Lois : la porosité de l’assemblée nationale
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Dans une correspondance datant du 16 octobre 2020, le ministre des Postes et télécommunications Libong Li Likeng demandait au directeur de l’Agence de régulation des télécommunications de bien vouloir prendre part à une « réunion de concertation de Haust niveau, accompagné de ses collaborateurs compétents » prévue pour le 21 octobre 2020, au cours de laquelle ce directeur devait présenter le niveau de la mise en œuvre de la plateforme Paynow, servant de collecte des frais de douanes via téléphone, les difficultés rencontrées et les propositions de solution.

Cette correspondance était ainsi signée un jour après la date d’entrée en application de la mesure contenue dans la décision conjointe N°247/MINFI-DGD/MINPOSTEL-IGT du 13 mars 2020 fixant les modalités de collecte numérique des droits et taxes de douane sur les téléphones et les terminaux numériques. Depuis le 15 octobre en effet, c’est l’utilisateur d’un téléphone activé pour la première fois sur le sol camerounais qui devait payer les frais de douane. Mais d’après cette correspondance la plateforme qui devait servir de collecte n’était pas encore prête, encore moins validée par le ministère des télécommunications qui en assure le contrôle. Qui avait alors fixé la date du 15 octobre 2020 pour le début de l’opération, et sur la base de quoi ?

Rétropédalage

On en était encore à attendre cette réunion de concertation de « haut niveau » le 21 octobre, que le 19 octobre, une autre correspondance est servie à la nation, toujours en lien avec cette fameuse nouvelle technique de collecte des frais de douanes sur les téléphones et tablettes. Cette fois c’est le Secrétaire général de la présidence de la république, qui écrit au Secrétaire général des services du premier ministre, lui indiquant que le Président de la république demande au chef du gouvernement, de faire sursoir à la mise en œuvre de la collecte par voie numérique des droits de douane et taxes sur les téléphones et terminaux importés, et de soumettre à sa haute sanction un mécanisme plus approprié de recouvrement desdits droits de douane et taxes.

Copie de cette correspondance est faite au ministre des Postes et télécommunications et au ministre des Finances. Détails important, ce sont ces deux ministres qui devaient coprésider la réunion de haut niveau du 21 octobre 2020 réservée à la présentation de la plateforme numérique devant servir à la collecte. Le débat est donc désormais clos sur cette affaire.

Normes juridiques

Mais au-delà de l’incohérence des décisions gouvernementales une fois de plus exposée, la décision de sursoir à la mise en œuvre soulève un problème juridique. Dans une récente note explicative, la direction des Douanes rappelait que cette solution, qu’elle qualifiait d’innovante et révolutionnaire avait été présentée par le gouvernement au Parlement qui l’a approuvée et consacrée à l’article septième de la loi de finances pour l’exercice 2019. Laquelle loi a été promulguée dans les 15 jours suivant son adoption par le président de la République, plus précisément le 11 décembre 2018 conformément à la procédure d’adoption des lois, et la promulgation est synonyme d’entrée en vigueur. Cette loi dit à l’article septième :

« alinéa 1, les téléphones portables ainsi que les tablettes électroniques ou numériques peuvent être importés en suspension des droits de taxes de douane, à charge pour leurs acquéreurs de procéder au paiement desdits droits via un prélèvement effectué notamment lors des émissions téléphoniques. Ces droits et taxes sont prélevés et reversés au plus tard le 15 de chaque mois au service des douanes compétent par toutes les sociétés de téléphonie. Ces sociétés sont tenues, en collaboration avec les services de l’Etat compétents ou leurs mandataires, de configurer leurs systèmes de manière à éviter toute connexion à leurs réseaux respectifs par les téléphones et tablettes non dédouanés. Alinéa 2, les modalités d’application de cette mesure sont précisées par des textes particuliers. »

En respect de la hiérarchie des normes juridiques, une simple correspondance ne peut empêcher l’application d’une loi, qui a été votée par l’Assemblée nationale et promulguée. En cas d’extrême urgence le président de la république peut encore prendre une Ordonnance pour la bloquer, en attendant qu’elle soit transformée en loi lors de la prochaine session parlementaire.

Parlement poreux

Et cela nous amène plutôt à questionner une fois de plus le rôle que jouent les députés. Depuis novembre 2018 que cette loi avait été introduite à l’Assemblée nationale, qu’ont-ils fait pour la bloquer et demander sa relecture. Comme toutes les autres lois, elle est passée comme lettre à la poste, accompagnée des applaudissements de ces élus de la nation, qui n’ont pas manqué de se féliciter à la fin de la session pour la « qualité des travaux. » Perdiem et frais de session empochés, ils sont repartis. Si on peut relever à leur décharge, qu’ils n’ont pas eu le temps de la lire sur le moment, du fait de l’habitude du gouvernement de ne pas respecter le délai de 15 jours prévu pour leur soumettre les projets de lois, il reste qu’après adoption et promulgation, ils pouvaient toujours la contester lors des sessions suivantes. Mais cela fait deux ans, au cours desquelles ils se sont retrouvés 5 fois. Ils n’ont pas levé le petit doigt pour dénoncer cette loi, si jamais ils se rappelaient même encore de son existence. La polémique née aujourd’hui sur la collecte des frais de douanes des téléphones sur les usagers, n’est plus ni moins que la conséquence de la défaillance du Parlement, Assemblée nationale et Senat confondus.

Ces deux chambres avaient joué leur rôle de contrôle de l’action gouvernementale qu’on n’en serait pas là, que les membres du gouvernement ne seraient pas en train de se marcher dessus et afficher aussi ouvertement l’incohérence de leurs décisions. Au final, il reviendrait aux partis politiques d’être un peu regardant sur la qualité des candidats qu’ils investissement pour les élections, si l’on veut avoir une assemblée nationale de qualité, qui ne laisse plus passer des lois suicidaires pour le peuple dont elle a pour mission de défendre les intérêts.

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