La loi de finances 2020 : Enjeux et controverses
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La loi de finances 2020 comme l’énonce son article premier détermine les Ressources et charges de l’Etat. Elle a en outre pour objet de définir les conditions de l’équilibre budgétaire et financier, d’arrêter le budget de l’Etat. Les Ressources et charges de l’Etat comme le mentionne l’article deuxième comprennent les recettes et dépenses budgétaires ainsi que les ressources et les charges de trésorerie et de financement.

La loi de finances a une fonction directrice dans l’action économique d’un Etat. Elle définit les grands axes de la politique budgétaire. Elle fournit une déclaration détaillée des priorités du gouvernement en matière économique. Il s’agit donc d’un document majeur. Or la grande presse ne semble lui avoir accordé qu’une attention très timide. Les grandes messes de l’audiovisuel comme canal presse, 7Hebdo ont fait le service minimum. Leurs modérateurs ont bien voulu s’y attarder, mais pour en faire une simple parenthèse de quelques minutes. Le débat sur cette loi s’est souvent limité à quelques questions très ciblées comme la baisse du budget. L’opposition SDF à l’assemblée nationale s’est davantage préoccupée du sort des zones anglophones sinistrées, promues au statut spécial par les résolutions du grand

dialogue national. Le projet qui fixe l’exercice budgétaire de l’Etat a bien eu de la peine à se faire une place dans une actualité envahie par la question électorale, le code général des collectivités territoriales décentralisées, lui-même piégé par la querelle sur l’autochtonie.

Pis encore, on rencontre sur la toile des articles qui parlent de la loi de finances 2020 en soulevant des problématiques qui ne s’y trouvent nulle part. Nous sommes là devant des phénomènes de manipulation et de désinformation. On peut s’interroger sur le profil des groupes d’influence qui se cachent derrière ces articles.

Certaines dispositions de la loi de finances ont plus que beaucoup d’autres une forte résonance du fait de leur portée politique et sociale. D’autres par contre intéresseront davantage le juriste professionnel, le comptable, le fiscaliste, le client habituel de la douane ou du trésor public…

Le chapitre premier de la loi est marqué par le souci de promouvoir le développement d’une industrie locale en exonérant des droits de sortie à l’exportation les produits ayant connu un processus de transformation au Cameroun.. La loi précise à cet effet :

<<La banane, les produits industriels manufacturés au Cameroun, les produits du cru d’origine animale, végétale et minière ayant subi une ouvraison substantielle ou transformés au Cameroun, au sens de produit fini, demeurent exonérés du droit de sortie à l’exportation >>

Par cette disposition l’Etat cherche à stimuler un certain nombre de créneaux considérés comme potentiellement porteurs. Le gouvernement camerounais recherche des hommes d’affaires pour investir dans 360 Projets industriels concernant la transformation locale des matières premières. Le ministère des mines a mis sur pieds une base de données de ces différents projets au nombre desquels on recense des projets allant de l’agroalimentaire à l’énergie en passant par la santé et les nouvelles technologies de l’information. Tout ceci semble s’inscrire en droite

ligne d’une préoccupation qu’on a rencontrée plus d’une fois dans les interventions du chef de l’Etat : Inciter les investisseurs, au moyen de divers dispositifs, à aller progressivement vers la transformation de la production locale.

Il n’est pas superflu de rappeler que plus d’une fois le premier ministre Dion Ngute a tenu des conseils de cabinets dont l’objet était de réduire l’importation de certains produits de première nécessité. Or la loi de finances appartient justement à l’outillage qui permet d’y parvenir en stimulant la transformation industrielle.

Si les produits locaux transformés bénéficient d’exonération, certains produits non transformés sont à leur tour lourdement taxés. C’est le cas des bois exportés en grumes. Soumis à un taux du droit de sortie de 30% dans la loi de finances de 2019 , ils ont reçu dans la loi de finances 2020 une taxation accrue située à 35%. Ce droit de sortie est fixé à 10% pour les bois ouvrés ou semi-ouvrés.

On peut voir dans le besoin d’augmenter la taxation du bois exporté en grumes deux préoccupations. La première est bien entendu le souci de dissuader l’exportation des produits non transformés (l’exportation du bois ne contribue que de 2% au marché du travail au lieu de 8% si le bois était transformé localement) et la deuxième est de freiner la déforestation. Or cette dernière considération est associée à des enjeux contradictoires : la déforestation génère des dégâts quotidiennement dénoncés par l’écologie militante. Elle met une pression accrue sur un nombre réduit d’essences. En même temps l’exportation des bois en grumes est une source considérable de devises pour les caisses de l’Etat. L’exploitation forestière procure au Cameroun le premier volume de recettes d’exportation hors hydrocarbure. La tendance pourrait d’ailleurs s’accélérer dans les années qui viennent grâce au port de Kribi, explique l’organisation internationale des bois tropicaux, dans un texte publié sur les circuits internationaux du bois.

La loi des finances augmente en outre la taxation des consoles et machines de jeux vidéo pour la situer à 25%.Elle était de 15% dans la loi de 2018. Faut-il voir dans

cette hausse, le besoin de freiner l’expansion de l’économie du loisir ? La morale constitue-t-elle la seule explication à une telle orientation ?

Une taxation plus lourde située au taux de 50% touche les produits cosmétiques contenant l’hydroquinone. Le quotidien gouvernemental Cameroun tribune explique cette mesure par le besoin de combattre la dépigmentation de la peau ?

La taxation du tabac située au taux de 30% dégage elle aussi un parfum de puritanisme.

L’importation des véhicules neufs destinés au ramassage urbain par taxi et autocar bénéficiera d’un taux réduit de 5% du tarif à l’importation. Ces véhicules doivent être acquis auprès des entrepôts de concessionnaires automobiles agrées et devront recevoir une immatriculation précisant qu’ils sont destinés au transport en commun de personnes. La mesure vise notamment à faciliter la mobilité pendant les grandes compétitions de la CHAN et de la CAN.

La réhabilitation des zones sinistrées prévue par la loi de finances 2020 a été l’un des points âprement discutés au sein de l’opposition SDF notamment, car certains parlementaires estimaient qu’elle devait s’accompagner d’une clarification du statut spécial proposé aux régions anglophones. Au demeurant la loi propose aux entreprises qui souhaitent s’installer dans les zones sinistrées, les avantages à l’importation au titre de la phase d’installation qui ne peut excéder 3 ans, des exonérations des droits de taxes de douane sur les équipements et matériels destinés au programme d’investissement. Au titre des 7 premières années de la phase d’exploitation, l’investisseur qui s’installe dans une région considérée comme sinistrée bénéficiera d’un taux réduit du droit de douane à l’importation d’équipements , de pièces de rechanges, et de matières premières non disponibles localement…Il bénéficiera en outre d’une exonération du droit de sortie à l’exportation des produits manufacturés..

Il est à craindre que tous ces avantages offerts au monde économique n’aient pas un véritable impact en l’absence d’une solution politique (au problème anglophone notamment) car il faudrait encore que les entreprises aient le courage de se rendre dans ces zones sinistrées.

La taxation du commerce en ligne fait partie des grandes innovations de la loi des finances. Les opérateurs des plateformes de commerce en ligne sont tenus de déclarer et de verser au trésor public la TVA sur la vente due de biens et services qu’ils rendent à partir de leur plateforme. Ils sont tenus de souscrire une demande d’immatriculation auprès de l’administration fiscale. Le non-respect de cette obligation donne lieu à la suspension de l’accès à la plateforme à partir du territoire Camerounais.

Peut-on réduire le commerce en ligne à ce que la loi appelle les plateformes ? La jeune fille qui propose à ses amies des produits de beauté sur Facebook, pratique aussi le commerce en ligne. Comment sera-t-elle fiscalisée ?

La taxation du commerce en ligne vise à élargir l’assiette fiscale : Une préoccupation permanente des pouvoirs publics. L’Etat a décidé de ratisser large pour mettre sous contrôle les circuits économiques qui échappent au fisc. On évalue de 20% à 30% la part de la richesse qui n’est pas soumis à l’impôt. Pour élargir l’assiette fiscale l’Etat s’est employé tour à tour ces dernières années à accroître la liste des produits taxables en y intégrant des produits longtemps épargnés comme les produits no-ligneux tels que le piment, la noix de cola, les feuilles de Eru, il a lancé la numérisation de la déclaration fiscale avec l’intention d’identifier tous les contribuables au moyen d’un fichier exhaustif de tous ceux qui sont assujettis à l’impôt que ce soit des particuliers comme des professionnels.. Le secteur informel dont le sort oscille toujours entre tolérance et surveillance du personnel de l’impôt intégrait chemin faisant les radars de cette obsession pour le quadrillage fiscal de toute l’économie nonobstant les protestations de certains économistes et sociologues, qui estimaient que le dynamisme de cette économie de la pauvretérésidait justement dans son spectacle d’anarchie et sa capacité à pouvoir se soustraire parfois de tout contrôle.

La nouvelle loi se montre très offensive en matière de contrôle fiscal. Selon les dispositions de la section I consacrée aux obligations fiscales, toute personne physique ou morale ayant des activités génératrices de revenus ne pourra plus réaliser des transactions financières au moyen d’un établissement financier s’il n’est pas clairement identifié comme contribuable.

On peut lire ainsi à l’article 1 Bis :

<< Le numéro Identifiant unique est obligatoirement porté sur tout document matérialisant les transactions économiques.>>

Et un peu plus bas à l’alinéa 3 il est précisé :

<<Toute personne physique ou morale visée à l’article L 1 du présent code ne peut effectuer des opérations ci-après s’il ne dispose d’un numéro Identifiant unique : - l’ouverture d’un compte auprès des établissements de crédit et de micro-finance ; - la souscription de tout type de contrat d’assurance ;

-la signature des contrats de branchement ou d’abonnement aux réseaux d’eau et/ou d’électricité ;

- L’immatriculation foncière

- L’agrément à une profession règlementée >>

L’article L 2 ter poursuit et précise :

<<Les contribuables à jour de leurs obligations déclaratives sont inscrits au fichier des contribuables actifs de la Direction générale des impôts.

En cas de défaillance déclarative d’un contribuable sur une période de trois mois consécutifs, celui-ci est retiré d’office dudit fichier. Il ne peut y être réinséré qu’après régularisation de sa situation fiscale.

Aucun contribuable professionnel ne peut effectuer des opérations d’importation ou d’exportation s’il n’est inscrit au fichier des contribuables actifs de la Direction générale des impôts.>>

Cette nouvelle offensive des pouvoirs publics obligeant les établissements financiers à exiger à toute personne physique et morale faisant des activités génératrices de revenus un numéro identifiant unique ne manquera pas de susciter de la controverse. On pense déjà du côté des banques qu’elle pourra baisser le niveau de bancarisation déjà très faible.

Il y a dans la loi une très bonne nouvelle pour la jeunesse. Il s’agit d’une mesure incitative, relative à la promotion de l’emploi jeune. A ce propos les entreprises relevant du régime réel qui recrutent dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée ou déterminée, pour un premier emploi, des jeunes de moins de 35 ans sont exemptes de charges fiscales et patronales sur les salaires versés à ces jeunes, à l’exception des charges sociales.

Il est très étonnant qu’une mesure d’une telle importance n’ait pas été commentée par les journalistes des médias officiels si prompts à complimenter le Leviathan.

La baisse du budget par contre n’a pas pu échapper à la vigilance des laudateurs. Elle a été applaudie par la presse officielle. L’enveloppe budgétaire passe de 5212 milliards de Fcfa en 2019 à 4951 milliards de Fcfa soit un déficit de 260,03 milliards représentant 5% en valeur relative. La télévision gouvernementale la CRTV y voit la nécessité de réduire le train de vie de l’Etat, de limiter les tensions de trésorerie dans un contexte de crise sécuritaire. Cela répondrait d’après la télévision d’Etat à une logique de transparence et à une meilleure traçabilité des dépenses de l’Etat.

Si on devait intégrer le logiciel mental de la CRTV on dirait que le budget baisse parce que l’Etat retrouve les vertus de la rigueur. L’argument est sympathique mais simpliste.

Un budget peut baisser pour diverses raisons : Parce l’ambition étatique recule, parce les recettes de l’Etat chutent, parce que l’avenir est sombre. La situation actuelle réunit ces différents cas de figure.

Il faut d’ailleurs signaler qu’un budget qui baisse est un phénomène que nous n’avions pas connu depuis longtemps. Le budget du Cameroun connait une hausse ininterrompue depuis 2008. Le budget de 2020 amorce une pente descendante. Est-ce un signe de la fin d’un temps ?

En restant le nez collé à la loi des finances 2020 on constate une légère baisse des recettes de l’Etat désormais situées à 3719, 2 milliards de francs CFA. Elles restent néanmoins supérieures aux dépenses courantes situées à 2 663, 4 milliards francs CFA. Ce qui donne de l’équilibre budgétaire une physionomie acceptable.

La loi de finances donne à son article quarante-neuvième, le détail des besoins de financements et de trésorerie : On y trouve le volume du déficit budgétaire global qui s’élève à 512,5 milliards, l’amortissement de la dette : 648 milliards, la dette extérieure : 302,2 milliards, la dette intérieure : 345,8 milliards, le reste à payer /arriérés intérieurs : 72 milliards. Le total des besoins de trésorerie et de financement est de : 1304,5 milliards.

Nous avons aussi en parallèle les différentes ressources de financement et de Trésorerie. On y trouve : Les prêts projets : 767 milliards, les émissions des titres publics : 320 milliards, les appuis budgétaires : 115,5 milliards, les financements bancaires : 102 milliards (dont compte séquestrés TVA : 72 milliards)..Le total des ressources de financement s’élève à : 1304,5 milliards.

En faisant un parallèle entre les ressources et les charges de trésorerie, on a un bon équilibre. Toutefois le volume des emprunts dont on aura besoin a pu laisser certains observateurs dubitatifs. Nous aurons besoin de 320 milliards comme émission de titre publics en 2020. C’est plus élevé que les 260 prévus dans le budget de 2019.Si on ajoute à cela le financement bancaire qui s’élèvera à 102 milliards, on va vers une accentuation du niveau d’endettement du pays qui dépasse désormais 35% du PIB.

Une information publiée le 20 Décembre 2019 par la division de la communication du ministère des finances sur la page Facebook du ministère en question fait état de la suppression de 3 comptes d’affectation spéciale. Il s’agit des comptes d’affectation des ministères de l’enseignement supérieur, de l’agriculture et du développement rural et de l’administration territoriale. D’après la division de la communication du ministère des finances, cette suppression est motivée par le fait que :

<< ces comptes fonctionnaient exclusivement sur la base des subventions versées à partir du budget général en marge des principes du régime financier du 11 Juillet 2018 . Cette loi précise que le compte d’affectation spéciale est financé par les ressources issues de l’activité du secteur dans lequel il est mis en place>>

La loi de finances annonce une chute des revenus du pétrole. L’analyse prévisionnelle les situe à 443 milliards de Fcfa en 2020 contre 531,8 milliards en 2019, soit une baisse de 88,8 milliards de Fcfa. Les revenus du pétrole viennent des redevances de la SNH et des charges des sociétés pétrolières.. A cela s’ajoutent les revenus qui issus de l’exploitation du gaz. La loi de finances annonce 293,2 milliards de redevance pétrolière pour l’année 2020. Pour ce qui est des redevances du gaz les projections les situent à 72,8 milliards de Fcfa. Les revenus liés à l’impôt sur les sociétés pétrolières se hisseront de 101,5 milliards.

L’incendie advenu à la Sonara le 31 Mai 2019 a fait vaciller la production pétrolière et a tiré à la baisse les prévisions sur les revenus du pétrole, au point de ramener le taux de croissance de 4,4% à 3,9%.

Lorsqu’on a fini de parcourir une loi de finances, on ne peut manquer de s’interroger sur la fiabilité et le crédit de certains chiffres à notre disposition. La loi donne un aperçu des moyens que l’Etat peut mobiliser, des performances qu’il peut réaliser. Et pourtant une loi de finances est aussi un document de communication qui cherche à rassurer. Il doit s’y dégager une impression de volontarisme. Ses prévisions peuvent aussi se révéler très fragiles dans un monde tumultueux et incertain. Une crise financière aux conséquences planétaires peut modifier radicalement la donne et tirer tous les indicateurs vers le bas.

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