Contrôle gouvernemental : Ce Parlement qui refuse d’enquêter sur l’exécutif
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S’il existe une volonté d’agir chez certains députés et sénateurs, ceux-ci sont rattrapés par le système de gouvernement.

Dans l’hémicycle, Cavaye Yeguié Djibril est interrompu par une salve d’applaudissements. Le président de l’Assemblée nationale vient de demander au Premier ministre, Philémon Yang, présent, et à son gouvernement, de faire preuve « de patriotisme, de civisme et de probité dans la gestion des ressources ». Le Pan dit qu’il craint des détournements dans la conduite des chantiers des deux Coupe d’Afrique des nations de football que le pays s’apprête à organiser en 2016 et en 2019.

Plus loin dans son propos, Cavaye est à nouveau acclamé. Cette fois, il a interpellé le gouvernement dans cette autre déclaration : « la Représentation nationale souhaite que soit accélérée le processus de redressement de Camair Co. Certainement faudra-t-il commencer par énoncer le bon diagnostic, pour ensuite appliquer une médication idoine. »

Le 2 juin 2016, au sortir de la séance d’ouverture de la session parlementaire à l’Assemblée nationale, plusieurs députés interrogés ont marqué leur adhésion au discours du Pan. C’est bien la preuve que la Chambre basse trouve à redire sur l’action de l’exécutif. En mars dernier, elle avait déjà exprimé au gouvernement son inquiétude à propos de l’organisation des Can.

Pourtant, cette représentation nationale n’est pas allée plus loin que la simple interpellation. Quelques ministres viendront peut-être à l’hémicycle répondre aux questions orales ou écrites. Sans plus. L’idée d’une enquête parlementaire n’est même pas à l’ordre du jour à l’Assemblée. Pourtant, voilà des mois que les médias relaient des informations de nature à inquiéter. Le Cameroun est en train de construire les stades les plus chers d’Afrique eu égard aux comparaisons faites avec d’autres pays ayant abrité la Can ces dernières années.

En juillet 2015, on apprenait que l’Etat négociait un financement de 550 milliards F.Cfa auprès de la Chine pour le seul volet infrastructures sportives : deux nouveaux stades à construire (Douala et Yaoundé), l’aménagement extérieur du stade de Limbé et du nouveau stade Omnisports de Bafoussam, la réhabilitation des stades Omnisports déjà existants (Yaoundé, Douala, Bafoussam et Garoua) ainsi que la construction des voies d’accès et réseaux divers autour de ces arènes.

Dans les détails, le nouveau stade de 60 000 places à Yaoundé va coûter 150 milliards F.Cfa. Or en Tunisie, un stade de même capacité de 60 000 a été construit à 52 milliards F.Cfa, avec 3 terrains annexes. C’est presque le tiers de la dépense du Cameroun. Au Mali, celui de Bamako à coûté 16,5 milliards F.Cfa. On est presqu’au dixième du cas de Yaoundé. Le stade de Douala, plus petit (50 000 places), coûtera aussi 150 milliards F.Cfa. L’écart semble trop important par rapport aux budgets du Ghana qui a payé 14,5 milliards pour un stade de 40 000 places, 19,2 milliards pour une arène de 21 000 places et le même montant pour un stade de 20 000 places.

L’Angola a construit un stade de 35 000 places à 58 milliards et deux autres de 25 000 places à 42,5 milliards et à 34,5 milliards. Quel que soit le niveau de perfectionnement des stades à construire au Cameroun, les écarts sont un peu trop importants. Par ailleurs, les nouveaux stades de Limbé et de Bafoussam devraient engloutir chacun 10 milliards F.Cfa pour les seuls aménagements extérieurs. On n’est plus loin de la somme nécessaire pour construire tout un stade flambant neuf comme celui de Bamako ayant coûté 16,5 milliards. Voilà qui est suffisant pour donner du sens aux inquiétudes du président de l’Assemblée nationale du Cameroun. Il fait bien de redouter des détournements comme lors de la Can de 1972.  

Demandes d’enquête bloquées

Pourtant, l’Assemblée nationale ne s’est toujours pas décidée à enquêter, tout comme elle ne l’a pas fait pour beaucoup d’autres affaires. Plus graves, les demandes d’enquête parlementaire n’ont jamais abouti. La dernière, celle de l’honorable Robert Bapoo Lipot de l’Upc, porte sur les drames survenus en mars à l’hôpital Laquintinie de Douala et à l’hôpital Central de Yaoundé, à la suite de la mauvaise prise en charge des patients. Le député a saisi directement le Pan qui n’a même pas répondu, alors que la nation entière était plongée dans l’émoi. Joshua Osih du Sdf a lui aussi essuyé le silence du bureau de l’Assemblée pour sa demande d’une enquête sur l’achat par le Cameroun de deux avions MA60 chinois à 34 milliards F.Cfa.  

L’honorable Osih a mené son enquête en qualité de rapporteur spécial en chargé des dépenses publiques. Pour cet expert en aéronautique, il y a eu des retro-commissions, car les deux aéronefs couteraient 9 milliards F.Cfa. En 2012, l’espoir était de mise après la demande d’enquête du Sdf sur les contrats d’entretien d’un avion de l’ex-Camair qui avait fait crash en 1995 et tué 71 personnes. Issa Tchiroma Bakary, à l’époque ministre des Transports, était visé. Si la demande avait passé le cap de la conférence des présidents, elle n’a guère prospéré par la suite. L’Assemblée nationale avait refusé de prendre en compte les dénonciations faites par l’ex-ministre Marafa Hamidou Yaya depuis la prison.

A l’Assemblée nationale, les demandes d’enquête parlementaire sur le travail de l’exécutif sont étouffées pour ainsi dire. Quant au Sénat, c’est à croire qu’ici il n’existe pas la moindre volonté chez les sénateurs à engager pareille action. En effet, depuis 2013 que la Chambre haute fonctionne, elle n’a enregistré aucune demande d’enquête parlementaire. A l’évidence, le Parlement camerounais refuse d’utiliser le plus puissant des instruments mis à sa disposition par la constitution pour contrôler l’action du gouvernement. En effet, le règlement intérieur de chacune des chambres parlementaires stipule que nul en dehors du président de la République ne peut refuser d’être entendu ou de fournir des informations dans le cadre d’une enquête parlementaire.

Plus encore, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale prescrit en son article 92 : « les commissions d’enquête parlementaire sont tenues de transmettre aux autorités judiciaires tout fait susceptible d’entraîner une sanction pénale dont elles auraient connaissance. »

Parlement impuissant

« Aucun parlementaire n’ignore le pouvoir que lui confère la loi. Il nous est même possible de renverser le gouvernement par une motion de confiance. Mais le problème réside dans l’incapacité des élus du peuple à exercer ce pouvoir », explique le députe Joshua Osih. Il faut alors se souvenir du sort funeste qu’a connu l’unique enquête parlementaire jamais menée au Cameroun. Elle remonte à l’année 1993. L’Assemblée nationale avait créé une commission pour voir plus clair dans la faillite de la société Cellulose du Cameroun (Cellucam).

En 1976, l’Etat avait investi 1 200 milliards F.Cfa dans cette entreprise pour produire de la pâte à papier. Hilarion Etong, actuel premier vice-président de la Chambre, avait présidé cette commission d’enquête qui était allée jusqu’en Asie pour mener ses investigations. Mais le rapport final n’est jamais sorti de l’Assemblée après qu’une copie soit partie en fumée dans un incendie. Pour l’honorable Osih, il ne faut surtout pas croire que les parlementaires, en tant que des individus, refusent de remplir leurs missions. C’est vrai pour les élus des partis de l’opposition ; ça l’est aussi pour quelques élus du Rdpc au pouvoir.

A bien le comprendre, le Parlement est prisonnier du mauvais système de gouvernement instauré au Cameroun. D’une part, les partis d’opposition représentés au Parlement ne peuvent rien entreprendre avec succès, car ils subissent la dictature du Rdpc qui est ultradominant. 148 députés sur 180 à l’Assemblée nationale ; et 82 sénateurs sur 100. « La majorité du Rdpc est écrasante dans le bureau de l’Assemblée. La commission des finances est présidée par un député Rdpc. Dans ce contexte, l’opposition ne peut rien », se plaint l’honorable Mbah Ndam du Sdf.

D’autre part, les élus du parti au pouvoir ne peuvent se départir des solidarités qui fondent le système de gouvernement en vigueur au Cameroun. Un système où tout part du chef : le président Biya. Ici, les positions ne semblent pas avoir de l’importance, car chacun est une « créature » du président. Un système clientéliste où les hommes du régime se partagent la rente étatique.  

Le parti contre l’élu

La réalité politique ainsi décrite est validée par plusieurs députés, même ceux du Rdpc. L’un d’eux explique que Cavaye Yeguié Djibril ne prendre jamais sur lui de laisser prospérer une enquête parlementaire, car il connaît où se trouve la ligne rouge à ne pas franchir. « A moins que le Pan ait décidé de quitter ses fonctions et de prendre sa retraite en prison ou en exil au Nigéria », ironise un autre élu du pouvoir. Cette posture d’analyse n’est guère partagée par Martin Oyono, député Rdpc, qui ne se cache plus pour dénoncer le fonctionnement actuel du Parlement et revendique la mise en place des commissions d’enquête parlementaire.

« Allez demander au président de l’Assemblée nationale pourquoi les demandes d’enquête parlementaire sont bloquées », lance-t-il. Des Martin Oyono, il n’en existe que très peu au Parlement. Il ne leur reste que des voies d’expression en dehors de l’institution parlementaire. Joshua Osih explique que les médias sont très importants dans sa stratégie : « Lorsque j’ai déposé une demande d’enquête parlementaire, je savais bien qu’elle n’aboutirait pas. Mais je comptais par là attirer les médias. Je me réjouis aujourd’hui qu’une enquête soit ouverte au Tribunal criminel spécial. »

En 1999, il a fallu que le Sdf mette la pression par le biais d’une enquête indépendante pour que la justice s’intéresse aux détournements au ministère des Postes et Télécommunications sous l’ère Mounchipou Seidou. Le ministre et 21 autres personnes furent finalement condamnés pour des détournements de fonds publics. Quel que soit la liberté de ton d’un élu, son appartenance à un parti politique limité forcément son action. L’honorable Martin Oyono avoue qu’il est menacé dans le Rdpc. Un député de l’opposition souligne combien il est important de toujours agir en tenant compte des intérêts du parti : « personne ne prendra le risque de déclencher une enquête parlementaire qui va détruire son propre parti. Il faut être réaliste. »

Ce réalisme ne vaudrait pas seulement pour les élus du Rdpc, il conditionnerait aussi leurs homologues de l’opposition. Il n’est pas superflu de rappeler ici ce que dit la sociologie politique sur les tares des systèmes démocratiques. Les personnes qui accèdent à des positions de pouvoir dans l’Etat finissent par former une seule et même classe, indépendamment du fait qu’ils appartiennent à des partis politiques différents et même opposés ou qu’ils se recrutent dans l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il s’agit de la classe gouvernante. Elle défend désormais le même intérêt : demeurer au pouvoir. Cette classe n’est plus au service du peuple des gouvernés.

Elle est à son propre service. La classe gouvernante obéit à la loi d’airain oligarchique. Les Etats démocratiques n’y échappent pas, chacun à un certain degré. Il n’y a donc pas à s’étonner de ce qui se passe au Cameroun qui, il faut le reconnaître, n’est pas si démocratique. Ce n’est donc pas pour demain que le Parlement enquêtera sur l’exécutif.

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