Moto taximan : l’animal en cage ?
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Le 17 septembre 2020, le quartier administratif de la ville de Douala, Bonanjo a connu une ambiance particulière créée par un groupe de conducteurs de moto taxi, qui avaient initié une manifestation spontanée pour le « soutien aux institutions de la république », et surtout pour dire non à la marche du 22 septembre. Ils ont été reçus par la plus haute autorité administrative de la région, le gouverneur Samuel Dieudonné Ivaha Diboua. Ce jour-là, l’interdiction depuis 2012 de la circulation des motos taxi dans ce quartier a été mise entre parenthèses, de même que l’arrêté signé 6 jours plus tôt par le même gouverneur interdisant toute manifestation non déclarée sur l’ensemble du territoire de la région. D’après le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune du 21 septembre, le même scénario a été observé à Yaoundé dans la région du Centre et à Bangangté dans la région de l’Ouest, deux autres régions où les gouverneurs avaient également signé des arrêtés pour rappeler qu’aucune manifestation non déclarée ne serait tolérée. Mais là n’est pas le plus important, puisqu’on ne peut pas reprocher au caméléon de changer de couleur.

Le manipulé qui s’ignore

Ce qui est plus frappant, c’est la déclaration de celui qui se présente comme le président de l’association des conducteurs de moto taxi à Douala, à la fin de la manifestation de soutien au régime : « Ce que nous disons aujourd’hui, en tant que moto taxi du Wouri, nous voulons faire comprendre à l’opinion nationale et internationale que ceux qui pensent détruire le pays en passant par les motos taxis, qu’ils sachent qu’ils ont raté le coach. Nous ne mangeons que quand nous travaillons nos 100 francs. Comme certains ont déjà dit qu’ils donneront leurs gouttes de sang pour déstabiliser le Cameroun, les motos taxis disent de la même manière qu’ils sont prêts à donner leur sang pour que le Cameroun reste debout. Quand il s’agit des intérêts de hommes politiques, ils appellent les motos taxis à se soulever, nous ne sommes pas ceux qu’on va seulement utiliser, pour atteindre certains objectifs, nous sommes des citoyens qui peuvent contribuer à l’émergence de notre pays, qui nous organisons pour attendre la Can dans notre pays. Nous voulons que l’image des motos taxis soit une image forte, constructive, nous voulons témoigner parce que les motos taxis ont joué leur rôle en allant voter. Notre rôle aussi c’est de veiller à ce que le désordre ne passe pas dans notre pays. Ceux qui ont fait la même chose en Côte d’ivoire, en Libye, en Centrafrique, qu’ils sachent que les Camerounais ne sont pas dupes, et nous sommes prêts à aller jusqu’au bout. Ceux qui veulent s’attaquer aux motos taxis, ceux qui veulent utiliser les motos taxis, nous allons leur démontrer que s’ils continuent, les motos taxis vont se lever contre eux pour dire que le Cameroun restera debout, et dans sa façon d’être, uni et indivisible. Nous voulons aussi lancer un appel à nos frères qui souffrent dans les régions anglophones, pour dire que nous avons vu des mamans pleurer, c’est ce que les gens veulent amener chez nous. Nous ne voulons pas la guerre à Douala. Même si c’est la guerre, nous disons que les motos taxis sont prêts à la guerre pour dire à ceux-là qu’ils fassent très attention, parce qu’il s’agit du Cameroun. Nous allons travailler, gagner notre pain quotidien et respecter les lois de notre pays, parce qu’il s’agit des institutions de la république. »

Respectueux de la loi ou de « leurs lois »

Pas besoin de s’arrêter sur le fond de cette déclaration, parce qu’elle avait tout l’air d’une dictée préparée. Des conducteurs de motos au Cameroun qui parlent de respecter la loi, c’est comme l’hôpital qui se moque de la charité. Une simple paque d’immatriculation n’est pas collée derrière ces engins qui font leurs lois dans les villes camerounaises. Dans un rapport sur la sécurité routière au Cameroun paru en août 2018, les Nations unies notent d’ailleurs que « ce secteur d’activité né du chômage des jeunes et de l’absence de transports publics fonctionne presque en marge de la réglementation, pourtant bien existante ». Le rapport onusien précisait que les chauffeurs de motos-taxis n’ont reçu aucune formation et ils conduisent souvent sans permis, tandis que la surcharge de passagers est érigée en règle. Aussi, Maximilien Opono Akoua, président du Syndicat national des conducteurs de motos-taxis organisés du Cameroun confiait à une journaliste de Le Monde Afrique que « C’est un secteur qui emploie beaucoup. Les motos chinoises, moins chères, ont envahi le marché, et des jeunes victimes de la pauvreté saisissent cette opportunité de gagner leur vie, sans forcément connaître le code de la route. A Douala, sept accidents de la circulation sur dix sont causés par les motos-taxis. »

L’animal en cage

Mais au-delà des aspects réglementaires, cette sortie traduisait davantage le niveau de déshumanisation de la jeunesse camerounaise, qui est arrivée à un niveau d’effacement de la conscience au point de se complaire dans la misère. Et elle ne s’y complait plus seulement, elle se bat pour s’y maintenir et défend avec énergie son territoire marqué, tout en adulant son bourreau. Le syndrome de Stockholm dans tous ses contours. Un peu comme un animal en cage qui agresse celui qui tente d’ouvrir la grille pour le laisser sortir, en le confondant à un agresseur, parce qu’il se contente désormais de la pitance quotidienne que lui lance de temps en temps celui qui le maintien en cage. Les 100 Fcfa du conducteur de moto taxi illustrent bien cette image. Quel est le profil de carrière d’un conducteur de moto taxi en réalité ? Le simple fait qu’ils sont interdits dans les quartiers administratifs est la preuve que ce n’est pas une profession, c’est une activité de subsistance, et l’on n’a pas de quoi s’en vanter. Et bien qu’il leur soit reconnu une utilité relative, les conducteurs de moto ne devraient pas se prendre la tête, mais réfléchir plutôt à un métier valorisant, en se disant bien qu’aucun gestionnaire sérieux de la cité ne laisserait sa ville être prise en otage par les motos taxis, à qui l’on attribue tout le désordre. Comme dit sa majesté Sokoujou Jean Rameau, « celui qui confond la lune au lever du jour, ne doit pas se plaindre de marcher la nuit. »

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