S.M.Njitack Ngompe: Dialogue national: décider du choix entre la décentralisation et le fédéralisme»
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CAMEROUN :: S.M.Njitack Ngompe: Dialogue national: décider du choix entre la décentralisation et le fédéralisme» :: CAMEROON

Autorité traditionnelle parmi les plus en vue de la région de l’Ouest, il exprime les attentes de la région dans la perspective du grand dialogue national annoncé par le président de la République, Paul Biya, à la fin du mois de septembre 2019.

Le président de la République annonce la tenue d’un grand dialogue national, à la fin du mois de septembre. Est-ce que vous vous dites : «c’est la solution aux revendications dans le Nord-Ouest et le Sud-ouest» ?

Nous avons effectivement salué, avec beaucoup d’enthousiasme, l’offre de dialogue confirmée par le chef de l’Etat, lors de sa dernière adresse à la nation, le 10 septembre 2019. C’est une offre qui appelle tous les Camerounais autour d’une table. L’objet est d’engager un dialogue sur la résolution de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest. Mais aussi, aborder certaines questions qui peuvent négativement impacter sur notre vivre ensemble. C’est l’occasion de discuter de ces problèmes qui plombent la marche de la nation dans son ensemble.

Beaucoup d’observateurs estiment que la pratique de l’équilibre régional alimente le favoritisme et le tribalisme. C’est une opinion que vous partagez ?

L’équilibre régional, tel que défendu par le chef de l’Etat, fait partie des méthodes de gouvernance publique, usités depuis l’accession du Cameroun à l’indépendance. L’objectif était que tous les Camerounais participent à la construction du jeune Etat qui était mis en place. C’était une approche qui permettait au Cameroun de construire son unité et son développement malgré sa diversité. Cela permettait à tous les Camerounais de s’approprier l’évolution de la nation. A ce jour, la pratique de l’équilibre régional peut faire l’objet de nombreuses améliorations. Il y a des domaines dans lesquels seule la compétence est de mise.

L’opinion est divisée sur les questions liées à la décentralisation et au fédéralisme. Quelle option vous parait la meilleure ?

La constitution de 1996 évoque la mise en place de la décentralisation. Force est de constater que nous avons perdu beaucoup de temps pour son effectivité. Notamment dans le cadre du transfert des compétences et des ressources. Sa mise en place effective aurait permis de juger de la capacité des Camerounais à se développer et à faire de la bonne gouvernance une réalité. Chaque Camerounais souhaite voir sa région se développer. Nous pensons que le dialogue national va nous permettre de situer et apprécier le degré d’autonomie dont jouissent les Camerounais, dans le cadre du développement de proximité. Cette circonstance permettra aussi de décider du choix à faire entre la décentralisation et le fédéralisme. C’est le temps d’apprécier l’efficacité des lois adoptées depuis la promulgation de la constitution de 1996. Plus de 20 ans après, il parait important de savoir si le niveau des transferts a permis aux régions de se développer. Les populations attendent plus de concret dans leurs vécus quotidien. Nous pensons aussi que l’autonomie requiert beaucoup de responsabilité. Force est de constater que certains secteurs, qui ont fait l’objet des transferts, ont donné à voir des légèretés dans leur gestion. Il faut aussi noter que les populations n’ont pas souvent compris qu’il leur revient de contrôler l’action de ceux à qui on transfère les ressources et les compétences. C’est cela le dilemme. Nous espérons que cette question sera abordée et franchement débattue. Il est question de faire le choix d’une forme d’Etat qui permet à chaque région de se développer raisonnablement.

L’annonce du «grand dialogue national inclusif» intervient alors que de nombreux leaders de la revendication anglophone sont toujours en prison. D’autre part, des contestataires du processus électoral restent aussi enfermés. Est-ce qu’on ne peut pas penser que cette situation peut jouer en défaveur de l’apaisement souhaité ?

Le chef de l’Etat a indiqué, lors de son adresse à la nation, qu’il dispose d’un droit de pardon. On peut déduire, probablement, que ces assises vont également se prononcer sur ces questions. Cela pourrait être l’occasion d’implorer notre chef de l’Etat, afin qu’il voit dans quelle mesure quelque chose peut être fait pour détendre l’atmosphère. Toutefois, lui-même a dit que lorsque des gens ont commis des actes condamnables par notre justice, il faut d’abord laisser la justice faire son travail. Après que la justice a fait son travail, le président de la République dispose de son droit de grâce, qu’il peut accorder à qui il veut. Il faut maintenant que ceux qui ont commis des actes répréhensibles puissent être reconnaissants. Nous pensons que cette rencontre donne l’occasion à l’ensemble des Camerounais de dire ce qui peut être fait pour que tous les fils du Cameroun regardent vers la même direction. Dans cet ordre d’idées, le président de la République a accordé sa grâce à certaines personnes interpellées dans le cadre des revendications liées à la crise anglophone. Mais aussi, dans le cadre des contestations post électorales. Le chef de l’Etat a, par ailleurs, invité les jeunes qui sont encore dans les brousses à déposer les armes. Tout comme il les a exemptés des représailles. L’occasion de ce grand dialogue national doit permettre aux Camerounais, d’horizons divers, d’implorer la magnanimité du chef de l’Etat, afin que quelque chose soit fait pour décrisper l’atmosphère générale du pays. Il est question de remettre tous les camerounais au travail, pour l’émergence de notre pays.

Vous êtes une autorité traditionnelle parmi les plus en vue de la région de l’Ouest. Quels autres points souhaiteriez-vous voir aborder lors du grand dialogue national annoncé à la fin du mois de septembre ?

Chaque région de notre pays a des problèmes qui lui sont spécifiques. Ces spécificités varient selon les départements, les arrondissements et les communautés. Ce dialogue est la meilleure instance où peuvent être posés les problèmes des camerounais. Nous pensons que c’est de là que va émerger les grands problèmes des camerounais. Ceux qui sont partagés par l’ensemble des camerounais. C’est à l’issue de cette synthèse que l’on peut procéder à des recommandations ou des résolutions qui permettront à l’ensemble des Camerounais de bénéficier de ces réflexions. Le vivre ensemble est l’un des points qui préoccupent tous les Camerounais. Comment procéder pour que les Camerounais vivent en communion et en harmonie et dans la paix ? Notre quotidien est marqué par des propos de haine et de tribalisme qui sont véhiculés dans les réseaux sociaux et certains médias. Ce sont des propos qui sont de nature à diviser les camerounais. Nous avons également des problèmes liés au développement social et celui des infrastructures. Il y a des questions liées au développement économique de notre pays. C’est des questions qui engagent tous les Camerounais. Ce ne sont pas des questions qui concernent une seule région. Nous pensons que les Camerounais doivent profiter de ce dialogue pour en débattre. Dans le même ordre d’idée, la répartition des fruits de la croissance pose problème. Les projets structurant ont commencé à prendre en compte des préoccupations dans certains domaines. Chaque Camerounais, d’où qu’il soit, aimerait voir son environnement se développer.

Au regard du temps qui reste avant la tenue du grand dialogue national, comment procéder afin que les aspirations et les avis de la majorité des cCmerounais soient pris en compte ?

Les Camerounais sont de plus en plus structurés. Le Cameroun compte des syndicats et des corporations. Les communautés sont, elles aussi, organisées. Tout comme les associations. Toutes ces organisations, dans leur fonctionnement quotidien et permanent, se préoccupent des questions liées à notre vivre ensemble et au développement national. D’autres ont des memoranda, comme en trouve dans presque toutes les régions du Cameroun. C’est des gens qui ont réfléchis au développement de leur région. Le grand dialogue national est un cadre qui va permettre au camerounais de poser ces réflexions et trouver des solutions à ces préoccupations. Je pense qu’il manquait juste un cadre d’échanger encadré. On ne peut pas penser que toutes les idées seront retenues, mais celles qui permettent que le Cameroun se mette sur les rails du développement seront certainement prises en compte. Elles seront remises à qui de droit, afin qu’il puisse les concrétiser.

Vous êtes le chef d’une communauté installée au cœur de la région de l’Ouest. A la lecture de l’histoire et l’observation du contexte, peut-on soutenir qu’il n y a pas de problème anglophone, bamiléké, béti, nordiste et autres, au Cameroun ?

Je l’ai dit : chaque région a des préoccupations qui lui sont spécifiques. Il est possible que ce qui est considéré comme problème ne soit en fait que des malentendus. Il est donc question d’en débattre afin que l’on se comprenne et, que nous acceptions de vivre ensemble. Nous avons des préoccupations liées à la prise en compte de notre culture, de notre développement et de notre place dans le concert national. C’est vrai que le problème du Nord-Ouest et du Sud-ouest est d’abord de culture linguistique. Ils tiennent à ce que cette culture anglo-saxonne soit prise en compte. Il me semble que ces problèmes trouvent progressivement des solutions au plan réglementaire. C’est le cas avec le système éducatif et le système judiciaire avec le Common Law. Au-delà du problème anglophone, le dialogue national nous permettra certainement de prendre en compte et poursuivre cette harmonisation en intégrant les spécificités et les préoccupations des autres régions qui ne sont pas seulement linguistiques. Nous pensons que le dialogue national doit aussi prendre en compte les préoccupations des autres régions, au-delà de la question anglophone. Le souhait est que les acteurs politiques implémentent les résolutions qui seront prises lors des assises. Il faut que ce soit un moment qui nous permet d’avancer vers l’horizon 2035, comme nous le souhaitons tous.

Comprenez-vous le débat qui campe autour des notions d’autochtone et d’allogène, contenues dans la constitution ?

C’est pendant la tripartite, en 1991, que les réflexions menées ont abouti à la prise en compte des notions d’autochtone et d’allogène. Certaines résolutions issues de ces assises ont été introduites dans la constitution et d’autres dans le code électoral de 1992. Ce code prenait déjà en compte la composition sociologique de chaque région et des différents espaces géographiques. Ces dispositions indiquent la qualité et la représentativité des personnes qui doivent prendre part à une élection locale. Ces dispositions favorisent la prise en compte de toutes les entités sociologiques qui existent dans chaque région. Et, dans chaque localité, il y a des entités qui sont autochtones et d’autres allogènes. On doit prendre en compte des gens qui sont nés dans une région dans la gestion de cette localité. C’est cette réalité et cette exigence qui a donné lieu à cette inscription dans les textes réglementaires. Ce sont des appellations françaises, certes, mais elles trouvent un sens dans notre contexte. Si on traduit cette réalité dans nos langues, aucun Camerounais ne pourra être contre leur existence dans la loi fondamentale.

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