Rapport Commission Mixte Franco-Camerounaise:La chasse aux sorcières après les évènements de mai 55
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Rapport Commission Mixte Franco-Camerounaise:La chasse aux sorcières après les évènements de mai 55 :: CAMEROON

La page 199 du rapport dit ceci :« …..Face à ces traques, deux options s’ouvrent aux militants nationalistes : entrer et survivre au maquis ou fuir vers le Cameroun sous-tutelle britannique . Pour ce faire, ils et elles développent diverses techniques de dissimulation, aidé•es par leurs réseaux familiaux et militants. En région bamiléké, le syndicaliste Jean Mbouendé, menacé physiquement, se reclut dans ses plantations à 20km de Bafang, aidé par les agents de liaison, sa famille et des gardes, alors que son domicile à été pillé et incendié….. »

Le rapport fait référence à la note de bas de page N°272 page 199 qui dit ceci :
« Mbouendé Jean, Pour la Patrie, Contre l’Arbitraire….op. cit., p. 61-70 ; Archives Régionales de l’Ouest (ARO), 1 AA 508, Haut-Nkam, tableau comptable intitulé «  Terrorisme, pertes humaines et matérielles »(1958-1970). Démonster-Ferdinand Kouekam évoque la somme de 8 460 000 frans de préjudices faits à Jean Mbouendé . Kouekam Démonster-Ferdinand (2016), « Les troubles sociopolitiques et violences dans la localité de Bafang(1946-1971) », Mémoire de Master en histoire , Université de Douala, Cameroun.

Il conviendrait d’ajouter ceci pour une meilleure compréhension :
- Avant de prendre la décision de se replier dans ses exploitations agricoles de Kékem pour se frayer un abri dans un tronc de baobab mort, Jean Mbouendé va se rendre d’abord à Douala chez Kaminy Anatole . La traque va s’ntensifier et un de ses proches va informer le chef de région du Littoral sur sa présence et ses moindres gestes. Étant au courant, Jean Mbouendé va décider de rentrer dans ses plantations pour continuer à s’occuper de sa grande famille, renonçant ainsi à l’exil que lui conseillaient certains de ses camarades . Le même proche va informer l’autorité sur la date retenue et l’heure de son voyage retour en train. Monkam Clément va subtilement enlever Jean Mbouendé de New-Bell pour aller le cacher chez Léopold Moumée Etia à Deido en décalant le voyage d’un jour. C’est  alors que sûr de ce que l’animal était déjà dans l'étau, le pouvoir colonial va ordonner l’arrestation du train en plein milieu du pont du Wouri pour une fouille systématique qui va durer des heures, malheureusement pour lui, Jean Mbouendé n’y était pas et c’est après qu’on le fera traverser nuitamment le pont, couché derrière un camion conduit par Jean Yamdjeu pour Bonaberi. Et de là-bas il trouvera une occasion.pour Kékem ;

- Concernant les pertes, il est important de noter que ses détracteurs  avaient signalé sa présence dans ses plantations et le pouvoir colonial a mis de forts moyens à leur disposition pour le traquer. Quand ils n'ont pas pu, ils ont raconté, pour assurément se soustraire aux menaces, que lorsqu’on aperçoit Jean Mbouendé, il se transporme en plants de café. L’autorité a donc dépêché des camions entiers remplis de militaires en 1959 pour venir abattre les plants de café, dans l’espoir de l’assassiner mystiquement, mais en vain. 11 000 plants de café âgés de 08 ans et en pleine production sont ainsi détruites. Cela pourrait avoir un lien avec la somme de 8 460 000 francs évoquée dans les recherches de la commission.
- Il faut préciser qu’à l’époque 1FCFA valait 2FF.

Deux de ses épouses sont transportées manu-militari pour la prison de Maroua Salack. Une d’entre elle, Moukam, disparaîtra à jamais.
 
6- Vie au maquis

Le rapport dit à la page 229 ce qui suit :
« …..Certains leaders syndicaux sont contraints à prendre le maquis, à l’image d’un des fondateurs du syndicat des Petits Planteurs et membre de l’upc, Jean Mbouendé, déjà victime de poursuites judiciaires avant 1955. Et qui selon son témoignage et celui de ses proches, reste caché cinq ans durant dans ses plantations tout en effectuant les voyages clandestins à travers la zone frontalière vers Kumba… ».
Ici il faut ajouter qu’il allait à pieds à Kumba pour participer aux séances du comité directeur où il siégeait toujours comme assesseur. Il venait toujours avec les subsides provenant des souscriptions. Le dernier voyage a eu lieu en février 1956, marquant le début des violences atroces.

Le rapport fait référence pour cette partie aux notes de bas de page respectives :
- N°236 page 229 :
- « Archives régionales de l’ouest (ARO), Lettre du chef de la subdivision de Bafoussam R. Delaroziere au chef de la région bamiléké, Bafoussam, 10 juillet 1947, contenant le compte-rendu du 03 juillet 1947 sur la création du syndicat des Petits Planteurs ; Mbouendé Jean(1999), Pour la Patrie, Contre l’Arbitraire. Autobiographie Bafang, éditée par l’auteur ; entretien avec Clément Wensileudjam, réalisé par le volet « Recherche » de la commission le 22 mars 2024. 
- N°237 page 229 :
« Fin mai 1960, il sort de son refuge et demande à profiter de l’amnistie, il se rend à Douala et obtient un laissez-passer pour revenir à Bafang, Archives privées de Jean Mbouendé, attestation du ministre d’État chargé de l’Intérieur, Njoya Arouna, 01er Juin 1960
Voici ce qui s’est effectivement passé :

Sortie du maquis et pacification de la subdivision de Bafang 

Le 01er janvier 1960, depuis son refuge, Jean Mbouendé apprend que le Cameroun  est indépendant.  
Malgré cette actualité, le terrorisme continue de faire des ravages. Les règlements de compte aussi. Les anciennes rancunes font couler beaucoup de sang. Le pouvoir colonial ayant réussi à infiltrer le mouvement avec de faux nationalistes et d’autres nationalistes retournés dont le rôle était de commettre les exactions pour mettre sur le dos de l’upc en vue de la noircir.

L’administration française qui perdait en quelque sorte le Cameroun, un de ses champs d’exploitation, est mécontente.  
Dans la subdivision de Bafang, l’autorité continuait d’être tenue par un administrateur colonial nommé Dermont.

Dès qu’il lui est revenu  qu’au niveau de Douala, l’autorité avait  changé de mains et que le préfet, le sous-préfet et le commissaire de police notamment étaient  Camerounais, Jean Mbouendé a compris qu’il était temps qu’il quitte le maquis.  

Il ne pouvait pas pour des raisons évidentes se rendre à Bafang où l’administrateur local était encore un expatrié. 
Ses amis et camarades de Douala, à la suite des mesures d’amnistie générale et inconditionnelle prises par le président Ahidjo, envoyèrent une de ses épouses, Kadji Elisabeth dans son refuge pour l’informer  et éventuellement s’accorder avec lui sur la date de sa sortie, s’appuyant sur cet acte présidentiel. 

La date du 25 mai 1960 est retenue et ce jour là, ils envoyèrent une voiture à Kékem pour le transporter.
Son chauffeur était Simon Ngankam, beau-fils du nationaliste. Il était alors le seul courageux à accepter de jouer ce rôle. 
Pour éviter d’éventuelles tracasseries, il est arrivé vers 5 heures du matin.  

Jean Mbouendé sera enveloppé dans une grande couverture pour simuler une évacuation sanitaire.  
Au bout d’environ quatre heure de voyage,« l’ambulance de circonstance » arrivera à Bonabéri et le chauffeur, par précaution, n’a pas voulu franchir le pont sur le Wouri. 
Opportunément, un autre chauffeur de passage, va reconnaître le nationaliste et se réjouir de ces retrouvailles. Il va  accepter de le conduire bénévolement à New-bell chez Kaminy Anatole, refusant ainsi toute contrepartie.  

À  New-Bell, Jean Mbouendé sera reçu chaleureusement par son ami Monkam Clément, collaborateur de Kaminy Anatole dans la Société Générale du Cameroun.
C’est  d’ailleurs lui qui va informer par voie de téléphone le commissaire spécial, Kéou François, ainsi que certains autres  amis et sympathisants du nationaliste de la présence de Jean Mbouendé à Douala.  

New-bell  va ainsi faire le plein d'œuf  et le commissaire spécial va se joindre à la foule en début d’après-midi. 
Il va alors chaudement saluer le nationaliste et va le conduire à Bonanjo sous  bonne escorte de véhicules appartenant aux commerçants et hommes d’affaires ayant fermé  sociétés et boutiques pour se joindre à la fête.  

Le commissaire Kéou  présentera Jean Mbouendé au préfet du Wouri, Nséké 
Guillaume  qui s’est étonné de ce qu’il avait disparu aussi longtemps.  Jean Mbouendé lui a fait valoir qu’il avait disparu parce qu’il attendait l’indépendance du Cameroun et que maintenant qu’il se rendait  compte que les Camerounais avaient  pris le contrôle de la situation, il a estimé qu’il pouvait se sentir tranquille parce que dirigé par les compatriotes. 

Le préfet l’a longuement félicité et a demandé au commissaire Kéou de lui établir une carte nationale d’identité ainsi qu’une carte d’indemnisation,. Les faits ont suivi et la délégation est retournée à New-bell en fin d’après-midi sous les auspices des populations venues encore plus nombreuses.   

La nuit tombée, Jean Mbouendé sera insidieusement conduit à l’hôtel Akwa Palace où une chambre lui avait été réservée par son entourage. Y étant la clé avait disparu, ses amis, qui avaient flairé un danger, ayant pris les dispositions pour cela. Jean Mbouendé va finalement dormir à New-bell dans une case banale en nattes. 
En effet, aux environs de 19 heures, l’administrateur colonial expatrié de Bafang, Dermont, en provenance de yaoundé où il était pour les formalités relatives à son passeport liées à son retour définitif en France va débarquer à Douala où il sera mis au courant de la présence du nationaliste. Il décidera donc de faire sa « connaissance ».  

Rendu à New-bell chez Anatole, il va rencontrer le nationaliste et la conversation suivante va meubler cette rencontre : 
- C’est bien vous monsieur Jean Mbouendé ? 
- Oui c’est bien moi ; 
- Je voudrais qu’on se retire pour un entretien en tête-à-tête.  

L’entourage de Jean Mbouendé va s’y opposer farouchement et l’entretien va se poursuivre en ces termes : 
- Quand est-ce que vous comptez rentrer à Bafang ? 
- Je n’ai aucune idée. Tout dépendra de mes amis qui m’entourent là.  
- Dès votre retour, dites à vos chefs traditionnels de ne plus vendre leur filles aux enchères : c’est la raison pour laquelle beaucoup de jeunes gens ont opté pour le terrorisme.  
- C’est faux monsieur le sous-préfet. Au contraire, nos mœurs recommandent plutôt aux chefs de donner gratuitement leurs filles en mariage, sans prendre aucune dot. 
La conversation va ainsi prendre fin. Et il va s’en aller.  

Cest donc après cet échange que l’entourage de Jean Mbouendé, qui avait peut-être eu vent d’un danger, va rapidement aller récupérer ses affaires à l’hôtel et cacher la clé de la chambre. 

Le 27 mai 1960, soit 5 ans jour pour jour après sa disparition, Jean Mbouendé sera conduit à Bafang par une forte délégation( 15 voitures de tourisme) 
Il était urgent que les populations de Bafang sachent qu’il était redevenu un homme libre.

Il faut dire que préalablement au jour où on l’amène à Bafang, le président Ahidjo y avait envoyé 300 soldats de la communauté française venus du Congo-Braza, pour déloger les gens du maquis. Ils ont passé plus de trois mois à chercher des gens à déloger, il n’en ont pas trouvé. 

A suivre...

Lire le début de cette série sur ce lien: Rapport de la Commission Mixte Franco-Camerounaise: Éclairage sur le cas spécifique de Jean Mbouendé 

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