Patrice Nganang: 'Je ne suis pas celui qui a inventé le tribalisme dans notre pays'
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C'est dans une émission, L'Entretien avec, que j'avais fait avec Thierry Ngogang, la première fois, que j'avais devant son insistance, spécifié ce que j'entendais par, le Cameroun est un pays inhabitable. Et surtout, le Cameroun est dans le cabinet. C'étaient des constats, empiriques, de ma propre vie et de mon enfance, pour expliquer pourquoi j'avais décidé de ne pas vivre dans ce pays - longtemps avant d'en être expulsé. Mais aussi pourquoi j'avais décidé de ne pas le laisser ainsi - d'agir donc. Au cœur de ce problème se trouve évidemment le tribalisme.

Le tribalisme est le cœur des problèmes de notre pays, évidemment parce qu'il y'a très peu d'actions, de chantiers publics, par exemple, qui puissent permettre aux gens de rêver de plus grand. Parce qu'on se bat pour si peu, la lutte devient ce que les Américains appellent dog fight, et le tribalisme en est la structure. J'ai également dit publiquement que je ne débats pas, mais agis, et cette phrase est retournée contre moi ces jours-ci. Elle est retournée contre moi, parce qu’évidemment notre pays ne sait pas ce que c'est que le débat. En la matière, je reviens toujours sur celui qui pour moi - et pour l'Europe de nos jours - a défini ce que c'était que la communication, et donc le débat: c'est le philosophe Juergen Habermas. La dynamique du débat est la suivante - un sujet est lance, est donc conceptualisé dans la scène publique, par des intellectuels, qui donc, font d'un événement, un problème - le problématisent. Le thématisent, dirait-on encore. De là, il devient une problématique politique, qui force chacun a prendre son camp, et le faisant, le thème embrase la fabrique sociale, dans toute sa profondeur. La société en débat donc, et c'est ici qu'on parle de débat. Ce débat se cristallise enfin dans l'écriture d'un projet de loi et entre dans le Parlement qui légifère et fonde une nouvelle réalité.

Je ne suis pas celui qui a inventé le tribalisme dans notre pays, je ne suis pas non plus celui qui a écrit des livres dessus, et ils sont très nombreux, ces livres-là, des livres académiques d'habitude, illisibles au final, même si de mes réflexions sur l'Etat tribal, je voulais faire un livre. J'y réfléchis encore. Je ne suis pas non plus celui qui a été au cœur des batailles tribales les plus virulentes de notre pays - par exemple en 1993, avec les années de braise, et les machettes a Ebolowa, Sangmelima, et ailleurs. Les pogroms de 1956-1970 sont là, la blessure sociale, et historique du tribalisme dans notre pays, avec des dates et des lieux de sang comme Tombel, Nlohe. La problématisation du tribalisme, qui a eu lieu sur cette page-ci, le 27 mai 2013, après être passée par la cave de Cameroon_politics ou j'avais public plus intelligent, a eu lieu sur un double concept, 1) la bamiphilie, et 2) la bamiphobie. Cette dualité (bamiphilie/bamiphobie) m'a permis déjà de singulariser un auteur, Mongo Beti, comme le premier exemple sur lequel problématiser le tribalisme. C'est ici que j'ai commencé à perdre mes amis - la première réponse à mon article, 'le tribalisme de Mongo Beti', était de composer un article, 'le tribalisme de Patrice Nganang', et de m'accuser, moi, de tribalisme - et ainsi de vouloir clore le débat dès sa naissance. De me faire peur donc: préhistoire de l'accusation d'ethno fascisme lancée contre moi par Owona Nguini en 2014. Et du 'génocide des Bulu' de 2019. Dire que le débat a été aussi virulent que la blessure historique chez nous est profonde - et sanglante! C'est ici aussi que j'ai commencé à bloquer des gens sur ma page. Des 2013 donc. De cet article sur le tribalisme de Beti à celui sur le tribalisme de Achille Mbembe et le dernier sur le tribalisme de Maurice Kamto, beaucoup d'eau ont passé sous les ponts - l'analyse du tribalisme de Henriette Ekwe m'a fait tout aussi perdre de nombreux amis - je pense ici a Koko Ateba. Et qu'en est-il du tribalisme de Ruben Um Nyobe - la c'était alors la catastrophe. Il ne me restait plus qu'une poignée de fidèles - et je les connais tous. Ils sont le coeur de Generation Change.

2012-2014, c'est dans Emergence que je tirais les conclusions pragmatiques du débat que je testais dans Cameroon_politics et menais alors sur cette page. Il m'a permis de connaitre autant les Camerounais que mon pays - et sur la base de cette connaissance, j'ai écrit un roman de 500 pages sur la Guerre civile dans notre pays, 'Empreintes de crabe' - 1960-1970. Roman publié en 2018 par les éditions Lattes. Car il était clair que la bamiphobie - c'était avant la guerre contre les Anglophones, et mon engagement dans celle-ci - était la matrice même de notre république, la constitution donc de ce qu'est le Cameroun - l'exclusion violente et la haine du Bamileke, autour de Ouandie. Voilà ce qui me rendait donc ce pays inhabitable, sa bamiphobie fondamentale, son exclusion du Grand Ouest, quand on y inclut les Anglophones, pour fonder un ordre politique qui survit par la propagande, par la haine des Bamileke, l'autre face du soleil. Structurer le débat a cependant demandé de mettre ceux qui sont au cœur de la machine du pouvoir, de l'Etat tribal donc, les Bulu, dans la position que nous, les Bamileke, avons toujours occupé. Que ce soit devenu explosif, est peut-être lié à la tactique utilisée - flip the coin -, a la déconstruction lente des stratégies du pouvoir - la propagande par le miroir -, ou alors au fait que je sois quand même le seul que Maurice Kamto ait trouvé nécessaire, au cœur de la campagne électorale, de condamner pour tribalisme, lui qui est Bamileke et qui de ce fait était le politicien le plus accusé de tribalisme. Structurer le débat sur le tribalisme, ce cancer de notre pays, demande doigté et chance. Il faut cependant une peau dure pour traverser ces deux ans qui étaient rythmés par une campagne des plus insidieuse sur le 'génocide des Bulu', campagne lancée depuis Kondengui déjà en février 2018, et qui vient donc de se casser les dents. Le débat public est clos, et l'Assemblée nationale acte la suggestion que j'avais faite déjà en juin 2013 - une loi antidiscriminatoire contre le tribalisme - clôt le débat qui n'a été que trop nauséabond et violent - surtout avec les émeutes de Sangmelima et de Ebolowa.

Un pays qui pénalise encore la sorcellerie devait être réveillé sur un crime qui nous a ouvert les portes d'un autre génocide. C'est fait.

L'Assemblée nationale peut donc acter, et clore le débat qui a duré exactement sept ans! Le tribalisme sera enfin un crime au Cameroun.

Il était temps!

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