Rétrospective 2019  : Crise anglophone,  le grand dialogue de sourds
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Les positions restent tranchées entre le pouvoir camerounais et les partisans d'un dialogue inclusif, sincère et sans conditions.

En cette saison des voeux, ceux de Paul Biya, le 31 décembre dernier, dans son traditionnel message de fin d'année à ses compatriotes s'est achevé sur une note optimiste : "En ce septennat des Grandes Opportunités pour le Cameroun, le Grand Dialogue National nous a ouvert la voie pour avancer résolument sur le chemin de la paix, de l’unité nationale et du progrès".

Alors qu'on entre dans la quatrième année d'un conflit qui dure, ces propos du chef de l'État résonnent comme un voeu pieux, car, admet-il lui-même dans le point qu'il fait de la situation sécuritaire dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, "nous avons constaté, ensemble, dit le président, que la situation sécuritaire dans nos régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest demeurait préoccupante", et plus loin, reconnaît-il, "C’est sans aucun doute, pour le moment, l’un des problèmes les plus urgents." La crise dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest, après le déni initial de certains collaborateurs du président de la République, va-t-elle enfin passer en tête dans l'ordre de ses priorités ?

Paul Biya s'est gardé dans son adresse à la nation de donner à ses compatriotes un bilan chiffré de la crise, sorte de tableau réel de la situation, brossé par la voix la plus autorisée, se contentant de quelques généralités : "L’activité criminelle des groupes armés continue de perturber la vie publique, économique et sociale dans ces régions", relève-t-il, avec une pointe d'agacement, alors même qu'il considère avoir multiplié les mesures d'apaisement : "Pourtant, ces derniers mois, remémore le chef de l'État, diverses mesures ont été prises pour ramener à la raison ces jeunes qui, pour la plupart, se sont laissé endoctriner. Des appels à déposer les armes leur ont notamment été lancés et des perspectives de réinsertion sociale ouvertes." Dans le registre des "diverses offres de paix" adressées aux insurgés, Paul Biya inscrit aussi "la libération de plusieurs centaines de détenus."

Statut spécial

Pour sortir de la crise, les solutions du président sont d'une part militaire, "pour ceux qui s’obstinent à demeurer dans la mauvaise voie et qui continuent à avoir recours à la violence, nous n’aurons pas d’autre choix que de les combattre pour protéger tous nos concitoyens. Nos forces de défense et de sécurité feront une fois de plus leur devoir avec mesure, mais sans faiblesse. Je veux ici les assurer de mon total soutien et de ma haute considération." D'autre part, le Grand Dialogue National qui, selon le chef de l'État, devrait permettre d’examiner les voies et moyens de répondre aux aspirations des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Et le début de la mise en oeuvre des propositions qui en sont issues : un projet de loi concernant la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme qui prévoit que l’usage de l’anglais et du français doit s’appliquer de façon égale à l’ensemble des institutions publiques a été adopté, et dans le cadre d’une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale et du Sénat, un projet de loi portant code général des collectivités territoriales décentralisées a été adopté dans le processus de décentralisation, notamment en ce qui concerne le statut des élus locaux, le fonctionnement des assemblées locales et l’attribution de ressources financières nouvelles et substantielles aux régions.

S'agissant particulièrement du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le statut spécial de ces régions prend en compte les spécificités du sous-système éducatif anglophone, de la Common Law et de la chefferie traditionnelle. Au total, Paul Biya mise sur les retombées du Grand dialogue national pour une sortie de crise. Cet optimisme du chef de l'État quant aux perspectives de résolution du conflit ne fait évidemment pas l'unanimité auprès de ses compatriotes et autres partenaires au développement du Cameroun. Le portail des camerounais de Belgique (@camer.be). Le Grand dialogue national n'a pas été inclusif, hurlent en coeur ces voix dissonantes. Parmi celles-ci, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la.renaissance du Cameroun (Mrc), classé deuxième lors de la présidentielle de 2018, il impute au régime en place le conflit armé "dramatique imposé" aux compatriotes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, accusant le pouvoir de refuser la tenue d’un dialogue sincère pour y mettre fin, martèle-t-il dans son message de fin d'année.

"Le MRC, lors des consultations ayant précédé le Grand Dialogue National, a proposé au Premier ministre une démarche inclusive et méthodique visant à mettre en oeuvre une solution durable à la crise", rappelle Maurice Kamto. Ce plan de sortie de crise prévoyait plusieurs points dont la libération de toutes les personnes détenues dans le cadre de la crise anglophone ; le cessez-lefeu négocié avec les groupes armés ; le retrait des forces de 3e catégorie ; la mise en place d’un Comité de désarmement, démobilisation, réinsertion (Cddr) ; l'assistance humanitaire et financière d’urgence pour le retour des déplacés et des réfugiés et leur réinsertion ; la mise en place d’une Commission vérité, justice et réconciliation ; et enfin le lancement du Large dialogue national inclusif (LDNI), avec l’accompagnement de la Communauté internationale", propose Maurice Kamto. Un large dialogue qui doit traiter d’autres sujets importants, notamment : la réforme du système électoral ; la réforme des institutions ; la garantie du respect des droits humains fondamentaux et des libertés publiques ; la garantie de l’indépendance de la Justice.

Pressions

L'optimisme de Paul Biya tranche aussi avec des positions déjà exprimées par des partenaires internationaux du Cameroun. Et l'une des plus fermes est celle des États-Unis, début décembre dernier, exprimée par Kelly Knight Craft, nouvelle ambassadrice américaine aux Nations Unies, au cours d’une réunion le 6 décembre 2019 à New York, qui a appelé la communauté internationale à s’impliquer davantage dans la recherche d’une solution pacifique à la crise. «Nous exhortons tous nos partenaires à s’impliquer dans la résolution de la crise au Cameroun en faisant pression sur le gouvernement camerounais et les séparatistes pour un dialogue sans condition», a précisé la diplomate.

Or pour Paul Biya, le dialogue a déjà eu lieu, " un grand moment de communion nationale", dit-il. Le temps est même desormais à la mise en oeuvre des recommandations qui en sont issues. Dans ce contexte, la configuration actuelle s'apparente à celle d'un dialogue de sourd entre le gouvernement camerounais d'une part et les partisans d'un dialogue ouvert, sincère, sans conditions. Et les positions sont tranchées. On n'est pas loin de l'impasse. Or plusieurs sources s'inquiètent d'un bilan de plus en plus lourd sur le plan humanitaire, entre 3.000 et 12.000 morts parmi les populations civiles, des centaines d’éléments des forces de défense et de sécurité tombés armes à la main, plus 50.000 réfugiés au Nigeria, des centaines de milliers de déplacés internes, des centaines de villages détruits, une pratique généralisée de la torture, des actes de barbarie et des exécutions extrajudiciaires, des arrestations et des détentions massives. Et sur le plan économique et social, on déplore l'arrêt des activités de nombreuses entreprises installées dans ces régions ; des milliers d’emplois détruits.

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