Règlement de la crise anglophone : La stratégie en pointillé de Paul Biya
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La polémique née de la décision présidentielle d’élargir des prisonniers coupables de délits dans le cadre du conflit en cours dans les deux régions du pays ne désenfle pas. Au-delà du ponctuel, c’est toute la stratégie du pouvoir dans ce règlement qui se décline en pointillé.

1-Noso : De la crise à la guerre
Depuis le décret N°2018/719 du 30 novembre 2018 portant création du Comité national de désarmement de démobilisation et de réintégration (Cddr), la crise anglophone a pris officiellement une autre qualification et devrait, de ce fait, se rapprocher davantage d’une guerre dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (Noso). Guerre, le mot est lâché. Et dès lors, cette réalité attise toutes les bonnes volontés à se masser aux portes du Cameroun dans l’intérêt bien compris de vouloir l’aider à retrouver le chemin de la paix. Soit ! C’est bien connu, aucun Etat dans ce monde ne supporte qu’on mette à mal sa souveraineté au nom d’une ingérence à but humanitaire. Cela signifie en clair qu’avec ce conflit qui va sous peu entrer dans sa troisième année, les puissances militaires majeures à travers la planète piaffent d’impatience de voir la paix revenir au Cameroun. Cela doit être appréhendé dans le cadre global de la gestion géostratégique du monde. Ainsi, là où les conflits majeurs naissent, elles y sont tout comme elles interviennent comme les sapeurs-pompiers pour éteindre les brasiers. L’hégémonie américaine est intervenue en Irak en 2003 pour chasser Saddam Hussein du pouvoir, au motif qu’il détenait dans son arsenal militaire des armes de destruction massive. A la fin de la désastreuse intervention, aucune arme ne fut trouvée et Saddam fut pendu. Une page était tournée et jusqu’aujourd’hui, l’Irak ne s’est pas toujours remis de cette intervention. La mise sur pied du Comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration suivie de l’élargissement de 289 prisonniers, seraient compris comme des initiatives du pouvoir visant premièrement à couper l’herbe sous les pieds des « zélés de l’interventionnisme ».

2-Le CNDDR est un instrument exclusif du pouvoir
Dans les autres pays où il y a eu guerre, le programme désarmement, démobilisation et réinsertion est intervenue le plus souvent d’un commun accord entre les belligérants, sous l’égide d’une institution ou d’une puissance internationale. Dans notre contexte, le CNDDR devrait intervenir quand il y a l’arrêt des hostilités. Quand le belligérant est armé, on ne voit pas très bien par quelles astuces du Comité que coordonne Faï Yengo Francis, on va l’amener à déposer l’arme. C’est pourquoi en principe, elle devrait entrer en jeu lorsque le cessez-le- feu est acté et récupérer de ce fait les armes dans un climat très apaisé. En menant les choses de la sorte, on estime que le pouvoir ne veut pas être surpris par un agenda venu d’ailleurs. Ce programme de désarmement, dans d’autres pays qui ont connu la guerre interne, coûte très cher. En Rca par exemple, il a fallu que le Minusca et la Banque mondiale mettent la main à la poche pour soutenir les efforts de ce pays dévasté par la guerre.

Or au Cameroun, le gouvernement est dans une logique qui consiste à faire la paix par lui-même sur son territoire, sans l’intervention d’une force extérieure. On ne peut lui faire aucun procès dès lors qu’une telle mesure porte des fruits. Pour l’instant, la mise sur place du CNDDR en fin du mois passé n’a produit aucun résultat, même si c’est trop tôt d’envisager des résultats. On peut se demander au nom de quoi, un combattant va déposer son arme ? Ailleurs, il y a une somme d’argent qu’on verse à ceux qui viennent déposer leurs armes. Il est aussi vrai que les combattants séparatistes ne disposent pas d’un arsenal considérable et se contentent généralement des armes arrachées des mains des forces de sécurité dans les guet-apens ou par voie de contrebande. Le deuxième élément qui compte dans ce programme est l’amnistie en faveur de tous les belligérants. Ces deux points semblent pour l’instant ne pas être incorporés dans le programme du CNDDR. Il faudrait de ce fait intéresser les belligérants même à titre personnel de déposer les armes. Le président de la République l’a demandé mais les mesures qui vont faciliter cette exigence présidentielle, tardent à se matérialiser ou à être visibles.

3-La libération des 289 prisonniers délictueux
Le chef de l’Etat a franchi un autre pas dans la tentative du pouvoir de résorber le conflit dans la partie anglophone du pays. En élargissant 289 prisonniers dans le cadre de ce conflit, l’opinion pense généralement qu’il s’agit d’une mesure d’apaisement. Si tel est le cas, en quoi la libération des prisonniers va-t-il inciter les séparatistes à déposer les armes ? Une certitude est que la décision présidentielle est un couteau à double tranchant. D’un côté, ces jeunes gens qui sortent des prisons sont pour l’essentiel des victimes de guerre qui pour l’essentiel ont perdu tout dans cette guerre et sont parfois entièrement déconnectés de tout lien familial. De tels jeunes sont accrocs à la violence, surtout pour ceux qui ont été témoins de l’assassinat d’un des leurs. Dans un contexte de guerre, les jeunes gens acquièrent rapidement le statut d’adulte par la consommation à outrance de la violence.

Généralement pour les incorporer dans les rangs, certains les font abattre des hommes de sang-froid. Ahmadou Kourouma en parle avec aisance dans son ouvrage, Allah n’est pas obligé ! Un tel forfait commis, ce jeune ne peut plus revenir en arrière pour opérer des réparations. Le mal est fait. De l’autre côté, ces jeunes gens ont mesuré la puissance qui est la leur lorsqu’ils sont en possession d’une arme. Ils sont de ce fait attachés à l’arme et l’affectionnent parce qu’ils savant le pouvoir qui est au bout du canon. Heureusement que la décision présidentielle précise qu’il s’agit des jeunes gens qui ont commis des actes délictueux, c’est-à-dire de moindre gravité. Mais, on ne perd pas de vue que dans une guerre asymétrique où les enfants et les femmes sont en première ligne, et généralement à mains nues, l’arme n’est jamais loin. Les hommes en tenue sont généralement très vulnérables dans un tel contexte parce que le droit de la guerre (le jus in bello) leur interdit de faire feu sur les enfants, les femmes, bref sur les civils qui ne sont pas en situation de belligérance. On est rassuré par les propos du ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense qui a précisé qu’aucun criminel, ni terroriste ou autre personnel coupable de violences graves ne sera élargi. En dépit de tout ceci, on doit toujours poser une question : pour quels résultats ? Quelle est la stratégie gouvernementale globale dans ce conflit ?

A première vue, on a cette triste impression que le pouvoir pose des actions en pointillé, c’est-à-dire qu’on va d’une action à l’autre sans bien cerner les contours de la précédente. Cette fâcheuse situation peut créer un enlisement et même fragiliser le pouvoir dans la zone. La tendance générale est que l’opinion demande à cors et à cris aux autorités d’organiser un dialogue. Dans un tel cadre, le pouvoir tiendrait tous les leviers pour donner le contenu qui lui conviendrait à une telle assise. Si l’option d’un dialogue est actée, il va de soi que les stratèges ou les acteurs de l’ombre vont s’inviter à table. Et cela ne sera que bénéfique pour la sécurité dans les deux régions.

4-Le plan humanitaire d’urgence
Ce plan mis sur pied par le chef de l’Etat vise à apporter une aide multiforme aux populations victimes de la guerre dans la partie troublée du pays. Le budget de ce plan est de 12,7 milliards de FCFA. Il doit être exécuté sur une période de 18 mois. La générosité des Camerounais avait été mise à contribution. De la collecte qui avait commencé officiellement le 21 juin 2018, on se demande ce qu’il en est advenu plus de cinq mois après. Les Camerounais victimes de cette guerre se sont déplacées par dizaines de milliers au Nigeria. Sur le plan interne, les déplacés sont plus nombreux, créant une situation de vulnérabilité pour ces populations obligées de fuir de leur cadre de vie. Les maisons, les écoles, les commissariats, et d’autres biens sont brûlés. Comment reconstruire si le plan d’urgence ne se met pas rapidement en branle ? Et comment se mettrait-il en route s’il n’y a pas la paix ? Comme on le voit, la crise anglophone se porte toujours très bien en dépit des différentes mesures étatiques.

C’est ici le lieu de se demander lien qui existe entre ces différentes initiatives. Le plan humanitaire d’urgence la première des trois, n’est pas encore dans sa phase active, que déjà voici le pouvoir qui créé le Comité national de désarmement, de démobilisation et de réintégration. A peine est-elle en phase de mise en place que le chef de l’Etat décide d’élargir 289 prisonniers dans le cadre de la crise anglophone. L'info claire et nette. On se demande dès lors quel est le fil conducteur de ces différentes initiatives ? C’est évidemment le règlement de ce conflit mais, à accumuler les initiatives les unes après les autres, on se perd sur le chemin de l’efficience. Plus de deux ans qu’elle a commencé, le conflit dans les deux régions anglophones du pays continue de plus belle sans que l’une des décisions de Paul Biya vienne à la résorber. Il devient une urgence au Cameroun de réviser le système d’intelligence dans la gestion de ce conflit qui touche sérieusement les intérêts du pays et en partant, fait tout le malheur du Cameroun.

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