Minsanté : Où est passé l’argent de la vaccination des enfants ?
CAMEROUN :: SANTE

CAMEROUN :: Minsanté : Où est passé l’argent de la vaccination des enfants ? :: CAMEROON

2,1milliards FCfa de dons du milliardaire américain Bill Gates auraient été dilapidés entre 2008 et 2011 au Secrétariat technique du Comité de pilotage de la stratégie sectorielle de la santé, une structure rattachée au ministère de la Santé publique.  

C’est une affaire à fort relent de scandale financier qui est jusqu’ici restée dans une relative discrétion. Le journal français en ligne Mediapart, dans un article publié le 23 février dernier vient d’en révéler les contours. De quoi s’agit-il ? Depuis 2001, le Cameroun reçoit des fonds de Gavi Alliance, une organisation créée en 2000 par le milliardaire américain Bill Gates qui finance la vaccination des enfants dans les pays dits pauvres. Le montant total de cette aide est d’environ 3 milliards de FCfa. « Mais au lieu de servir à la vaccination, l'argent a été massivement détourné par un système de fausses factures.

Plus de 3,5 millions de dollars (Ndlr environ 2,1 milliards FCfa) se sont évaporés », affirme Fanny Pigeaud qui signe l’article de Mediapart, la consoeur se fondant sur un rapport d’audit réalisé au Cameroun par des auditeurs dépêchés sur place par l’organisation Gavi, basée en Suisse. Tout commence en 2011. Gavi s’inquiète de rumeurs d’une mauvaise gestion des financements donnés au programme de « Renforcement du système de santé », dont l’objectif est de soutenir « les performances de la vaccination » dans notre pays. Ce programme est géré par le secrétariat technique du Comité de pilotage de la stratégie sectorielle de la santé, une des multiples structures rattachées au ministère de la Santé publique.

70 % de la somme totale du financement

Sur la base de rumeurs persistantes, les auditeurs envoyés au Cameroun épluchent les comptes tenus de 2008 à 2011 par le secrétariat technique du Comité de pilotage de la stratégie sectorielle de la santé. Leurs conclusions confirment les soupçons : « La mise en oeuvre du programme Gavi RSS […] est totalement incompatible avec les règles élémentaires de bonne gestion quel que soit le référentiel de normes qui puisse être évoqué », disent les auditeurs cités par Mediapart. Ils évaluent en outre le montant des « fraudes, anomalies et irrégularités » à un peu plus de 2,1milliards F.Cfa.

Ce qui correspond à70 % de la somme totale du financement. Les techniques utilisées pour les malversations sont diverses et portent essentiellement sur des dépenses fictives, révèlent les auditeurs cités par nos confrères. Acquisition à plusieurs reprises et à quelques mois d’intervalle, des produits d’entretien en grande quantité : des centaines de flacons de Javel, de liquide vaisselle, de nettoyant pour vitres, d’alcool ménager, de nettoyant pour moquette, de désodorisant, de détartrant pour W.-C., des centaines de savons, de paquets de lessive, des milliers de rouleaux de papier hygiénique, des dizaines de flacons d’adoucissant lessive, etc « Sauf à faire commerce, il est matériellement impossible de disposer tout ce stock démesuré […] dans les locaux exigus » du secrétariat technique, soulignent les experts de Gavi. De plus, « l’achat de dizaines de boîtes de lessive en poudre pour machine, y compris de centaines de flacons de liquide vaisselle, ne s’explique pas dans des locaux n’ayant ni cuisine, ni lave-linge, ni lave-vaisselle »

Autre curiosité relevée par les experts de Gavi, 101 millions FCfa dépensés pour des cartouches d’encre, dont la majorité (66 %) sont « des encres non compatibles avec les caractéristiques des imprimantes utilisées. » Pour les auditeurs, une « telle consommation est impossible et aurait généré, dans le cas contraire, des millions de pages imprimées, ce qui est totalement invraisemblable ». Le secrétariat technique a en outre déclaré avoir acheté 2 070 000 feuilles de papier à 24 millions FCfa, alors que le « compteur du seul gros photocopieur affiche 40 000 feuilles consommées » au cours de la période couverte, soit un peu plus de trois ans.

Taux de surfacturation de 1 600 %

Les véhicules achetés neufs sur fonds Gavi, et encore sous garantie du constructeur ont fait l’objet de réparations pour des dizaines de millions de F.Cfa qui n’ont pas pu être justifiées, « soi-disant par des garages totalement misérables et non équipés pour ce faire, et pour des montants largement surfacturés si ces prestations avaient été réelles et réalisées auprès des concessionnaires. »

Pour établir toutes ces fausses factures avec des taux de surfacturation pouvant dépasser 1 600 %, précise Mediapart, le secrétariat technique a créé un « réseau de fournisseurs appartenant à un même promoteur », à qui il passe toutes ses commandes, quels que soient les produits ou prestations. Ces fournisseurs n’ont « d’existence que sur du papier administratif » et sont introuvables sur le terrain : le plan de localisation de l’un conduit « tout droit à un cimetière », le numéro de téléphone d’un autre est « un numéro officiel du ministère du tourisme », le plan de localisation d’un troisième « débouche sur un carrefour ».

De faux dossiers fiscaux ont été constitués pour ces entreprises fantômes. On accuse également le secrétariat technique d’avoir utilisé « le fractionnement des commandes », qui lui a permis d’éviter la procédure d’appel à concurrence prévue par le code des marchés à partir de 5 millions de F.Cfa.

A en croire nos confrère de Mediapart, l’Etat du Cameroun a dû rembourser à Gavi l’ensemble des fonds du programme présumés détournés. Et tout le scandale est là, bien résumé dans cet extrait de l’article de Fanny Pigeaud : « Non seulement cet argent venu de l’extérieur n’a pas servi à améliorer la santé comme il était censé le faire, mais le Cameroun a dû, pour le rendre à Gavi, prélever dans ses caisses des fonds qui, par conséquent, ne serviront pas non plus… à soigner les Camerounais. »

Le Jour s’est rapproché hier du secrétariat  technique du Comité de pilotage de la stratégie sectorielle de la santé. Ses locaux sont situés tout près de la Croix rouge à Yaoundé. Une source sur place fait comme un mea culpa : « Nous avons essayé de rectifier le tir. » La coordonnatrice en poste que nous avons rencontrée et qui s’est abstenue de tout commentaire occupe la fonction depuis moins de deux ans.

Le Jour a appris que c’est son prédécesseur, Dr René Owona Essomba qui était en fonction au moment des faits. Les enquêteurs de Gavi ont écrit dans leur rapport que celui-ci s’est montré indisponible de manière « quasi permanente » et a refusé de « répondre à certaines demandes d’éclaircissement. » Le Jour n’a pas pu le contacter. Mais selon nos informations, le Tribunal criminel spécial a déjà été saisi de ce dossier époustouflant.

Lire aussi dans la rubrique SANTE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo