Lutte contre le terrorisme : La nouvelle vie des populations à Maroua
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Passée la frayeur, elles intègrent tant bien que mal les nouvelles mesures sécuritaires dans les rues et les quartiers, édictées par les autorités.

Vendredi 24 juillet 2015. Il est 12h 20mn. C’est jour de la grande prière du vendredi. Premier vendredi après les attentats-suicide du marché central de Maroua et du quartier Barmaré ayant fait officiellement 15 morts et 32 blessés, même si des sources policières et médicales font état de 19 morts et une cinquantaine de blessés. Par petits groupes, les fidèles musulmans se rendent à la prière et à l’esplanade du lamidat. L’ambiance est toute singulière. Les visages sont serrés. Des policiers et trois militaires veillent sur les entrées du lamidat de Maroua encore en chantier. Non loin de l’entrée principale du lamidat de la ville de Maroua, des fidèles attentent audevant d’une résidence peu banale.

Il s’agit de la résidence de l’imam de la grande mosquée. Chacun veut avoir la bénédiction, les conseils et la doha (prière) de Cheik Mahmoud Mal Bakari, l’imam de la grande mosquée. Surtout, être dans les secrets de sa koutba (sermon) de ce vendredi 24 juillet 2015. « Monsieur le journaliste, je ne peux pas vous donner ce document. Il faut venir écouter. C’est top secret. Il n’y a que le lamido et mon assistant qui ont lu cette koutba », rétorque-t-il, le visage serein, à la demande du journaliste. Une dizaine de minutes plus tard, c’est l’arrivée du grand imam à la mosquée. Il n’a rien perdu de sa popularité habituelle. Ici, les mesures de sécurité ont été renforcées.

Des gendarmes et des militaires, par petits groupes, ont pris d’assaut ce haut lieu du culte musulman. Fouilles systématiques de tous les fidèles. Pas de prise de vue. Les tentatives du journaliste sont immédiatement réprimées par un officier de l’armée. « Pas de provocation. Ici, tout le monde est suspect et vous devriez respecter les instructions et les ordres. Je risque de confisquer votre téléphone », avertit-il. D’après lui, pour toute prise de vue, il faut une autorisation spéciale du gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, Midjiyawa Bakari. Pendant 18 minutes, Cheick Mahmoud Mal Bakari, va insister sur le pardon et les fondements de la religion musulmane. Presqu’en larmes, il va condamner les actes barbares des terroristes de Boko-Haram. D’après lui, Boko Haram ne représente pas l’Islam encore moins les musulmans.

« Il s’agit d’une bande de hors-la-loi. Vous devrez dénoncer les membres de cette organisation auprès des forces de sécurité et de défense pour notre sécurité », lance-t-il aux musulmans. Il demandera à chaque musulman et non musulman de la ville de Maroua d’être le policier partout où il se trouve, notamment dans sa concession, son quartier, son village et sa ville. Il est surtout question de protéger la vie de tous et de chacun. Il conclut son sermon par une prière pour le retour imminent de la paix : « L’islam est une religion de paix. Allah est grand, Allah est grand ». Une prière pour les morts est aussitôt dite. Une pensée aussi dédiée à la mémoire des victimes emmenées par leurs proches à la grande mosquée avant le départ pour le cimetière musulman de Dourssoungo.

Quelques minutes après la prière, c’est le retour à la grande mosquée du lamidat autour de sa majesté qui a convoqué les députés, maires, sénateurs, chefs de 3ème degré ainsi que les imams de la ville pour une séance de consultation et d’information. De cette concertation, il ressort que le lamido de Maroua voulait communiquer sur les nouvelles instructions du gouverneur de la région de l’Extrême-Nord dans la lutte contre Boko-Haram. Sa majesté Bakary Yerima Bouba Alioum explique vouloir débusquer les suspects et autres membres de la secte Boko Haram. Pour cela, il a instruit aux chefs de village, de quartier ainsi qu’aux maires et élites, de lui fournir, dans un bref délai, les noms, travail, provenance de tous les étrangers installés ou en séjour à Maroua.

« Il n’y a pas que les étrangers. Je veux le nombre de toutes les mosquées, les imams, les écoles coraniques, les noms et âges de tous les apprenants et leurs village d’origine », lance-t-il à ces sujets, la voix ferme. Midjiyawa Bakari, le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, explique que les mesures prises sont d’ordre militaire. « Les débits de boissons, les lieux publics ainsi que les regroupements sont interdits au-delà de 20h. Nous avons renforcé les mesures de sécurité autour des lieux de culte et des édifices publics », explique-t-il. Deux attentats en l’espace de 10 jours. Il n’y croit pas. « Nous n’allons pas céder et nous terrer dans une peur face à ces hors-la-loi. Le renseignement et la communication doivent être transversaux. Les populations doivent collaborer avec les forces de défense et de sécurité. C’est le seul moyen pour venir à bout des terroristes de Boko-Haram », explique-t-il. D’après lui, il a été aussi touché par le double attentat du marché central de Maroua et du quartier Barmaré. « Ma femme de ménage a été tuér dans l’attentat du grand marché. Elle n’avait pas demandé à mourir de manière aussi horrible », affirme le gouverneur, la voix pleine d’émotion. Il n’est question pour lui de laisser transparaitre une quelconque émotion ou la moindre peur.

Vie au ralenti

Ce n’est pas comme tous les vendredis au marché central de Maroua. Seuls quelques commerçants ont rouvert leurs boutiques. Sur la rue quittant du marché central pour le quartier Barmaré, les impacts de la déflagration de l’explosif des kamikazes sont encore visibles. La table du restaurateur ayant perdu la vie lors de cet attentat est encore sur place. Chaque passant s’arrête et s’interroge. Une prière est vite faite en mémoire des victimes. « Nous ne voulons pas encore vivre cette journée de mercredi passé. Nous voulons oublier et passer à autre chose », lance un curieux à l’endroit du reporter du Jour. Il dit avoir perdu des amis et des voisins dans cet attentat. Le long de la rue qui traverse le quartier Barmaré, il n’y a plus l’ombre d’un commerce. Ici, toute personne est suspecte. La vigilance est de mise. Et c’est chacun qui regarde ce qui se passe derrière lui, à côté de lui. « Nous sommes plus méfiants maintenant. On ne souhaite pas revivre ce qui s’est passé mercredi 22 juillet 2015 », avertit Yousouf Ali, un habitant du quartier Barmaré.

Selon lui, il n’avait jamais vu la dame qui s’est fait exploser dans le quartier. « J’ai grandi dans ce quartier. Nous ne connaissons pas cette femme qui s’est fait exploser. J’ai appris qu’elle proposait des dattes au gens avant de se faire exploser. Je ne peux rien vous dire de plus. J’ai secouru des victimes et son visage ne me disait rien », explique-t-il. Idem pour les petits commerçants et les propriétaires de magasin de cette allée jouxtant le marché central. Chemin faisant à l’entrée nord du marché central, ce flanc où 07 personnes sont mortes après l’explosion de la première kamikaze, la désolation est encore perceptible. Les tôles de cette rangée de boutiques de vendeurs de tissu et autres matériels de couture sont encore visibles. Les boutiques sont fermées. Toutes choses qui portent à croire que les commerçants de ce secteur portent encore le deuil. « Nous étions une famille. On se connaissait tous ici. Non, je ne suis pas venu ouvrir ma boutique. Je suis juste de passage », déclare Issa Bonedjo, un commerçant de ce secteur. Ceux qui sont présents sont peu diserts. Tous disent vouloir ne pas se souvenir de cette horrible journée.

A bord de notre moto taxi, nous reprenons le chemin vers l’entrée principale du marché de Maroua. Des badauds, des vendeurs de beignets et d’autres personnes sont visibles. D’autres sont couchés à même le sol, sur le sable. Autour d’eux, des vendeuses de « koki », jus naturel et des restauratrices de fortune sont installées. Au moindre geste ou bruit, tous prennent la fuite, comme pourchassés par le diable. Des éléments de la police et de l’armée patrouillent et dispersent les regroupements. Fouille et identification avant toute entrée au centre artisanat du marché central qui a été victime d’un incendie il y a quelques mois. Les coiffeurs de nationalité nigériane ont disparu. Idem pour les cordonniers. Seul deux sont visibles, avec leurs compagnons vendeurs de peaux tannés et matelas fabriqués avec du coton. Ils jouent aux sourds. Les hommes ne veulent ni parler et ni donner de renseignement à personne, sauf aux clients sollicitant l’achat d’une boite de cirage ou de la colle forte.

Du marché, nous nous rendons au stationnement municipal au quartier Dougoi. C’est dans cette partie de la ville que les dattes sont les plus vendues. Ils viennent de Kousseri, dans le Logone et Chari. Ici, l’on trouve plus de revendeurs. « Ils ne sont pas stables. Ils se promènent avec des brouettes. Repartez dans les agences de voyages ou au grand marché », nous indique un vendeur de fruits. C’est dans l’agence de voyage Mayo Tsanaga Voyage que nous rencontrons un vendeur de dattes. Il nous propose les différents prix de sa marchandise. A la question de savoir s’il connaît la femme qui s’est fait exploser en vendant des dattes, il entre dans une colère noire. Heureusement, elle est de courte durée. Les responsables de l’agence viennent en intervention. « Qui êtes-vous ? On peut vous identifier ?», demande un chauffeur. C’est ainsi qu’il raconte comment depuis le mercredi dernier, les vendeurs de dattes sont mal vus dans les rues de Maroua.

« Je vends dans cette agence depuis 1998. Si je vous dis que je connais cette dame c’est que je vous ai menti. Je suis Nigérien, mais je suis installé ici. Je me considère comme Camerounais, parce que j’ai tout gagné ici chez vous. J’ai déjà 23 ans ici à Maroua. Mon épouse est d’ici. C’est avec ce petit commerce que je nourris ma famille », explique-t-il.  Il fait sortir sa carte de séjour ainsi que ses pièces officielles déjà périmés, délivrées à Niamey en 1995. De l’autre côté de la ville, c’est le maire de la commune de Maroua 1er qui a engagé des campagnes de sensibilisation des populations. Nous tombons sur lui alors qu’il explique à des patriarches du quartier Hardé les nouvelles mesures sécuritaires prises par les autorités. Il rappelle à ses vis-à-vis de dénoncer toute personne suspecte à leurs yeux. « C’est pour notre bien. La paix doit régner dans notre pays », lance Hamidou Hamadou, le maire de Maroua 1er. Selon lui, depuis le mercredi noir, il parcourt les quartiers de sa municipalité pour communiquer les nouvelles consignes de sécurité. « Tout à l’heure, je rencontre les propriétaires de snack-bars et d’autres débits de boissons. Là, je dois rencontrer le préfet du Diamaré et je reprends mon travail de sensibilisation », confie-t-il, alors que les montres affichent déjà 16h ce vendredi 24 juillet 2015. Notre compagnon de circonstance, le nommé Adamou, tente de nous expliquer comment lui aussi a failli mourir lors de cet attentat.

« Grand, je connais très bien Alhadji Bachirou qui a été tué dans les explosions. Quelques heures avant que les Boko haram ne s’explosent, il m’avait envoyé chez lui vers 10h du matin avec de la viande pour le repas du soir. Je vous assure, Dieu m’entends parler. Après la prière, il est rentré chez lui manger, et est revenu. C’était curieusement son dernier repas. Qu’Allah lui accorde le repos éternel », termine-t-il. Nous sommes stoppés net au carrefour de la poste vers la route menant à la résidence présidentielle, ainsi qu’à la prison centrale et vers l’hôpital régional de Maroua. Malgré les multiples supplications, les éléments des forces de défense et de sécurité nous ordonnent de continuer à pied. « Nous exécutons juste les ordres. C’est du sport ; continuez à pied mon cher », lance amicalement un militaire. Nous voici à l’entrée principale de l’hôpital régionale de Maroua. Pas de prise de vue. Les forces de défense et de sécurité filtrent les entrées. Identification et objet de la visite enregistré. Le directeur de l’hôpital, Sadjo Angokai, nous autorise à faire le tour des salles d’hospitalisation.

Les blessés sont aux petits soins du personnel médical qui s’active. Surtout que la veille, « une enveloppe de motivation » leur a été offerte par Edgard Alain Mebe Ngo’o, le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense. Les spécialistes sont débordés par le nombre élevé de blessés, sans compter les brûlés. Pour gérer la situation, des tentes sont dressées dans la cour du centre de santé dont les espaces ne suffisent plus pour accueillir tout le monde. A l’école coranique de Congoré, situé à 300 mètre du Pont-vert, lieu du dernier attentatsuicide de Maroua, seuls quelques enfants lisent le coran sur des ardoises. Jadis, cette école coranique était la grande de la ville. Approchés, les enseignants de cette école sont devenus tous muets. « Je ne vous dirai rien. Je ne suis pas demandeur d’une interview. S’il vous plait partez d’ici », lance l’un d’eux. D’après le voisinage, cette école est de la confrérie des wahhabites, une branche de l’Islam.  

Vendredi calme

A 18 heures ce même vendredi 24 juillet 2015, les rues de Domayo, quartier très sollicité par les noctambules, sont presque désertes. Seuls quelques téméraires sont visibles. L’avenue du renouveau ne vit plus. Les forces de défense patrouillent, armes au poing. Il faut des minutes pour voir des véhicules passer. Le brouhaha des musiques a cédé place aux quelques ronflement des motos. Nous nous dirigeons vers l’agence de voyages pour confirmer notre départ. Ici aussi, la sécurité a été renforcée. Les voyageurs à destination de Kousseri ou Ngaoundéré sont fouillés et identifiés. Ainsi, les populations de Maroua réapprenaient à vivre après les attentats du marché central de Maroua. Ils s’adaptaient aux nouvelles mesures sécuritaires édictées par les autorités administratives. Le calme semblait revenir progressivement lorsque l’ennemi a une frappé une nouvelle fois le samedi soir, faisant plus de victimes.

Mesures sécuritaires prise par le gouverneur de l’Extrême-Nord

  • Interdiction des écoles coraniques ambulantes sur toute l’étendue de la région
  • Interdiction de la circulation des véhicules à deux roues sans papier
  • Interdiction du commerce ambulant des aliments par des enfants
  • Mise sur pied des polices municipales par les maires
  • Réduction du nombre de mosquées
  • Bouclage systématique de toute la région et une fouille systématique de toutes les maisons
© Le Jour : Adolarc Lamissia

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