L'expérimentation du revenu universel au Kenya : Le nouvel enjeu de la question sociale
KENYA :: POINT DE VUE

L'expérimentation du revenu universel au Kenya : Le nouvel enjeu de la question sociale

L’ONG américaine Give Directly est en train d’expérimenter au Kenya le plus grand et le plus long test de revenu universel jamais réalisé dans le monde. le revenu universel est testé dans un village de l’ouest du pays depuis plus d’un an. Tous les habitants majeurs y reçoivent 16 euros chaque mois via des transferts d’argent sur leur téléphone portable, et cela va durer pendant 12ans . le projet est financé par de grands donateurs comme google et pas seulement on y trouve aussi des figures notoires de la Silicon Valley comme Pierre Omidyar, fondateur d'eBay et 54e fortune mondiale. Sa fondation Omidyar Networks vient d'investir 493.000 dollars dans ce projet. L’organisation Give Directly qui pilote le projet souhaite verser 30 millions de dollars à près de 26.000 Kenyans. La somme déversée aux bénéficiaires est en-dessous du seuil de pauvreté, fixé à 1,90 dollar par jour en 2015 par la Banque mondiale.

On peut émettre des réserves justifiées sur le montant offert à chaque villageois. Certains africains le trouveront minables d’autres condescendant.

Ce qui est beaucoup plus décisif à nos yeux c’est la réflexion politique qui sous-tend le projet. Elle pourrait induire un basculement des stratégies d’aide au tiers-monde. Le projet permet dit-on de repenser l’aide au développement dans des termes radicalement nouveaux. De nombreuses études ont montré que le don d'argent était plus efficace pour lutter contre l'extrême pauvreté que l'octroi de nourriture ou de biens matériels. Evitant le paternalisme de bien des programmes sociaux, ces dons inconditionnels sont en train de révolutionner, depuis quelques années, l'aide internationale. Un revenu universel de base permettrait-il d'éradiquer l'extrême pauvreté dans le monde ?

Une reforme de l’aide au développement vers l’octroi direct des sommes d’argent aux populations permet de réduire les intermédiaires entre donateurs et receveurs. Il est connu depuis des lustres que plus de 90% des fonds dédiés à l’aide au développement reste en cours de route dans les poches des intermédiaires. Les choses se passent à peu près de cette manière : Lorsqu’on Etat occidental vote un budget pour l’aide au développement, ce dernier peut emprunter l’un de ces deux chemins : Le premier c’est que les fonds soient versés aux Etats. On sait aujourd’hui ce que deviennent les fonds déversés aux régimes postcoloniaux. Au mieux ils seront destinés à l’entretien d’administrations surpeuplées, au pire ils seront tout simplement détournés par les élites.

Le deuxième itinéraire que pourrait emprunter l’aide au développement c’est qu’il soit déversé aux ONG des pays du Nord à qui on va confier la responsabilité de traduire l’aide reçue en projets concrets au bénéfice des populations. Dans ce cas de figure une grande partie des sommes octroyées iront d’abord dans le fonctionnement des organisations bénéficiaires. C’est ce qui permettra de payer leur loyer, de payer leurs salariés…Pour conduire à bon port ce qui reste de l’aide au développement, les ONG des pays du Nord devront travailler avec des partenaires africains à qui les ONG occidentales vont à leur tour octroyer des financements pour des projets de développement. Que devient cet argent lorsqu’il arrive en Afrique. Au mieux une bonne partie ira dans le fonctionnement des organisations africaines et une infime partie dans le développement. Et au pire l’argent sera tout simplement détourné.

Au final ce qui arrive aux populations quelque soit l’itinéraire emprunté est souvent insignifiant. Si au lieu de passer par les intermédiaires Etatiques ou non Etatiques, on déversait l’argent directement aux populations l’aide au développement aurait un réel impact sur la lutte contre la pauvreté. Depuis quelques années, l'opulente Silicon Valley se fascine pour le revenu universel. L'ambition d'accorder à chacun une somme de base découle notamment de l'idée que les machines vont finir par remplacer de nombreux travailleurs ou alléger le temps de travail. «Le revenu universel a le potentiel de nous redonner la liberté de choisir notre travail et notre vie», plaident les partisans de l'Economic Security Project, un groupe de réflexion sur le revenu universel financé à hauteur de 10 millions de dollars par des PDG et des business angels californiens. Si l'idée rencontre un tel succès auprès de ces riches entrepreneurs, c'est aussi parce qu'elle rejoint l'idéologie libertarienne, répandue du côté de la Silicon Valley.

Give Directly soutient pour partie cette idéologie. Ses cofondateurs, les économistes Michael Faye et Paul Niehaus, s'opposent à l'adage selon lequel il vaut mieux apprendre à pêcher à un homme qui a faim, plutôt que de lui donner du poisson. «L'implicite pêché d'orgueil, derrière ce dicton d'‘apprendre à pêcher', réside dans le fait que nous pensons être de bons pêcheurs. C'est faux», soutient Paul Niehaus. Plutôt que d'apprendre aux Kenyans à croître économiquement, GiveDirectly veut donc leur transmettre l'argent et les «laisser faire», pour créer de la valeur économique et assister à l'amélioration des conditions de vie du pays en développement.

Johannes Haushofer et Jeremy Shapiro ont publié dans le Quarterly Journal of Economics un article intitulé « The Short-Term Impact of Unconditional Cash Transfers to the Poor : Experimental Evidence from Kenya », que l’on pourrait traduire par « Effet à court terme des transferts directs et inconditionnels d’argent aux plus pauvres : les résultats de l’expérience du Kenya ». L’article scrute les transferts inconditionnels d’argent de GiveDirectly à des familles pauvres du Kenya (un programme que nous avions présenté ici), et détaille les conséquences sur la consommation et le bien-être. Chris Weller a résumé l’article dans une tribune de Tech Insider où ils relèvent en ces termes les bénéfices du projet.

<<Nous avons établi des groupes de contrôle aléatoires pour d’étudier l’effet des transferts d’argent conséquents (provenant de l’ONG GiveDirectly) aux populations pauvres de la campagne kenyane. À la différence d’autres programmes d’aides, les dons sont inconditionnels, importants et rapprochés dans le temps. Nous avons pris des échantillons aléatoires, aussi bien en termes de villages que de populations. De plus, au sein des familles concernées, nous avons introduit de l’aléatoire au niveau du sexe des récipiendaires (homme ou femme), de la fréquence des versements (une somme globale ou mensuelle) et du montant octroyé (représentant un pouvoir d’achat équivalent à 360 ou 1400 euros en Europe). Nous avons observé une forte augmentation de la consommation, qui passe en moyenne pour un ménage de 140 à 175 euros en équivalent de pouvoir d’achat européen, neuf mois après le début de l’expérience. On observe aussi une amélioration franche du bien-être. On n’observe pas d’effet significatif sur les taux de cortisol (l’hormone du stress), même si les résultats varient suivant les sous-groupes. Les versements mensuels plutôt que massifs sont plus susceptibles d’améliorer la sécurité alimentaire, alors que les versements massifs sont davantage utilisés pour l’achat de biens durables, ce qui suggère que les foyers font face à des difficultés d’épargne et de crédit. Globalement, ces résultats indiquent que les transferts inconditionnels d’argent ont d’importantes conséquences sur la situation économique et le bonheur de la population.>>

La conclusion de l’article revient sur certaines « conséquences importantes » :

<<Nous observons que les foyers bénéficiaires augmentent à la fois leurs dépenses et leur épargne (sous la forme de biens durables et d’investissement dans leur activité de travailleur indépendant). Avec notamment une augmentation des dépenses de nourriture, mais pas d’achats impulsifs. Les familles investissent dans du bétail et de l’équipement de long terme (surtout des toits de tôle), et nous montrons que ces investissements conduisent à une augmentation des revenus des activités agricoles et de commerce, bien que nous n’observions pas d’effet sur les bénéfices en un temps si court. Nous n’avons pas non plus observé de tensions émanant de ces dotations ; au contraire, le bien-être psychologique est en forte augmentation, de même que l’émancipation des femmes, ce qui a également un effet dans les foyers non-récipiendaires des villages concernés >>.

Qu’est-ce qu’un revenu universel ?

Le revenu universel est une allocation mensuelle fixe versée à tout citoyen, sans contrepartie, mais suffisant pour subvenir à ses besoins élémentaires (logement, santé, alimentation). Cette somme serait cumulable avec d’autres revenus, comme par exemple les salaires. Si les Finlandais recevront 560€ par mois, d’autres pays ont envisagé des montants allant de 300 jusqu'à 2260€

Théoriquement tout le monde peut en bénéficier de la naissance et jusqu’à la mort. Mais dans les faits, les modèles diffèrent et établissent des différences, notamment en fonction de l'âge. En Finlande, les mineurs n'y ont pas droit pour l'instant. En Belgique, la plupart des modèles établissaient une différence de revenu entre mineurs et adultes, mais pas entre les femmes et les hommes comme c'est par exemple le cas dans certains projets développés en Asie notamment. Le projet reste encore en chantier chez nous en Belgique. Le sujet est trans-courant. Il possède des défenseurs à gauche comme à droite. Si les socialistes ne s’entendent pas encore sur la question, le MR quant à lui a lancé des groupes d’études sur la question

Pourquoi à t-on besoin d’un pareil revenu ?

L’un des arguments avancés pour justifier son existence est la liberté qui devrait être reconnue à l’être humain de ne pas travailler. L’obligation qui est faite à tout citoyen adulte de travailler et qui conditionne l’octroi des allocations de chômage empêche l’éclosion des talents dans divers domaines comme l’art. L’obligation de travailler entretien l’illusion qu’il y aurait du travail pour tout le monde or c’est faux. L’obligation de travailler empêche la prise du risque en affaires parce qu’elle dissuade le travailleur qui veut lancer un projet d’entreprise de démissionner. Car celui qui démissionne perd l’accès aux allocations de chômage. On comprend dès lors pourquoi l’idée séduit à gauche comme à droite. Pour les gauchistes, elle permet de lutter contre la précarité et reconnait à l’être humain le droit de donner un sens à sa vie en dehors du travail capitaliste. Pour l’homme de droite elle peut constituer une bouffée d’oxygène à la prise du risque.

Le grand inconvénient du projet c’est qu’il pourrait très bien comme on l’a vu avec les allocations de chômage se retourner contre les personnes qu’on veut aider en créant un effet de stigmatisation, en opposant les travailleurs et ceux qu’on désigne comme les profiteurs. C’est peut-être parce qu’il pourrait s’accompagner d’un tel inconvénient que ses promoteurs ont tenu à lui donner un caractère universel pour que personne ne dise à son voisin, tu touches le revenu universel et pas moi. 

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