LAGDO : Un an de vie sans le maire
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Il y a douze mois que Mama Abakaï et 16 autres personnes étaient enlevés près de Garoua-Boulaï.

La canicule n’a pas faibli à Lagdo, ce 12 mars 2016. Il est déja 13 h 10. Pour se désaltérer, on nous conseille d’aller savourer une bière à «Mini Prix». C’est le bar le plus luxueux de la ville de Lagdo, l’endroit le mieux indiqué pour un rendez-vous galant. Et le lieu est bondé au 3/4. Il faut se frayer un chemin pour y trouver une place. Une fois installé, le compliment que nous faisons sur la qualité des installations oblige notre guide à dévoiler l’identité de la propriétaire des lieux.

«C’est le bar de madame Tchambia, elle fait partie des otages enlevés depuis mars 2015. Son mari est cadre à Eneo, sa famille vit ici depuis plusieurs années. Ce sont des Bagangté, mais depuis longtemps, ils ont imposé leur marque à Lagdo», dit-il. Le prétexte est tout trouvé pour faire part de notre projet d’apprécier l’atmosphère à Lagdo, un an après l’enlèvement du «maire». La simple évocation du sujet attire l’attention des clients sur place.

Un jeune homme, qui refuse de dévoiler son identité, nous supplie infiniment de le renseigner sur l’état de santé des otages. Ce trentenaire veut simplement savoir si les otages sont en vie. Face à notre hésitation, il fond en larme et se perd dans les couloirs du bar. Nous apprendrons qu’il s’agit du fils de madame Tchambia. Selon les témoignages, Flaurence Tchiambia est une femme débordante d’énergie. Epouse d’un cadre à Eneo en service à Lagdo, elle s’est investie dans les affaires et dans la politique. Son idée d’aller soutenir le sous-préfet qui enterrait sa belle-mère, courant mars 2015, lui a coûté cher, comme tous les autres otages.

MAMA ABAKAÏ

Fervente militante du Rdpc, Flaurence Tchambia sera l’une des grandes actrices du rayonnement de «Monsieur le maire». C’est ainsi qu’on continue d’appeler affectueusement Mama Abakaï, officiellement toujours maire de Lagdo et tête de file des otages. A la mairie de Lagdo, visiblement, tout fonctionne normalement. Le premier adjoint, sieur Abdoulaye et le deuxième adjoint au maire, Pierre Gessata, mettent tout en oeuvre pour assurer la continuité du service public. Mais le poste de maire n’est pas vacant. Ce samedi 12 mars 2016, nous tombons sur le troisième adjoint de Mama Abakaï, Madame Manou née Djakao en train de célébrer un mariage.

Un tour dans la salle de fêtes de la mairie nous permet de faire un constat. Deux grandes photos y trônent. A la façade gauche, celle du président de la République, et juste en face de celle-ci, celle de Mama Abakaï. Autre signe qui montre qu’un an après l’enlèvement de Mama Abakaï, on l’attend toujours à la mairie, c’est son bureau qui est resté dans le même état qu’il l’avait laissé. «De temps en temps, la secrétaire fait du ménage pour garder le cadre propre. Le bureau reste toujours fermé. Sauf quand on veut un dossier qui s’y trouve, c’est à ce moment qu’on l’ouvre. Mais tout est resté en l’état comme il avait laissé», affirme un proche de Mama Abakaï.

Le 19 mars 2016, soit un an jour pour jour de l’enlèvement, la mairie et les familles ont prévu d’organiser une messe oecuménique d’action de grâce en hommage aux otages, qui se déroulera à l’esplanade de la municipalité.

FAMILLE DAMA

Les 16 otages toujours en captivité, le quotidien de la famille Dama semble être très difficile. Madame Dama née Chakaba Catherine, qui fait partie des otages, a perdu son époux, ci-devant cadre d’Eneo Cameroun à Lagdo, le 16 septembre 2014. Elle sera enlevée le 19 mars 2015, laissant plus de 12 enfants à charge sans repères. Face à cette situation, Chantal, sa fille ainée âgée de 30 ans, a abandonné ses études universitaires pour rentrer prendre soins de ses cadets. Etudiante à l’université de Ngaoundéré dans la filière Géoscience et environnement, elle venait d’être admise en master, option hydrologie, à l’université de Dschang au moment du drame.

«Maman est partie brutalement, il fallait absolument agir. Le problème, c’est que même maintenant, nous n’avons pas de nouvelle. On ne sait pas s’ils sont en vie. Nous supplions les autorités de nous donner des nouvelles de nos parents. C’est très difficile. Vous ne pouvez pas imaginer le calvaire que nous vivons», lance sa petite soeur qui fond en larmes quand nous évoquons les souvenirs de sa maman. Pour survivre, la famille Dama doit compter sur la solidarité générale. C’est d’abord la mairie qui a pris l’engagement de subvenir à tous les besoins scolaires des enfants des otages jusqu’au dénouement de la situation. Mais le quotidien de la Famille Dama ne se limite pas à la scolarité.

Aucun des enfants ne dispose d’un travail décent. «C’est incroyable, mais je crois que c’est le Seigneur qui nous vient en aide au quotidien. Nous devons payer le loyer, chercher la ration quotidienne, veiller sur notre santé et bien d’autres problèmes. Il y a la mairie, le sous-préfet, les amis de nos parents et nos grands-parents qui nous apportent régulièrement des soutiens pour tenir. On nous offre des sacs de riz, d’autres vivres et céréales, de l’argent pour subvenir à nos besoins. Mais croyezmoi, c’est franchement embarrassant de vivre dans cet état, surtout sans garantie du lendemain », confie Chantal.

Au passage, elle nous révèle avoir été obligée de rentrer à Lagdo, en raison des chocs émotionnels graves qu’ont subis deux de ses cadets après l’enlèvement de leur mère. Transportés à l’hôpital, ils n’auront la vie sauve que grâce à l’intervention des âmes de bonne volonté.

EPISODES

Depuis l’enlèvement du 19  mars 2015. L’affaire a connu plusieurs épisodes. Il y a d’abord eu des affirmations selon lesquelles les preneurs d’otages exigeraient la faramineuse somme de 5 milliards Fcfa pour libérer les victimes. L’hypothèse n’a jamais été démentie. Mieux, le sous-préfet de Lagdo, Daouda Issa, l’a même confirmée devant le tribunal militaire au cours de mois de mars 2016. Toujours dans le cadre de cette affaire, une lettre mise en circulation au cours du mois de septembre 2015, signée par «Les populations de Lagdo» et attribuée aux enfants des victimes, sollicitait l’intervention directe du chef de l’Etat. Le courrier, une véritable diatribe à l’encontre du sous-préfet de Lagdo, rappelait également au président de la République tout le sacrifice que Mama Abakaï, ci-devant président de section Rdpc de Lagdo, et les autres otages avaient consenti jusqu’ici pour faire rayonner son parti, et sa politique dans la localité de Lagdo.

Plusieurs semaines après la diffusion de ce courrier, les enfants des victimes disent n’avoir jamais été associés ni de près, ni de loin à sa conception. Au cours du mois d’octobre 2015, en visite à Garoua, le Dgsn, Martin Mbarga Nguele avait indiqué à ses hommes dans le Nord que les autorités de la République savaient où se trouvent les otages et dans quelles conditions ils vivent, sans plus de précision sur la conduite à tenir pour la suite.

Le 8 janvier 2016, un procès s’est ouvert au tribunal militaire de Garoua. Le nommé Danlamy et 11 coaccusés sont poursuivis par le ministère public. D’après nos sources au tribunal militaire, ils auraient, en temps réel, informé les preneurs d’otages de la position de Mama Abakaï par téléphone.

«La dernière audience du procès au tribunal militaire m’a permis de découvrir plein de choses et suscite plein d’interrogations chez moi, notamment sur ce personnage de Danlamy qui est principal accusé. Mais il y a une chose que je ne comprends pas : je veux bien croire que les autorités nous donnent toutes les assurances qu’ils suivent le dossier, mais franchement, il y a des choses qui clochent.

D’abord, le jour de la prise d’otage, il y a eu un rescapé qui vit toujours à Lagdo, il déclare avoir marché sur plusieurs kilomètres avec les autres, et c’est parce qu’il était complètement épuisé qu’il a été abandonné. Ma mère, à son âge, près de 65 ans, qui ne pratiquait jamais du sport ne pouvait pas marcher sur plus de 4 à 5 km comme indique le rescapé, sans se reposer. D’ailleurs, elle n’aurait jamais tenu la route dans les conditions qu’on indique.

Alors, comment lui seul a été mort de fatigue ? La majorité des otages, y compris le maire, étaient dans sa situation. Comment aucune force de sécurité n’a pu intervenir, si c’est vrai qu’ils ont marché ?

Ces otages ont dû mettre plus de 3 heures sur la distance qu’on indique. C’est un peu curieux dans une zone connue pour le climat d’insécurité qui règne», tranche un des derniers fils de madame Dama.

Le maire de Lagdo, Mama Abakaï et les 15 autres otages ont été enlevés dans la nuit du 19 au 20 mars 2015 à Gbabio, localité située à une quinzaine de kilomètres de la ville de Garoua-Boulaï, alors qu’ils revenaient de Bertoua. Ils avaient effectués le déplacement pour assister aux obsèques de la belle-mère du sous-préfet de Lagdo, Daouda Issa. 

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