Au Cameroun, la politique contamine la lutte contre le Covid
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Le régime de Yaoundé, qui n'a pas pris la mesure de la gravité de l'épidémie, a été concurrencé par l'opposition dont les membres, mobilisés dans des actions humanitaires, sont harcelés par le pouvoir.

Les fidèles qui attendent la messe dominicale sous l’orage respectent à la lettre les consignes de distanciation sociale. Dans cette église presbytérienne de Douala, la capitale économique du Cameroun, les sièges sont distants et les dévots sont priés de rapporter leur propre hostie et vin de messe. Mais la distribution de masques cousus par les croyants est à l’arrêt depuis une semaine. «Notre but est d’accompagner le gouvernement dans sa lutte contre le coronavirus. Mais, la police arrête celui qui aide son prochain, donc nous réservons les stocks pour nos familles», se désole le pasteur Celestin.

Le 11 mai, six membres de Survie Cameroon Survival Initiative (SCSI), une action de levée de fonds pour lutter contre le Covid-19, ont été interpellés à Yaoundé alors qu’ils distribuaient gratuitement des masques de protection et du gel désinfectant. Motif : rébellion. Mais on reproche surtout à l’association, créée à la hâte au début de la crise, d’être affiliée au Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le principal parti d’opposition.

L’initiative est née alors que Paul Biya, au pouvoir depuis trente-sept ans, se refusait en avril à s’exprimer ou se montrer publiquement, alimentant ainsi une énième rumeur sur son état de santé. S’engouffrant dans la brèche, Maurice Kamto – second de la dernière présidentielle dont il revendique toujours la victoire – lance alors un ultimatum au chef de l’Etat. L’accusant d’abandon de poste, l’opposant annonce la création de SCSI afin d’organiser l’autogestion des Camerounais face au virus.

Il n’en fallait pas plus pour braquer le régime de Yaoundé, qui fait geler les comptes de l’association au prétexte que la collecte de fonds n’est pas déclarée. «Les lois invoquées par le gouvernement sont obsolètes et désuètes. Elles ont plus de trente ans, avant la libéralisation du secteur associatif, déplore Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur l’Afrique centrale pour Human Rights Watch (HRW) et coautrice d’un rapport sur les arrestations. D’autres associations ou des églises collectent de l’argent sans le moindre problème. Mais même en pleine crise mondiale, le gouvernement camerounais est obnubilé par le MRC.»

Et, alors que le Cameroun dénombre officiellement plus de 3 500 cas et 140 décès et que le port du masque est devenu obligatoire dans les transports, les initiatives privées d’industriels locaux se multiplient à travers le pays.

«Pourrir dans un placard»

Faute de moyens suffisants, les hôpitaux publics peinent à répondre seuls à la crise et multiplient les polémiques. Aux témoignages de familles de patients, refoulés des centres agréés de Douala et condamnés à mourir chez eux, se sont ajoutées les plaintes de parents endeuillés, privés du corps de leur enfant testé positif et décédé. «Personne ne voulait s’occuper de mon fils à la morgue», enrage Falmata, dont l’enfant de 3 ans est mort de la malaria la semaine dernière. «Il est resté deux jours dans un sac posé dans un placard à pourrir, car le personnel n’est pas protégé et a trop peur d’être contaminé.»

Pour remédier aux lacunes du système de santé camerounais et façonner son image de père de la nation, c’est le président de la République lui-même qui s’affiche comme le premier des philanthropes du pays.

Carton de savons

Le 20 avril, il a effectué un don de 2 milliards de francs CFA (3 millions d’euros) en équipements sanitaires au fonds spécial de solidarité national créé par son gouvernement. Une somme qui représenterait 1 271 années de son salaire, entretenant la confusion entre son patrimoine personnel et celui de l’Etat.

Mais les donations du résident du palais d’Etoudi sont raillées sur les réseaux sociaux, où les Camerounais exposent leur joie feinte à la réception des quelques gels et masques alloués à chaque village. «Un carton de savons et 20 masques. Pour 800 personnes, ironise le chef traditionnel d’un village du centre du pays. Leur guerre d’ego coûte des vies et nous sommes trop démunis face au virus pour choisir un camp. Les masques ne votent pas, ils nous protègent tous de la même

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