Etats-Unis : Après la guerre sans merci de Trump contre la liberté de la presse, la démocratie américaine est-elle en danger de mort ?
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Depuis son intronisation, le 20 janvier 2017, et tout au long de sa campagne électorale, Donald Trump n’arrête pas de fustiger la presse américaine, la traitant de “fake news” (fausse presse) et, pire encore, d’“enemy of the American people” (ennemie du peuple américain). Tout au long de sa campagne électorale, et après son élection, il n’y a pas un rallye ou un meeting où il ne s’attaque pas à la presse dans toutes ses formes, écrite, audio et visuelle.

Il considère que les médias sont particulièrement contre lui personnellement et qu’ils ne couvrent pas de façon suffisamment “objective” sa campagne et ses meetings. Et pour contrecarrer cette illusion, il a pris tout un arsenal de mesures pour réduire l’influence des médias et la couverture des événements qu’il préside.

Ce faisant, il tente de faire disparaître une des libertés les plus essentielles inscrite dans les textes fondamentaux des Etats-Unis : la liberté de la presse. Avant de revenir en détail sur cette tentative d’“obstruction of press” (obstruction de la presse), nous rappellerons dans un premier temps la place et l’importance de la liberté de la presse dans les textes fondamentaux, — la Constitution, mais pas seulement — des Etats-Unis. Nous verrons ensuite le rôle joué dans l’histoire politique récente des Etats-Unis, notamment l’affaire dite du «Watergate», du temps de Richard Nixon et l’affaire dite du «Whitewater/Lewinsky» du temps de Bill Clinton.

Nous terminerons par les accusations et menaces proférées par Trump pour domestiquer la presse et réduire dangereusement la liberté dont elle a joui depuis que les «Founding Fathers» (Pères fondateurs des Etats-Unis) l’ont inscrite dans la Constitution et plus tard dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU.

La place et l’importance de la liberté de la presse dans les textes fondamentaux

Avant de parler de la place de la liberté de la presse dans les textes fondamentaux des Etats-Unis et de l’ONU, voyons d’abord comment certains grands auteurs, anciens et modernes, la considéraient. La liberté de la presse est l’une des quatre principales libertés, «freedom of speech» (liberté d’opinion), «freedom of worship» (liberté de religion), «freedom from want» (liberté d’avoir ses besoins satisfaits), «freedom from fear» (liberté contre toute forme de peur).

Dans son ouvrage devenu classique, le théoricien de la politique, Alexis de Tocqueville, érigeait déjà la liberté de la presse au niveau des libertés les plus essentielles : «[…] The liberty of the press is not only one of the guarantees, but it is the only guarantee of their liberty and security that the citizens possess» (La liberté de la presse n’est pas seulement une garantie de la liberté et de la sécurité des citoyens, mais la seule garantie qu’ils possèdent) (Alexis de Tocqueville, Democracy in America, tome 1, p. 193).

Tocqueville va jusqu’à déclarer que la liberté de la presse est l’élément constitutif de toute liberté : «The more I consider the independence of the press in its principal consequences, the more I am convinced that in the modern world it is the chief and, so to speak, the constitutive element of liberty» (Plus je considère l’indépendance de la presse dans ses conséquences essentielles, plus j’ai la conviction que dans le monde moderne elle constitue le principal, et pour ainsi dire l’élément constitutif de toute liberté) (Tocqueville, op. cit, p. 193).

Il ira encore plus loin pour considérer la presse, dans une certaine mesure, comme l’ennemi contre lequel tout gouvernement doit faire face :
«It [the press] is the enemy with whom a government may sign an occasional truce, but which it is difficult to resist for any length of time» (La presse est l’ennemi avec lequel un gouvernement peut signer une trêve dans certaines situations, mais contre lequel il est difficile de résister pour une longue période de temps) (Tocqueville, op, cit, p. 193).

Cette dernière déclaration peut sembler ironique lorsqu’ on se rappelle que Trump aussi utilise le terme d’«ennemi» mais du peuple, et non du gouvernement.En réalité, si on lit entre les lignes, on réalise que pour Trump, la presse est contre lui (c’est-à-dire son gouvernement) et non contre le peuple. Tocqueville parlait donc de la liberté de presse déjà lors de son voyage aux Etats-Unis dans les années 1830.

Plus près encore de chez nous dans le temps, le célèbre philosophe, linguiste, et theoricien politique, Noam Chomsky, écrivait à propos de la liberté de presse : «In a democracy, public opinion is going to have some influence on policy and then the government carries out actions determined by the population» (Dans une démocratie, l’opinion publique est amenée à avoir une certaine influence sur la politique, et c’est alors au gouvernement d’entreprendre des actions déterminées par le peuple) (Noam Chomsky, Requiem for the American Dream,The 10 Principles of Concentration of Wealth and Power, p. xiv). Ainsi donc, pour Chomsky, le rôle de l’opinion publique, et son corollaire la liberté de presse, jouent un rôle fondamental dans la formation de la politique du gouvernement.

Comme il a été indiqué ci-dessus, cette définition de la liberté de la presse n’est pas uniquement quelque chose d’abstrait et de théorique. Pour la rendre tangible, les Pères fondateurs des Etats-Unis ont tenu à l’inscrire dans les textes fondamentaux de l’Union, notamment la Constitution, et en particulier le «First amendment» (Premier amendement) de cette Constitution, ratifié le 15 décembre 1791 : «Le Congrès n’établira aucune loi qui touche l’établissement ou interdit le libre exercice d’une religion ni qui restreint la liberté de la parole et de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernment pour la réparation des torts contre lesquels il se plaint» (texte du First amendment, american Constitution, 15 décembre 1791).

Il est clair, selon cet amendement, et notamment la partie soulignée, que le Congrès, et, par ricochet, le gouvernement, ne peut pas restreindre ou enfreindre la liberté de la presse et son corollaire, la liberté d’expression.

La liberté de la presse a été aussi consacrée par la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948 (art. 19) : «Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui inclut le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir, et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit». Au regard des textes ci-dessus cités, il est clair que les accusations et menaces proférées par Trump contre la presse, notamment celles dans lesquelles il traite la presse de «fake news» et d’«ennemie du peuple», ne sont rien d’autre que des tentatives de «restreindre» et de «domes-tiquer» la liberté de la presse.

Le rôle de la presse dans l’histoire politique récente des états-Unis

Pour illustrer le rôle joué par la presse, notamment la presse d’investigation, dans l’histoire politique récente des Etats-Unis, il suffit de citer deux exemples : le scandale dit du «Watergate», à l’époque de Richard Nixon, et celui dit du «Whitewater/Lewinsky», à l’époque de Bill Clinton.

L’affaire du Watergate a été découverte par deux grands noms du journalisme américain, Bob Woodward et Carl Bernstein, tous deux travaillant pour le Washington Post. Ces deux journalistes ont mis à nu les truquages politiques et les crimes commis par certains top-officiels de l’Administration Nixon et qui ont conduit à l’évincement de plusieurs personnes de l’entourage de Nixon et, ultimement, à la démission de Richard Nixon le 9 août 1974.

Les documents et enregistrements collectés par Carl Bernstein et Bob Woodward ont été consignés dans deux de leurs ouvrages : All the President’s men (Tous les hommes du Président) et The Final Days (Les derniers jours). L’affaire du Watergate avait commencé avec le vol de documents et d’argent qui avait eu lieu le 17 juin 1972 dans le «Watergate, le complexe qui abritait le “Democratic National Committee» (DNC) et quartier général du Parti démocrate, et s’est terminé par la démission de Nixon.

Le scandale a conduit par ailleurs à la découverte de multiples abus de pouvoir des membres de l’Administration Nixon et du Président lui-même et à l’arrestation de 48 top-officiels de l’entourage immédiat du Président. Par la suite, les deux journalistes ont révélé l’existence d’enregistrements audio installés par Nixon dans ses bureaux de la Maison-Blanche. Après plusieurs apparitions en justice et une décision de la Cour suprême, le Président était obligé de révéler ces enregistrements et de les mettre à la disposition des investigateurs désignés par le département de la Justice.

Ces enregistrements ont montré que Nixon a utilisé des officiels de son Administration pour tenter de détourner l’investigation (ce qu’on appelle aux Etats-Unis «Obstruction of justice»). Pour éviter la procédure dite de l’«impeachment» (accusation et destitution), le Président devait donner sa démission le 9 août 1974. Depuis cet avènement, le terme «Watergate» est rentré dans le dictionnaire politique et journalistique pour désigner tout scandale politique et non politique qui peut se produire aux Etats-Unis et dans le monde dans son ensemble.

La seconde affaire qui a marqué l’histoire politique récente des Etats-Unis est l’affaire dite «Monica Lewinsky»’, et qui, en réalité, avait commencé par l’affaire dite du «Whitewater» (une affaire immobilère et financière). Cependant, l’affaire la plus sensationnelle et qui a déclenché la procédure de «l’impeachment» est l’affaire Monica Lewinsky.

En janvier 1988, Linda Tripp, une employée à la Maison-Blanche, ayant auparavant travaillé dans les services de renseignement et de l’Intelligence de l’armée, avait enregistré secrètement les conversations téléphoniques du président Bill Clinton avec son employée-interne Monica Lewinsky, et avait remis ces enregistrements à Kenneth Star, l’investigateur indépendant chargé de l’affaire. Kenneth Star, après avoir fait des investigations dans les deux affaires, l’affaire dite «Whitewater» (une affaire de biens immobiliers et de prêts bancaires entre Clinton et d’autres entreprises quand il était gouverneur de l’Arkansas) et l’affaire «Lewinsky»’, a déclenché la procédure de l’«impeachment».

Cette procédure a commencé le 19 décembre 1998 sur les motifs d’accusation : parjure (mentir à la justice) et obstruction à la justice (tentative d’arrêter une investigation en cours). Bill Clinton sera alors soumis à cette procédure et aura été le troisième Président à avoir été «impeached», après Andrew Johnson en 1868 et Richard Nixon en 1974, Nixon ayant réussi à échapper à l’«impeachment» par suite de sa démission).

Les attaques violentes et répétées de Trump contre la liberté de la presse

Comme indiqué ci-dessus dans l’introduction, Donald Trump n’a pas cessé de critiquer de façon virulente, voire acerbe, la presse de tous bords, excepté celle qu’il considère comme «objective», comme par exemple la chaîne de télévision Fox News, dont le proprétaire est son ami intime.

Il a attaqué particulièrement les médias les plus renommés comme le New York Times le Washington Post, pour la presse écrite, et CNN (Cable News Network) pour la presse télévisuelle. Il est particulièrement virulent,voire violent, lorsque des journalistes posent des questions concernant son implication éventuelle dans ce qu’on appellerait maintenant le «Russiangate».

En effet, Trump et ses top-officiels à la Maison-Blanche et au département de la Justice sont accusés d’avoir eu, au cours de la récente campagne électorale, des relations d’affaires et d’«intelligence» avec des membres de l’«intelligence» et des banquiers russes. En particulier, Trump et ses «associates» sont accusés d’avoir laissé les officiels russes (pouvant inclure éventuellement Vladimir Poutine lui-même) s’immiscer dans les élections et de les avoir «truquées» pour permettre à Trump de l’emporter sur Hillary Clinton.

Trump, ainsi que son beau-fils, Jared Kushner (le mari de sa fille Ivanka), sont, par ailleurs, soupçonnés d’avoir des affaires immobilières et financières en Russie. Pour ce qui est de Jared Kushner, il est aussi soupçonné d’avoir créé une voie de communication extra-officielle pour échanger des renseignements et de l’«intelligence» avec la Russie.

En raison de tous ces soupçons, on comprend pourquoi Trump refuse systématiquement de répondre à toute question des journalistes relative à ces affaires. Et pour réduire le champ d’action et la liberté des journalistes, Trump a pris un certain nombre de mesures tendant à limiter leurs questions à celles non reliées au «Russiangate». Une première stratégie consiste en une «guerre des mots» : la presse est «Fake news» (Nouvelles fabriquées) et «the enemy of the american people» (l’ennemi du peuple américain).

En effet, Trump fait la distinction entre «True news» (Informations vraies), en d’autres termes, celles qui ne posent pas les questions qui fâchent et qui font l’apologie de ses actions et décisions, et «Fake news» (Informations non vraies), c’est-à-dire celles qui posent des questions liées au «Russiangate».

En réponse à ces accusations, lors du dîner organisé chaque année par «The American Journalist Association», Jeff Mason, le président de cette association, et Bob Woodward et Carl Berstein, les «déclencheurs» du Watergate, et invités d’honneur, ont déclaré, s’adressant directement à Trump : «Mr President, We are NOT “fake news”, and “We are NOT the “enemy of the American people» (M. le Président, nous ne sommes pas “de faux médias” et nous ne sommes pas “l’ennemi du public américain).

Et Carl Berstein de poursuivre : «The role of the press is to get the best obtainable version of the truth» (Le rôle de la presse est de fournir la meilleure version de vérité la plus probable). Ce qui est encore plus ironique, c’est que Trump affirme que «Nobody loves the First Amendment as I do» (personne n’aime le Premier amendement plus que moi).

La deuxième stratégie de Trump est sa tentative de réduire le temps consacré aux conférences de presse qui se tiennent quotidiennement à la Maison-Blanche par le secrétaire à la Presse, Sean Spicer. Trump parle même de supprimer purement et simplement ces conférences. En attendant, il a demandé à Sean Spicer de faire des conférences «off-caméra» et «off-audio» afin que le public américain «ne voie pas» et «n’entende pas» les sujets qui fâchent.Il s’agit là d’une tentative de museler la presse qui ne s’est jamais vue dans l’histoire journalistique américaine, à l’exception de la période Nixon.

Conclusion

A travers ces accusations et ces attaques quasi quotidiennes dirigées par Trump contre la presse et sa liberté et les tentatives de réduire, voire de supprimer les conférences de presse de la White House, il est clair que le but poursuivi est de museler et «domestiquer» la presse par tous les moyens possibles. Il est clair aussi que ces tentatives sont une grave atteinte à la Constitution américaine et à la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948 (art. 19).

Cette guerre sans merci déclarée par Trump contre la presse est, sans aucun doute, un test de la solidité de la démocratie américaine et de sa capacité à ne pas basculer dans le camp des «Banana Republics» et des «Rogue States». Car la liberté de presse demeure, dans une grande mesure, le déterminant-clé et le pilier sur lequel reposent toutes les autres libertés de l’homme. Tôt ou tard, quelle que soit la nature du régime en place, tout gouvernement doit reposer sur la liberté d’opinion et son corollaire, la liberté de la presse.

Ainsi, comme l’écrit le philosophe politique David Hume : «It is therefore, on opinion only that government is founded, and this maxim extends to the most despotic and most military governments as well as the most free and most popular» (C’est, par conséquent, seulement sur l’opinion que le gouvernement est fondé, et cette maxime s’étend aussi bien aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaristes qu’aux gouvernements les plus libéraux et les plus populaires) (David Hume, Essays, Moral, Political, Literary, p. 131).

En conséquence, quelles que soient les mesures prises par Trump pour tenter de mesuler et «domestiquer» la presse, la vérité, c’est-à-dire en définitive l’opinion du peuple, finira toujours par triompher.

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