Quel étudiant pour l’université
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: Quel étudiant pour l’université :: CAMEROON

Valait-il la peine de passer autant de temps sur les bancs, au secondaire et à l’université ? Ne valait-il pas mieux décrocher plus tôt et se lancer dans le commerce ou toute autre activité génératrice de revenus ? Cette question, des milliers de jeunes Camerounais se la posent aujourd’hui, après de longues études universitaires qui s’avèrent être sans issue pour eux. Du coup, quand ils jettent un regard sur le train de vie que mène un camarade de classe qui a abandonné depuis l’école primaire, ou qui n’a pas supporté les conditions dès la première année universitaire, ils ont la certitude d’avoir perdu du temps. Surtout que l’âge aidant, les responsabilités qui se greffent progressivement à eux, des parents qui prennent de l’âge et n’attendent plus que d’eux, tout cela contribue à leur mettre la pression, et dans l’incapacité de trouver la moindre solution, ils se sentent subitement inutiles.

En dépit d’eux-mêmes, ils se reconvertissent dans des activités sans lien avec leurs parcours scolaires. Conducteur de taxi ou de moto taxi, vendeur de fruits sur le bord de la route, coursier d’un parent. Cet état de chose se perpétue malheureusement au fil des années, et le plus grave c’est que des jeunes sortis de l’université se complaisent dans cette situation, s’ils ne passent pas le temps à se plaindre du système gouvernant et trouver que c’est l’autre qui est responsable de leur situation.

« Deviens qui tu es » disait le philosophe allemand Nietzsche, une façon de pousser l’être humain à se découvrir et prendre son destin en main. Mais les jeunes universitaires Camerounais ont-ils seulement compris cela ? Comment se sent en effet un titulaire d’un master sur une moto, et s’il s’arrêtait un seul instant et poussait la réflexion un peu plus loin pour se demander si c’est là qu’il devrait être ?

Dans un article intitulé L’université camerounaise, ses étudiants et ses professeurs Fridolin Nke, expert en discernement affirme : « Être étudiant, c’est donc faire exister et éclore son projet de vie. L’étudiant exerce systématiquement ses facultés et investit son temps dans la science, la technologie, les arts, les Lettres et les loisirs sains. Étudier à l’université c’est, comme le disait le philosophe Antoine Guillaume Amo, se constituer en « forçat des études ». Vous embrassez une nouvelle vie de la science, qui va s’articuler avec votre vie civile. Ne pas prendre la pleine mesure de vos responsabilités plongerait le pays, les cent prochaines années, dans d’irréductibles et meurtrières contradictions. »

Refus de s’engager

La réalité est que les étudiants dans les universités camerounaises, refusent de se donner des boussoles, des guides. Très peu s’inscrivent dans une faculté avec une vision, un engagement. Comment comprendre qu’un étudiant en troisième année universitaire hésite à répondre quand on lui demande quel est son projet de vie ? Que fait-il là depuis la première année, quels sont ses priorités ? La jeunesse dans l’ensemble au Cameroun, est devenue avec le temps un acteur socialement assigné à la passivité, la dépendance, l’incapacité, l’assistance. Mais l’étudiant est supposé être affranchi, ayant déjà franchi le cap de la terminale qui fait de lui désormais un homme ou une femme, au sens plein du terme. Et un homme, ce n’est plus de la passivité, c’est le refus de l’assistance.

L’entrée à l’université est l’étape ultime de l’engagement, on y entre pour être désormais utile à la société, et non plus dépendre de la société. On y entre pour revenir faire des propositions en famille et dans la société, mais pas pour revenir demander des solutions à la famille ou à la société. Et pour revenir faire des propositions à la société, il faut développer l’esprit inventif, créatif, et cela ne se fait pas en restant attentiste. L’étudiant ne devrait plus entrer à l’université pour suivre la foule, mais pour accomplir un projet de vie.

Le déni de soi

Il est vrai que la jeunesse à laquelle appartiennent les étudiants est embrigadée dans une société qui ne veut pas lui reconnaitre une place. Comme le dit Pierre Bourdieu, « la jeunesse n’est qu’un mot », à resituer dans son contexte, celui d’un champ de lutte générationnelle, entre « jeunesse et vieillesse ».

Les vieux, détenteurs de capitaux, cherchent à « maintenir en état de jeunesse, c’est-à-dire d’irresponsables, les jeunes […] pouvant prétendre à la succession.» Par ailleurs, « la classification par âge […] revient toujours à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place » Pierre Bourdieu retrace les réalités d’une société de domination où les forts tiennent à maintenir les rapports de force en cherchant à délégitimer les forces et les ressources des concurrents, cette réalité est celle des sociétés africaines en général et camerounaises en particulier. On est ici dans une société patriarcale et gérontocratique, celle de « l’idéologie d’aînesse » comme le disait Achille Mbembe, où la force et le pouvoir s’acquièrent par l’âge. Les jeunes sont ainsi tenus à l’écart de la prise de décision et de la gestion des affaires de la communauté. C’est ce qu’affirment Filip De Boeck et Alcinda Honwana :

« Alors même que les enfants et les jeunes forment en Afrique un groupe très important […] [ils] sont généralement perçus comme en marge des processus sociaux, économiques et politiques, et jouant souvent un rôle social peu prometteur »

Mais les étudiants se doivent de prendre pleine conscience de cette situation. Si le système éducatif n’est pas conçu spécialement pour les aider à éclore, cela ne leur donne pas le droit de croiser les bras et dire « on va faire comment. »

La différence entre celui qui n’a pas poussé loin à l’école et celui qui a atteint le niveau de l’université, c’est justement que le dernier a la capacité de trouver des solutions là où le premier est buté, et il est simplement contre nature que l’étudiant sorte de l’université avec le diplôme et viennent chercher les solutions de survie auprès d’un décroché, ou se bousculer en bordure de la route sur la moto. Il ne tient qu’aux étudiants de donner de la valeur à eux-mêmes, donner du sens au sacrifice pour eux consentis… par leurs parents.

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo