Et si l’Algérie parlait au Cameroun ? Entretien, avec le Pr SHANDA TONME
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En l’espace de juste quelques semaines un pays réputés être parmi les plus stables et les plus influents sur la scène diplomatique continentale et même mondiale, a basculé dans un processus de mutations profondes, suite une révolte de la rue. La révolte a entraîné la démission de son président, le très charismatique, malade et vieillissant Abdelaziz Bouteflika, là encore un des plus emblématiques. Ce pays c’est l’Algérie dont les bruits de la rue, en inquiètent plus d’un, et interrogent quelques autres. Comment y voir clair ? Comment comprendre ? Quelles conséquences ou quelle possibilité de transposition ou d’extension ailleurs ? On pense au Cameroun, mais pas seulement.

Avec notre spécialiste des questions internationales, le Pr. Shanda Tonme, nous essayons des réponses.

Pr. Shanda Tonme, pour commencer, que vous inspire globalement la situation en cours en Algérie ?

Nous assistons absolument à une révolte du peuple algérien, avec toutes les conséquences prévisibles et imprévisibles. C’est un soulèvement dont la spontanéité est incontestable, et dont les racines tiennent à la prééminence des exigences de performance politique des nouvelles générations, alliées aux frustrations sournoises, longtemps étouffées et mal contenues des fractions contestataires de la vieille garde. Il n’y a aucun doute, ce peuple a soif de changement.

Quand vous parlez de révolte au lieu de révolution, est-ce à dire que vous marquez des réserves quelconques sur la substance des enjeux et le sérieux des acteurs ?

D’abord, je souhaite que nous soyons clairs, afin que les uns et les autres ne se trompent point. Ce qui se passe dans ce pays n’a rien de nouveau ni d’original dans les expériences des mutations politiques suscitées par des colères populaires. Pourtant, il importe de faire une différence nette entre révolte et révolution. IL n’y a pas de révolution spontanée, et la différence entre les deux se situe dans la spécification doctrinale et idéologique. Se lever et exprimer une colère n’a rien de structurée. Par contre, construire une lutte, un processus de maturation du changement à partir des programmes, des enseignements, des appels et des préparations concrets, renvoi à autre chose, à une révolution. Un révolté n’est pas un révolutionnaire, et révolte n’est pas révolution.

Si vous prenez l’exemple du Cameroun, plusieurs révolte, y compris massives, se sont succédées depuis l’indépendance en 1960 voire depuis 1990, mais pas de révolutions.

Mais quand on voit qu’en moins d’un mois, on a fait partir le président, et pas n’importe qui, ne peut-on pas accepter qu’il y a là une révolution ?

Tout dépend vraiment de ce que vous entendez par révolution. Soyons précis sur le sens, l’étymologie et une certaine sémantique. Les colères populaires qui se crispent sur une situation ou prennent appui sur un incident, une erreur ou une défaillance des gouvernants, sont remplies dans l’histoire des nations. En termes appropriés, parce qu’elle couvre les attentes populaires, les demandes de changement systémique et de modification des bases des rapports humains et économiques, la révolution est par essence progressiste, et est menée par des révolutionnaires, ce que la révolte n’est pas. Et puis, je réitère que les révoltes n’induisent pas nécessairement des révolutions et ne conduisent pas forcément aux changements systémiques.

Essayez de baisser le ton académique pour mieux nous éclairer. Que faut-il penser pour les volontés qui s’expriment en Algérie, dans la rue, et qui appellent au changement radical de système ?

Non, non, non, à votre tour, méfiez-vous des vents subits et des explications simplistes. Allons au fond des clarifications, qu’elles soient à la fois académiques, factuelles, matérielles et idéologiques. Nous avons le cas de l’Egypte, et si vous voulez, même celui plus lointain de la Centrafrique de Bokassa. A chaque fois on a vécu des colères populaires, mais pas de révolution. C’est vrai qu’en Algérie, le mouvement est autrement plus amplifié, mais dans la substance, c’est toujours un soulèvement par rapport à un pouvoir jugé long, ennuyeux, construit sur des préceptes et des privilèges dont seule l’histoire explique les raisons. Une révolte peut être manipulée, ce qui n’est pas le cas pour une révolution qui est portée par des idéologues forts et convaincus.

Quand vous invoquez l’histoire, que répondez-vous à ceux qui veulent faire un parallèle avec le Cameroun, puisqu’ici aussi, il a existé un mouvement nationaliste, une lutte nationaliste et des héros nationalistes ?

Je vois bien que la situation en Algérie crée une sorte de demande de transposition par ici. Hélas, je regrette de vous dire que les peuples, les nations et les Etats, ne disposant pas des mêmes bases d’ordonnancement historiques, sociales et anthropologiques, il est très difficile de formuler une théorie générale des mutations politiques. L’Algérie n’est pas le Cameroun et ne le sera jamais. Par contre, il n’y a aucun doute que le processus de maturation et de soulèvement des peuples, résulte de façon générale des contenus voire des orientations institutionnelles des rapports entre les populations et les gouvernants. On peut dès lors affirmer qu’il existe un modèle vérifiable de fabrication de la colère, induit par le système de gouvernance.

Dans le contexte actuel, et pour être plus précis, qu’est-ce que les Algériens ont que les Camerounais n’ont pas ?

Retenez au moins qu’historiquement, la lutte pour l’indépendance en Algérie a été victorieuse, et a conduit au pouvoir les vrais et authentiques dirigeants du mouvement nationaliste, en l’occurrence le FLN (Front de libération nationale avec Ben Mbella et ses compagnons Boumediene et autres Bouteflika). C’est l’inverse qui s’est produit chez nous où ils ont été massacrés par l’armée coloniale et ensuite la soldatesque néocoloniale. Il ne s’agit pas seulement d’une question de nuance, il s’agit d’une question de substance, de consistance et de prestance idéologique.

A votre avis, est-ce là un commencement de justification de la colère populaire ?

Ecoutez, plus les anciens cadres du FLN vont s’en aller, emportés par la mort et la maladie, mieux une génération nouvelle sans précisions historiques et sans intelligences politiques par rapport au mouvement nationaliste, va se lever et bousculer les règles, violer les acquis et remettre en cause les immenses privilèges des anciens dirigeants jusque-là plutôt vénérés, craints, et marqué du sceau d’intouchable.

Faut-il voir dans la chute de Bouteflika, une sorte de sanction voire de moquerie pour les vieux dirigeants du FLN, et jusqu’où peut-on aller ?

Il faut faire très attention avec les éléments personnels de l’histoire. Je ne pense pas que l’on accepte de bafouer gravement les acquis d’une histoire si riche, lourde, sanglante et glorieuse de la lutte du peuple algérien pour la conquête de son indépendance. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir, car ce que vous oubliez, c’est que les jeunes qui se lèvent aujourd’hui, peuvent très rapidement être rattrapés par les réalités brutales de cette histoire. Il y aura donc à un moment ou un autre, un rappel à l’ordre pour ce qui est des grands symboles.

Vous parlez de quoi par exemple ?

Ecoutez, Bouteflika n’est pas le petit soldat qui a fait un coup d’Etat, ni le piètre autocrate qui organise des élections sur mesure, comme cela se fait de plus en plus, à l’instar des Comores récemment. C’est quelqu’un qui a été le plus jeune et sans doute un des plus intelligents et des plus efficaces ministres des affaires étrangères dans la décennie 1970 – 1980. Le diplomate a marqué l’Assemblée générale de l’ONU comme le plus jeune président de l’organe. L’Algérie puissante et respectée de Houari Boumediene, c’était au temps de Bouteflika. Ces gens-là, sont couverts d’un presque mythe. On ne bouscule pas ce genre de mythe sans faire attention ni sans choquer. Les gens qui ont fait la fierté du pays sont comme anoblis pour l’éternité. Certes, cela n’empêche pas que le peuple se lève, que de nouvelles générations interrogent et sanctionnent un pouvoir dépassé, vieillissant et devenu contreproductif comme on l’a vu en Angola. C’est pour cette raison que les révolutions de palais sont privilégiées comme à Cuba, et que les arrangements au sein même du clan des chefs de la révolution au travers du parti, forment le socle de la compréhension de l’évolution de la Chine, de l’ex URSS et de la Russie, du Vietnam.

Souhaitez-vous donc une révolution de palais pour le Cameroun ?

Vraiment, ne nous apportez pas la malchance. Comparaison n’est pas raison, et le Cameroun n’est pas un pays à dominance idéologique marxiste, populiste ou banalement avec une gouvernance fondée sur les doctrines d’organisation du centralisme démocratique.

Et maintenant, quand on parle de l’âge, qu’en pensez-vous par rapport au Cameroun où la sphère politique et exécutive officielle, est tenue voire confisquée par des gens tous au-dessus de 70 ans, ceux que l’on appelle les dinosaures ?

Je continue de refuser des parallèles qui nous amènent à de fausses projections, de fausses simulations et des comparaisons approximatives. Il faut absolument éviter de retomber dans nos erreurs des années 90. Certes, la classe politique partout où elle porte et présente le poids de l’âge, crée et entretien un mouvement de contestation d’autant plus légitime, que la composante jeune de la population est largement majoritaire, et que l’on constate une mauvaise répartition des richesses nationales, mais il faut privilégier le contenu, la substance, le fond de la revendication et non des éléments trop personnalisés. Un système parfaitement transparent et démocratique peut produire tous les éléments humains et politiques d’une gouvernance de court ou de long terme, mettant en exergue des ressources de divers âges. L’essentiel réside dans la perception de l’efficacité par rapport à la profession de foi, au respect de la constitution, à la sauvegarde des intérêts nationaux et au niveau de satisfaction des besoins courants voire primaires des populations dans tous les sens du terme.

Concrètement, quand on voit les Algériens se souler, descendre dans la rue et obtenir en peu de temps le changement, n’y a-t-il pas lieu de plaindre le cas du Cameroun ?

Nous sommes là, dans le genre de discours qui va nous perdre et qui a perdu de nombreux peuples. Je vous l’ai dit, l’Algérie c’est une histoire, son histoire, et c’est un modèle, son modèle, un modèle construit et articulé sur des bases nationalistes dont la flamme est restée vive et élogieuse. Retenez toujours que les comparaisons sont peut-être à faire seulement avec d’autres pays qui ont vécu de véritables luttes nationalistes victorieuses, et des révolutions triomphantes.

 A quels pays faites-vous allusion dans ce cas ?

Prenez l’ex URSS avec la Perestroïka et la Glasnost de Michael Gorbatchev, la Chine avec la révolution culturelle puis la libéralisation de Ten Tsiao Ping, et vous entrevoyez quand et comment des systèmes glorifiés et bloqués sur des éloges de triomphe révolutionnaire, entrent dans la tourmente, font la crise et se renouvèlent avec un discours différent, des dirigeants différents et des visions différentes, le fond idéologique demeurant cependant intact.

Les Camerounais sont-ils maudits ?

Personne n’est maudit, ni aucun peuple, ni aucun fragment d’une nation. Il faut s’asseoir et penser stratégiquement le destin de son pays, de sa société. Je reçois de nombreux appels par-ci et par-là, avec la même rengaine : « voilà les Algériens qui avancent, et nous on fait quoi » ? C’est très enfantin de se projeter de cette façon. Les peuples n’ont ni les mêmes atouts ni les mêmes temps d’expression, de maturation et d’évolution. Il me semble que nous bavardons plus que nous n’agissons au Cameroun, et que nous rêvons débout quand il faut se prendre concrètement en charge, procéder à un examen de conscience sans honte et développer des actions seulement après une autocritique sévère. L’Algérie ce n’est pas la sorcellerie, c’est leur temps et leur façon.

Je reviens insister sur la différence nette, selon vous ?

Ecoutez, le Cameroun avancera forcément, changera et se restructurera. C’est inévitable, inéluctable et incontournable. Mais tout cela ne peut pas se faire sur la base du mimétisme ou des copies collées. Parvenus à un certain stade, les nations trouvent les combinaisons nécessaires, les voies et les moyens pour se refaire, organiser certains réglages nécessaires. Cela ne se décrète pas et ne s’importe pas. J’entends certains suivre les radios étrangères et se focaliser sur quelques déclarations des émissaires diplomatiques comme une voix et une voie divines. Ils ont tort, lourdement tort. Nous avons fait cette erreur en 1990 et il ne faut pas recommencer, il faut grandir, il faut évoluer et trouver les solutions sur place, en composant si nécessaire, en sachant transiger et transcender. La transversalité, la tolérance et le pardon s’imposent dorénavant dans la gestion et le renouvellement de tous les rapports humains.

Vous parlez des solutions sur place, mais comment ?

D’abord, se convaincre que nous pouvons changer, évoluer sans forcément sombrer dans le rejet, le chaos, la fracture sociale, ethnique et politique improductive. Dans le contexte actuel, on en vient à oublier que lorsque l’on évoque un système, on englobe tout le monde, y compris ceux qui sont aux avant-postes du discours radical. C’est là où l’Algérie nous parle, c’est-à-dire en permettant de bien observer, de bien faire la différence, de bien connaître ce qui fait quoi, qui peut faire quoi, qui doit faire quoi et où on veut aller. Si ce n’est pas clair dans la tête, il vaut mieux ne pas s’engager.

Professeur, pouvez-vous préciser votre pensée

Ecoutez, les Algériens ont eu le mérite, à la différence des Français, de produire un mouvement de demande de changement, qui n’a pas eu besoin de casser, de tuer, de mettre à sac les outils de leur économie. C’est admirable, c’est à féliciter. Mais de là à se laisser aller à un discours jusqu’auboutiste qui veut tout abattre, tout chasser et tout changer, il y a une faute qui se profile à l’horizon avec des regrets. Ce n’est pas la même génération qui a fait la guerre d’indépendance ni conduit le pays aux immenses prestiges et succès diplomatiques sur la scène internationale.

Est-ce un signe de pessimisme ?

Ah non, il faut se féliciter chaque fois que des tabous tombent. Pourtant, Il y a lieu de faire très attention, parce qu’un soulèvement peut se casser la figure même après avoir obtenu des avancées significatives. En Tunisie, nous sommes toujours dans la quête des changements longtemps après le printemps, tout comme en Egypte. Je ne peux pas dire que je soutiens les ingérences étrangères au Venezuela, mais je ne peux pas tolérer qu’un pays si riche et qui était si prospère, soit devenu si pauvre, que sa population soit rationnée, s’enfui, se batte pour avoir un sceau d’eau, une heure d’énergie électrique par jour, un bout de pain. C’est un échec cinglant, un autre cas de révolution blasphématoire. Il importe donc de faire très attention. Les peuples ont besoin de pain, de soins, d’éducation et d’avenir meilleur pour leurs enfants, et non de misère,de désespoir et de démagogie avec des discours creux, de la propagande vide et une agitation stérile de circonstance pour la galerie. Le temps des bons discours pour capter l’attention est révolu, et c’est un très mauvais exemple pour nous. Que l’on soit de droite ou de gauche, conservateur ou progressiste n’est plus l’enjeu ni le sujet de débat. Ce qui compte c’est, on fait comment pour bien vivre, pour être plus libre et mieux respecté.

Apparemment vous voulez passer un message au Cameroun ?

Pas vraiment, mais à bien regarder, le discours qui porte nos ambitions de changement ici demeure brouillé, et est de plus en plus hors-jeu. Si nous voulons aller vers un pays transformé et requinqué, alors il faut autre chose, en haut comme en bas. A quoi servira-t-il de chasser un homme du pouvoir ou de mettre une ethnie entière en prison ? Il faut arrêter cette polarisation tribale inutile et dangereusement vindicative. Je refuse durement et radicalement ce discours, méchant et sectaire selon lequel, Paul Biya doit partir, les Bétis doivent quitter le pouvoir. C’est une véritable connerie et je sens monter cette connerie dans la suite de la rue en Algérie. On ne peut pas refaire un pays sur le socle de la vengeance et de la fixation sur une composante, un clan. On ne se défait jamais entièrement des ressources humaines d’un pays, on intègre tout, on fait avec tout le monde, les bons et les mauvais, les anciens et les nouveaux, les petits les grands, les vieux et les jeunes, et on avance. Ce qui compte, c’est une tête forte ou des têtes fortes, et des programmes forts.

Est-ce une dénonciation de l’opération Epervier ?

Si vous voulez, prenez-le ainsi, mais je ne me sens plus à l’aise dans cette présentation promotionnelle, ostentatoire et publicitaire de la correction publique. Une pognée d’individus ne peut pas être assimilée à tout un peuple, ou à une composante de ce peuple en termes de malfaisance et de conduite fautive. La démarche doit reposer sur le souci de réduire les causes, les motifs et les sources de cassure, de fracture, de distanciation et de crispation. J’ai peur de vous dire que nous sommes devenus une société où on jouit à voire les gens souffrir, à l’exemple de ces infirmières sataniques de l’hôpital de Deido à Douala qui sont contentes de filmer en temps réel, un enfant gravement blessé en train de mourir. Chez nous on est content de faire du mal, et les mauvaises nouvelles procurent une forme d’orgasme. On attend la bombe ou le grand accident pour commenter, pour partager sur les réseaux sociaux. On souhaite que des gens soient arrêtés et envoyés en prison. C’est grave, très grave. On a parlé de pays de merde, il faudra aussi parler de pays de diable, et nous entrerons dans ce classement.

Revenons à l’Algérie. Une contagion est-elle possible avec le Maroc ?

Je réitère mes premières observations sur la spécificité des contextes, en dépit de la généralisation du principe des mutations des systèmes, quant à l’émergence des colères à partir des insatisfactions résultant des rapports entre gouvernants et gouvernés. Les contradictions entre classes d’âge aux intérêts, à la vision et aux ambitions antagonistes ou différenciés, produisent inévitablement des chocs. D’abord, le facteur islamique qui joue d’un certain poids en Algérie, est presque inopérant voire contenu positivement au Maroc. Ensuite, ce sont deux modèles d’organisation sociale et de projection géopolitique presque opposés. Alors que l’Algérie est restée enfermée dans la logique du développement à partir des ressources pétrolières et la préservation d’un système et des ressources humaines de la vieille garde révolutionnaire, le Maroc a changé du tout au tout. En effet le royaume sous la conduite clairvoyante de son Roi, s’est diversifié, s’est projeté loin dans le monde et conquis des espaces nouveaux avec une génération nouvelle. Quand on analyse comment cette monarchie moderne a refait sa place en Afrique, il faut s’agenouiller et féliciter ce jeune roi visionnaire et dynamique.

Vous semblez si catégorique à propos d’une préservation du Maroc ?

Oui, parce qu’on ne saurait s’attendre à une contagion, ni à la moindre comparaison. Au Maroc ça va vraiment vite en termes de recherche de solution et de modernisation des repères, bien que ce soit après tout une monarchie. Et, diplomatiquement, le Maroc se place là où l’Algérie était dans les années Boumediene, et fait ce qu’elle faisait dans le champ des rapports internationaux.

Justement, le fait que ce soit une monarchie ne vous fait pas craindre des soubresauts à plus ou moins brève échéance ?

L’expérience des évolutions des systèmes et des régimes politiques, apporte dorénavant un cinglant démenti sur les fixations idéologiques en rapport avec la croissance des économies et le développement subséquent des nations. Le Rwanda à côté de nous parle et témoigne. C’est un régime autocratique, mais une dictature éclairée, axée sur la vision prospective d’une nation forte autour d’une volonté de conduire le développement et la modernisation du pays de façon autoritaire, positive et rapide. L’essentiel c’est le bilan et non plus la forme de l’Etat ou la nature du régime. Nous pouvons nous reporter également sur la Chine, et la même observation sera pertinente. IL en va de même pour l’âge des gouvernants, si l’on voit le président tunisien élu démocratiquement à plus de 85 ans.

Donc, ce qui compte vraiment, c’est le bilan, et le reste, vous laissez de côté ?

C’est très exact. Ni la forme de l’Etat, ni le système de gouvernance et la nature du régime politique ne sont véritablement cardinaux, déterminants dans la programmation et la projection des ambitions de modernisation et d’orchestration du bien-être d’un peuple, d’une nation. Je vous signale que la Suède, la Grande Bretagne, la Belgique, la Hollande, et d’autres grands pays développés et industrialisés à l’instar de l’Espagne, sont des monarchies.

En somme pour vous, les Camerounaises et les Camerounais ne doivent rien attendre de l’Algérie ?

Mais comment, est-ce leur pays ? Devraient-ils attendre ou entendre ce qui se dit, se fait ou se programme ailleurs, pour prendre leur destin en main ? Je crois que nous devons nous rassurer d’une chose : Le discours tribal, sectaire et inutilement vexatoire nous perd le temps et brouille les pistes de réflexion en condamnant les intelligences et les forces d’innovation dans le statique, la distraction et bientôt la perdition et le découragement, source de désespoir. Qu’est-ce que les gens ont à gagner à voir les prisons se remplir ou des têtes être coupées, des ethnies être vilipendées ? La seule nouvelle avancée dans le discours politique au Cameroun est cette connerie de sardinards et de tontinards, une vraie honte. Voilà tout ce que peut produire un pays qui a fabriqué de brillants intellectuels par centaines, des génies mondialement respectés et reconnus. Que voulez-vous que l’on fasse avec ça ? J’ai été très mal à l’aise récemment avec la sortie du père Fotso, c’est vrai, mais beaucoup plus encore par rapport aux réactions que par rapport à la substance et au contenu de ses déclarations, allégations ou allusions.

Vous vous êtes senti mal pourquoi, alors qu’il nous semble que vous vous êtes bien exprimé sur le sujet en condamnant ?

Quand on est toujours prêt à flinguer, à critiquer, à condamner sans même penser ni sonder une seconde interprétation, on court le risque de casser la société. Je ne suis pas parfait, au contraire, je suis même très bête parfois. Mais, dans le cas de la sortie du patriarche, j’ai insisté et j’insiste sur son âge, qui ne justifie rien certes, mais qui justifie et autorise quelques réflexions et quelques tolérances. Quand un patriarche de cette stature s’exprime, les enfants ne doivent pas sauter dessus et commencer à l’insulter au point d’oublier tout de lui, au point de ne pas se demander, s’il ne voulait pas dire plutôt autre chose, s’il ne voulait pas simplement prodiguer des conseils avec un autre verbe, une autre façon, une autre sagesse. IL n’y a pas besoin d’aller en Algérie pour chercher cela, et nous n’avons pas eu besoin des Algériens pour prendre la voie de la lutte pour l’indépendance avec l’UPC.

Est-ce parce qu’on a trop mélangé avec la situation de Yves Michel Fotso, que vous défendez, que vous vous êtes senti si concerné et même offusqué ?

Non, au-delà. Je crois que nous avons tous intérêt à voir le pays évoluer et les rapports de toute nature s’apaiser dans notre société. Un tel intérêt exclu les polarisations inutiles et choquantes, les épithètes inappropriées, la mélange des genres, l’intrusion dans les affaires des familles d’autrui. Honnêtement je n’ai pas supporté que l’on veuille insulter le père Fotso parce que son fils est en prison depuis dix ans. Ceux qui l’ont fait ont tort, car ils ne maîtrisent rien dans ce dossier, dans cette affaire, ni dans les rapports entre le père et le fils, ni dans les rapports entre le Chef de l’Etat et la famille Fotso, ni dans les rapports entre Yves Michel Fotso et le chef de l’Etat. Certes il est en prison, le fils, et le père est malade et âgé, mais laissez-les tranquilles, laissez-les dans leur situation. Nous ne commandons ni les voies insondables du seigneur pour chaque individu, ni le destin du monde et du Cameroun. Enfin, la famille Fotso n’a pas plus de problèmes que les autres ou des problèmes extraordinaires. Ce sont des problèmes humains.

Parlant de l’Algérie, quelle conséquence pourrait avoir le changement de régime qui se profile à l’horizon ou qui est pratiquement déjà acté, sur la scène diplomatique continentale, au sein de l’Union Africains, et de l’ONU ?

Comme je l’ai souligné, sans doute avec peu de précisions, la diplomatie mondiale et la diplomatie africaine, doivent énormément à l’Algérie. Je me souviens de mes nombreuses sorties dans les instances internationales multilatérales, où la diplomatie algérienne était le moteur du groupe du tiers monde, des non-alignés, du groupe des 77, des pays du sud etc. On avait fini par qualifier la diplomatie algérienne des années 1970 et 1980 de « rouleau compresseur », tellement elle savait enclencher un mouvement qui faisait trembler tout l’Occident, chambouler leur impérialisme et susciter l’espoir chez les faibles, les pauvres et les révoltés.

Cette diplomatie énergique est à l’origine de l’avènement de deux Africains à la tête du secrétariat général de l’ONU, Boutros Boutros Ghali et l’imbattable Kofi Annan. On lui doit encore la mise sur orbite du recentrage du débat idéologique et la reconfiguration des camps sur la scène internationale, à partir du sommet des pays non alignés à Alger. Houari Boumediene, le deuxième président algérien, fut quelque chose de magique, d’unique et d’impressionnant. Cet homme su incarner la révolution et en profiter pour impulser à la diplomatie planétaire, le venin de la transformation et du rééquilibrage des rapports des forces. On lui doit la transition d’un discours géopolitique et géostratégique EST-Ouest, vert un discours Géopolitique et géostratégique Nord-Sud. Les repères et les termes référentiels qui ont porté cette réussite, sont inchangeables, immuables et permanents dans la formulation de la personnalité diplomatique algérienne et donc de son action par tout temps et dans tous les contextes. Les grandes lignes demeureront intactes, tout comme les positions sur les principales questions : Sahara Occidental ; Palestine ; relations avec la France ; stratégies sous-régionales, régionales et institutionnelles.

Pensez-vous que les Algériens vont être bientôt heureux et sortis de la merde ?

Tout dépend de ce que vous considérez comme être heureux, et ce que vous entendez par merde. La France avec les gilets jaunes c’est quoi ? Et l’Amérique avec toutes ces histoires de mur à la frontière avec le Mexique, les fusillades dans les écoles au quotidien ? Le bonheur des peuples est très relatif, et les courants d’immigration et d’émigration qui se sont amplifiés témoignent. Ce qui compte, c’est la construction et la garantie de bonnes institutions, des bonnes pratiques de gouvernance. Si les Algériens réussissent à imposer des améliorations dans la gestion de leur pays vers plus de transparence, d’équité dans le partage des ressources et plus de régularité dans la rotation au sommet des institutions, alors ils auront accompli quelque chose de très important et de formidable pour maintenant, pour demain, pour après-demain et pour toujours. Voilà comment on pourrait apprendre, apprécier et prier que nous soyons assez sages au Cameroun, pour réussir aussi une évolution propre et adaptée à notre contexte, avec nos réalités, et selon nos problèmes, défaillances, fautes, atouts et ressources de toute nature./.

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