Manassé Aboya : « Pas de légitimité politique à partir d’une popularité virtuellement construite »
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Professeur, dans son message à la nation, le président de la République a rappelé que l’élection était la voie royale pour accéder au pouvoir. Un rappel nécessaire ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le processus de démocratisation dans lequel le président de la République a engagé l’État du Cameroun, notamment avec plus de conviction depuis la fin des années 1990, connaît souvent de nombreux dérapages et des mésusages préjudiciables à sa maturation. En effet, la socialisation à la démocratie n’est pas une entreprise qui va de soi. Aussi, la culture politique de participation qu’elle promeut reste-t-elle encore dévoyée et incomprise par de nombreux entrepreneurs politiques qui, à hue et à dia, se revendiquent pourtant démocrates. C’est la raison pour laquelle, on assiste assez souvent à des abus et des anti-jeux dans les arts de faire la démocratie. Ce qui retarde malheureusement le processus de socialisation à la culture démocratique. Pour illustration, cela s’est donné à voir, aussi bien pendant et après la dernière élection présidentielle. En effet, sous l’emprise de l’illusion d’une popularité incertaine, assortie de la revendication d’un prétendu « hold-up électoral » à grand renfort d’actes de provocation et de défiance politique, quelques formations politiques coalisées ont irrégulièrement mis à rude épreuve l’ordre public. Et, alors que l’occasion leur a été donnée de démontrer enfin ce qu’elles valent politiquement, à la faveur de la convocation du corps électoral pour les municipales et législatives du 09 février 2020, elles ont décliné l’offre de participation à ce double scrutin, essayant même en vain de convaincre d’autres formations de leur emboiter le pas.

Pris dans ce sens, l’opportunité du propos présidentiel qui consiste à rappeler que l’élection est la voie royale pour accéder au pouvoir n’est pas discutable mais appréciable, aussi bien dans sa fonction pédagogique que dans sa valeur politique. Pédagogiquement, ce propos présidentiel n’est qu’un énième discours d’éducation à la citoyenneté. Mieux, c’est une rhétorique de pédagogie politique qui apparait comme une contribution présidentielle au processus de socialisation aux valeurs démocratiques. Le portail des camerounais de Belgique (@camer.be). Politiquement, ce propos ne s’apprécie donc nettement mieux qu’en prenant en compte son rapport aux modes légitimes d’accession au pouvoir en contexte de démocratisation. Il s’agit donc d’un propos qui célèbre les principes démocratiques et promeut l’élection comme modalité de sélection des dirigeants politiques et d’accession au pouvoir.

Paul Biya a notamment insisté sur le fait que l’accès au pouvoir suprême ne relevait pas de la responsabilité de la presse ou des réseaux sociaux. Qu’est-ce-qu’il faut comprendre par-là ?
Soutenir que « ce ne sont ni les réseaux sociaux, ni tel ou tel organe de presse qui peuvent changer les résultats d’une élection », c’est davantage souscrire au sacro-saint principe démocratique selon lequel le peuple souverain est à l’origine du pouvoir. Par conséquent, il serait maladroit, voire subversif de prétendre tirer une quelconque légitimité politique à partir d’une popularité virtuellement construite dans les médias sociaux ou du fait de ses entrées dans tel ou tel organe de presse. Si les réseaux sociaux sont incontestablement des outils et des instruments modernes de communication politique, ils ne sauraient par contre se substituer à l’administration électorale pour imposer un résultat autre que celui qu’aura rendu possible le verdict des urnes. La politique virtuelle est essentiellement une fiction lorsque et tant qu’elle n’a pas d’assises sociales réelles. La popularité dans les médias sociaux peut même dérouter stratégiquement et conduire à de graves erreurs d’appréciation si elle n’est pas modulable dans les enjeux de quadrillage systématique du terrain. Mobilisés à des fins propagandistes, les médias sociaux peuvent donner l’illusion d’une popularité qui, sur le terrain n’est ni acquise, ni vérifiable. Les usages politiques qu’on en fait doivent donc être régulés et contrôlés pour éviter ces effets pervers qui se donnent à voir notamment lorsqu’on en fait des indicateurs de légitimité démocratique dans un contexte postélectoral. C’est le sens du propos présidentiel, qui en filigrane, amène à intégrer le fait qu’en démocratie, il existe des organes habiletés de part les lois à constater et à consacrer le vainqueur d’une élection et ces organes ne sont ni les médias sociaux, ni tel ou tel organe de presse.

Quelle peut donc être la place de la presse et des réseaux sociaux dans la promotion de la démocratie ?
Dans l’entreprise de promotion de la démocratie, la presse et les médias sociaux occupent une place de choix. En effet, la socialisation à la culture démocratique suppose qu’il y ait des vecteurs susceptibles de véhiculer et de relayer les valeurs, les principes, les croyances, les représentations et les perceptions qui fondent la culture démocratique. Dans cette perspective, la presse et les médias sociaux sont des vecteurs importants et décisifs de la culture politique de participation. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement, puisque les valeurs de tolérance, d’acceptation de la différence ou de l’autre, comme les valeurs de fair-play ne peuvent se généraliser et s’intérioriser durablement que si des relais communicationnels et des outils de communication sont mis à contribution. En réalité, les médias sont des baromètres de la vie démocratique, des lieux où se joue et se négocie la démocratie. Vu sous cet angle, ils contribuent à l’animation du jeu démocratique en tant qu’acteur et non arbitre.

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