. Le pouvoir se situe à plusieurs niveaux. Il n’y a pas que le pouvoir présidentiel. Le Sdf peut se prévaloir de plusieurs acquis : aujourd’hui la pratique des bulletins secrets, les primaires sont une réalité en son sein. M. Fru Ndi est l’un des rares dirigeants d’un parti important à avoir accepté de céder sa place de candidat à quelqu’un d’autre. Le Rdpc, structure parasite de l’Etat camerounais, s’est risqué une seule fois dans les primaires. On connaît la suite. Face aux difficultés, le Sdf s’est malheureusement et progressivement aligné sur ce que je considère comme des anti-valeurs. Cela s’est vu dans le choix de ses alliés lors de la dernière présidentielle. Des alliés qui sont, au final, viscéralement des pro-Biya. Vous avez un « intellectuel », chantre d’un fédéralisme tribal, un président de parti englué dans des insultes puériles à caractère tribal, un « démocrate » qui depuis Paris appelle à la dissolution du MRC en tentant, à travers des grossières contre-vérités, d’associer ce parti à la BAS. Dans une stratégie sérieuse de conquête, le Sdf ne se serait jamais aliéné en démantelant nombre de ses structures de l’étranger. Par exemple, depuis 2008, le Sdf n’avait plus de structure en France ; c’est depuis 2003 que je ne connaissais pas son représentant en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis. Il y aurait un fantomatique président du « Sdf-Europe » qui n’a pas eu d’activité entre 2011 et 2018… Ainsi, aucune analyse des résultats de 2011 n’a pu être faite. Les gesticulations, la veille d’un scrutin, ne correspondent pas à de l’activité politique. Oui, le Sdf n’aurait jamais dû se comporter comme une sous-section idéologique du Rdpc.

Est-ce cela qui explique votre décision de quitter le SDF ? Et pour quel autre parti ?

J’ai vécu de terribles frustrations au sein du Sdf. Plus de 80% de mon énergie ont été souvent consumés par la gestion de nombreuses intrigues paralysantes : ils ne veulent pas faire, ils ne vous laissent pas faire, ils détruisent ce que vous avez fait… L’insupportable a été la tentation de violence, violence psychologique. J’ai dit STOP en août 2018. J’ai été contraint de ne pas participer à la campagne des présidentielles. J’en ai profité pour observer les différents candidats. Le Professeur Maurice Kamto s’est situé nettement au-dessus. Il a affiché une personnalité et une énergie qui redonneraient de la dignité à notre pays. Il porte un projet solide et bien lisible avec des alliés crédibles qui prennent en compte tous les Camerounais y compris ceux de la diaspora. M. Biya continue de traiter les Camerounais de l’étranger comme étant des adversaires. Il y a beaucoup de matières grises camerounaise dispersées à travers le monde qui serviraient de levier de développement à notre pays. Maurice Kamto, Penda Ekoka, Akeré Muna… ont prouvé qu’ils en ont pris conscience. Je suis un sympathisant de cette coalition.

Quel avenir pour l'alternance démocratique dans un pays où le parti au pouvoir depuis plus de 30 ans n'à rien à craindre face à l'émiettement des oppositions ?

Le pouvoir de M. Biya se mobutise... Ce dangereux déclin menace la paix dans notre pays et la stabilité de la sous-région. Le Rdpc n’est pas véritablement un parti politique. Un parti politique doit réunir ses instances. Ce n’est pas toujours le cas du Rdpc : avez-vous souvenir de la dernière réunion de son Comité Central? De son bureau politique?De son congrès ordinaire? Ils ont remplacé les personnalités-ressources par des « délégués permanents » ce qui signifie qu’ils vont sur le terrain pour s’écouter. Rien de participatif, rien de démocratique ! Quant aux oppositions, je m’attendais qu’elles fassent bloc pour exiger du pouvoir illégitime de M. Biya un code électoral consensuel qui permettrait à ce dernier de quitter, sans heurt, le pouvoir. Elles restent divisées, c’est dangereux. Elles ont montré, par le passé, qu’elles avaient d’énormes difficultés à faire face aux situations de crise. Par exemple, se souvenir de la gestion de la fausse mort de M. Biya en 2004, de la révolte de février 2008…Qu’elle soit démocratique ou non, l’alternance aura lieu. Le chaos doit être évité.

Vous évoquez la gestion des troubles, notamment en 2008, par le pouvoir d'Etoudi. Ce sont essentiellement les jeunes des écoles primaires, secondaires et universitaires qui manifestaient contre la vie chère et contre le projet de modification de la constitution. Le gouvernement reconnaît quelques dizaine de morts et les organisations de droits de l'Homme, au moins 200. Depuis, les familles endeuillées attendent justice. Comment apaiser leur douleur ?

Les événements de 2008 ne sont pas les seuls qui souffrent de non réparation dans notre pays. Avril 1984, les commandements opérationnels, et bien d’autres avant, sont demeurés sans solutions apaisantes. Notre gouvernement a eu tout faux sur février 2008. Il a pensé que ce sont « ceux qui n’ont pas réussi à prendre le pouvoir par la voie des urnes » qui essayaient d’opérer autrement, 149 jeunes sont morts, certains exécutés à bout portant, d’autres, poussés dans le fleuve Wouri ; le Bir(Bataillon d'intervention rapide ndl), force spéciale créée pour combattre les coupeurs de routes s’est mue à l’occasion, en force de répression politique, semant la mort sur son passage. Le pouvoir a avoué 40 tués ; ce qui est à la fois énorme et non conforme à la vérité. A titre de comparaison, les émeutes de 2005 en France ont provoqué plus de dégâts matériels mais aucun jeune n’a été tué par les forces de l’ordre. Le Cameroun a besoin de se sortir de ces pratiques répressives, de cette banalisation de la mort. Il a besoin surtout de se réconcilier, de réconcilier tous ses enfants. Au contraire, des témoignages concordants font état des pratiques de torture sur certains prévenus au SED à Yaoundé. Pourtant notre pays est signataire de nombreux textes, conventions et traités internationaux, qui interdisent la torture. Le pouvoir doit éviter, en ordonnant des actes illégaux, de jeter l’opprobre sur nos forces de sécurité. Les jeunes soldats ainsi manipulés ne sont pas tenus d’exécuter des actes contraires au droit. Cela en devient dangereux.

A propos des jeunes africains, et camerounais en particulier, les trouvez-vous assez concernés par le projet de l'édification d'un Cameroun prospère et d'une Afrique beaucoup plus rayonnante à l'intérieur et à l'extérieur?

La jeunesse africaine est dynamique. Ce qui fait défaut au Cameroun, c’est l’extraordinaire inconséquence de son leadership. Nos dirigeants ne donnent pas le sentiment de savoir où ils nous mènent. Il n’y a pas de vision perceptible ; si oui, celui de s’accrocher au pouvoir qui alors se réduit à un vulgaire espace de jouissances. Lorsque vous arrivez à Douala, la ville fourmille d’activités diverses. Il s’agit malheureusement d’une économie de survie, essentiellement informelle qui ne se répercute pas dans le confort de vie ou celui des infrastructures. Une frange non négligeable de la jeunesse exprime son désarroi de diverses manières. L’alcool n’est pas une solution. Les questions de liberté sont préoccupantes : de plus en plus, il y a des jeunes exilés politiques camerounais en Occident.

C'est probablement parce que les jeunes ont de moins en moins de perspectives au pays. Un autre problème semble sans solution, pour l'instant : la question anglophone qui perdure depuis plusieurs années au Cameroun. Quelle est votre analyse sur cette crise et que proposez-vous comme porte de sortie?

Le pouvoir au Cameroun est excessivement centralisé et répressif. Le Président Paul Biya porte une lourde responsabilité dans cette vision erronée. Lors de la Tripartite, la nécessité de rapprocher le pouvoir des populations a été posée. Celles-ci devaient élire ses dirigeants, lesquels devraient disposer d’une autonomie financière. Depuis 28 ans, rien de concret n’est fait malgré la promulgation de la constitution de 1996. Les Anglophones ont, en plus, des problèmes qui leur sont spécifiques. Cette crise est de nature politique. La solution ne peut donc être militaire. Le coût humain et économique de ce conflit est énorme. Un dialogue politique ouvert à tous s’impose.

Les Camerounais semblent avoir une autre préoccupation majeure, liée au foncier. Entre des escroqueries de toutes sortes, impliquant parfois des commis de l'Etat et la vente des terres aux étrangers, notamment Chinois. En quoi les litiges fonciers et le bradage des terre peuvent-ils mettre en péril l'économie, le vivre ensemble et le développement du Cameroun?

Nous avons appris que des centaines de milliers d’hectares de nos terres parmi les plus fertiles ont été cédés aux Etrangers pour le besoin de leurs propres populations. Sans être les seuls en Afrique dans cette pratique, notre compromission représente près de la moitié de l’ensemble. Le Cameroun possède-t-il la moitié des terres arables africaines ? Cet acte présidentiel non démenti est paradoxal lorsqu’on sait que de nombreux jeunes Camerounais y compris dans la diaspora qui souhaitent s’investir dans l’agriculture manquent de terre. Si on ajoute à cela des centaines d’hectares détenus, pour des raisons spéculatives, par chacun de nombreux pontes du Régime, il y a des questions à se poser sur la gouvernance d’un pays qui dépense, à l’étranger, des centaines de milliards pour sa nourriture avec, au final, une balance commerciale lourdement déficitaire. Notre pays devrait être auto-suffisant sur le plan alimentaire et exporter son surplus. Il est temps que nos gouvernants créent les conditions pour exploiter la matière grise ainsi que l’épargne des camerounais de l’étranger vers des projets productifs. L’agriculture et l’agro-industrie sont des activités favorables.

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