PAUL BIYA CONTRE L’HISTOIRE : Quand un homme efface un siècle de dignité africaine
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Il est des gestes politiques qui résonnent bien au-delà de leur portée immédiate. Des actes qui, par leur absurdité ou leur violence symbolique, effacent en un instant des décennies, voire des siècles de luttes collectives pour restaurer l’image et la dignité de tout un peuple. En annonçant sa candidature à l’élection présidentielle camerounaise de 2025 à l’âge de 92 ans, Paul Biya ne pose pas seulement un acte politique local. Il inflige au continent africain une blessure morale, philosophique et historique. Il vient inscrire son nom dans l’histoire du monde noir mais comme une honte, une négation, une insulte. Ce geste n’est pas seulement inacceptable politiquement, il est destructeur symboliquement : il enterre un siècle d’efforts pour penser une Afrique digne, autonome, responsable et souveraine.

Ce n’est pas seulement le Cameroun qui est concerné : c’est toute l’Afrique qui est trahie. À Dakar, en 2007, Nicolas Sarkozy déclarait avec mépris que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Cette phrase avait suscité l’indignation mondiale, tant elle condensait l’arrogance coloniale et l’ignorance raciste. Vingt ans plus tard, Paul Biya vient, hélas, confirmer ce jugement que nous avions tous combattu. En refusant de quitter le pouvoir, en se cramponnant à une fonction qu’il a vidée de tout projet, en se figeant comme un monument sans vie, il piétine le legs de ceux qui, bien avant lui, ont lutté pour que l’Afrique sorte enfin des caricatures. Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon, Kwame Nkrumah, Amílcar Cabral, Joseph Ki-Zerbo, Achille Mbembe, Thomas Sankara, Mandela, Mongo Beti, et tant d’autres… Tous ont porté, chacun à leur manière, l’ambition d’une Afrique adulte, pensante, libre, unie. Biya, en devenant l’incarnation de l’immobilisme, nie cette ambition et remet en scène la caricature même du chef africain postcolonial, tel que Fanon le dénonçait : une élite sans vision, colonisée de l’intérieur, accrochée au pouvoir comme à une rente.

Un homme contre une pensée : Biya efface une bibliothèque vivante

Chaque nom de l’intelligentsia et des luttes africaines évoque une contribution à la construction d’un continent libre et respecté. Cheikh Anta Diop a démontré que l’Afrique était à l’origine des grandes civilisations ; Biya nie cette grandeur en s’accrochant au pouvoir sans projet, comme si aucun avenir ne pouvait être imaginé. Frantz Fanon a plaidé pour une élite postcoloniale radicalement nouvelle ; Biya incarne exactement celle que Fanon redoutait : déconnectée, égoïste, stérile. Kwame Nkrumah a rêvé d’une Afrique unie ; Biya, par son nationalisme de clan, ferme toutes les portes du panafricanisme. Amílcar Cabral pensait que la libération devait être intellectuelle avant d’être militaire ; Biya enterre cette idée dans un silence coupable. Joseph Ki-Zerbo valorisait le développement endogène par l’éducation et le savoir local ; Biya n’a laissé derrière lui ni école, ni doctrine, ni pensée. Il est un trou noir dans le ciel de nos espérances.

Face à cela, que reste-t-il ? Le souvenir de Thomas Sankara, mort à 37 ans, porteur d’une éthique révolutionnaire que Biya n’a jamais approchée. La sagesse de Mandela, qui sut quitter le pouvoir pour montrer l’exemple ; là où Biya s’accroche au fauteuil comme à un totem. La mémoire de Ruben Um Nyobè, effacée par Biya au profit d’un récit d’État amnésique et étouffant. Le rêve de Lumumba, trahi par le mutisme diplomatique d’un président incapable de défendre la souveraineté africaine. La pensée de Senghor, ignorée par un pouvoir sans souffle culturel. La littérature de Mongo Beti, aujourd’hui plus actuelle que jamais, car Biya en est le personnage principal : autocrate fatigué, protecteur d’un système mortifère.

Une caricature vivante : Biya valide tous les clichés coloniaux

C’est sans doute cela le plus grave : en agissant comme il le fait, Paul Biya ne fait pas que résister au changement, il donne raison aux préjugés. Il valide, un à un, les clichés racistes que tant de générations d’intellectuels africains ont combattu. L’Africain paresseux ? Il trône, mais ne gouverne plus. L’Africain corrompu ? Le Cameroun vit dans une économie de prédation, au service d’une élite vieillissante. L’Africain incapable de penser l’avenir ? Biya n’a préparé aucune relève. L’Africain obsédé par le pouvoir ? Il est là, à 92 ans, comme si personne d’autre n’était digne. L’Africain tribal ? Son pouvoir repose sur un système de clientélisme ethnique et de peur. L’Africain sans pensée ? Biya incarne le vide intellectuel, la parole creuse, l’absence totale de vision. Il n’est plus un homme : il est une caricature vivante.

Et ce faisant, il ne détruit pas seulement des institutions. Il sape les fondements mêmes de la renaissance africaine. Il ridiculise l’éthique politique, efface l’intelligence noire du XXe siècle, sabote l’avenir.

Paul Biya ne se présente pas à une élection : il orchestre un sabotage philosophique de la cause noire.

C’est une gifle à tous ceux qui, à travers les arts, les idées, les sciences, ont travaillé pour redéfinir l’Afrique. Une offense pour les penseurs africains qui, partout dans le monde, défendent notre humanité. Des générations de penseurs ont déconstruit ces images caricaturales de l’Africain avec rigueur, érudition, et passion. Le cinéma, la littérature, la philosophie, les arts, les sciences, les mouvements sociaux africains ont permis de bâtir une autre narration : celle d’un continent digne, multiple, tourné vers l’avenir, capable de penser le monde autrement.

Et puis… Paul Biya arrive.

À 92 ans, il annonce qu’il veut encore « servir » … ce faisant, il réactive un à un tous les clichés que nous avions cru dépasser et donne raison aux racistes…

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