Enoh Meyomesse : «En quittant le Sed en novembre 2011, les gendarmes avaient pour consigne de me liquider en chemin»
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Après sa libération le lundi 27 avril 2015, l’activiste politique raconte sa vie  de bagnard. Il revient sur les 40 mois passé en prison, les auteurs de l’acharnement politique dont il se dit victime et ses ambitions politiques.

La cour d’appel du centre a rendu son verdict le 16 avril 2015. Vous sortez de prison pratiquement deux semaines après. Vous dites-vous victime d’un abus ?  
Ça fait partie des choses qu’il faut dénoncer dans ce pays.  Il y a une désinvolture révoltante des magistrats. Moi, c’est parce que la presse a fait du bruit. Mais il y a des gens ici qui sont libérés depuis parfois trois à quatre  mois qui ne sont pas sortis, parce qu’il n’y a pas ce qu’on appelle les résultats d’audience. Moi aussi, j’ai passé tout ce temps, parce qu’on attendait les résultats d’audience. Je pense que quand on libère quelqu’un, on peut faire en sorte qu’il rentre avec ses résultats. On ne peut pas vous libérer à 10 heures et vous passez encore un mois.  Quand on libère les gens au Tcs,  ils rentrent avec les leurs, pourquoi pas nous ? Les citoyens sont égaux devant la loi. Donc, il y a négligence des magistrats, des  greffiers… Ils s’en fichent. Comment est-ce que l’audience a eu lieu le 16 avril et il a fallu le ramdam de ce matin pour que je sorte ? C’est révoltant.

Un recours en cassation a été déposé par votre conseil à la Cour suprême. Réclamez-vous un acquittement ?
Le recours a été introduit dans les délais. Je ne peux pas accepter qu’ils me collent enfin cette histoire de recel. Cela a commencé par : je veux assassiner Paul Biya, ça s’est poursuivi par : je suis allé acheter des armes, et c’est devenu tentative d’insurrection, quatrièmement, c’est devenu vol aggravé en coaction, cinquièmement c’est complicité de vol aggravé ; maintenant ça s’achève par recel. Finalement il s’agit de quoi ? C’est du tâtonnement judiciaire. Il faut qu’on trouve où me pincer. Je ne peux pas accepter le verdict rendu par la Cour d’appel du centre. La gendarmerie fausse complètement toute l’enquête. Ils appellent ça enquête préliminaire, mais les magistrats considèrent cela comme l’enquête définitive. Les gendarmes et les policiers écrivent des bêtises. Des bêtises qui vont vous coller au dos jusqu’à la Cour suprême. Vous ne pourrez pas dire aux magistrats qu’on m’a forcé à écrire ça. Sur ce plan, les magistrats sont des grands violeurs des droits de l’homme. A Bertoua pendant l’enquête préliminaire, le gendarme a sorti son petit fusil nous disant qu’il allait nous coller une balle dans les cuisses à chacun de nous si on ne répondait pas à ses questions comme il le voulait. Je n’ai pas pu dire ça ni chez le juge d’instruction, ni chez le juge du tribunal militaire, ni à la Cour d’appel. Alors que l’article 3 du Code de procédure pénal dit que tout ce qu’on vous fait avouer sous la torture est nul. Mais les magistrats s’en fichent complètement.

Vous soutenez que l’on s’est acharné contre vous. Quelles sont les raisons de cet acharnement ?
Je n’en sais rien. Je le saurai un jour. Cependant, j’ai l’impression qu’il y a des gens qui ne tolèrent pas que quand vous êtes «Betis» et plus particulièrement «bulu» que vous soyez dans la contestation. Quand je vois toutes les misères qu’on a infligées à Abel Eyinga et ce que je subis, j’en déduis qu’il y a une conspiration. Je sais très bien d’où elle vient. Ce sont tous ces petits ministres. Parce qu’ils vont tromper Biya qu’ils tiennent le Sud ; alors, quand il y a une voix dissonante, ça sonne faux.  Biya a rapidement envie de dire «vous êtes en train de mentir, et ceux-là ?».

Vous avez passé 40 mois en détention, comment les avez-vous vécus ?
En quittant le Sed en novembre 2011, les gendarmes avaient pour consigne de me liquider en chemin. C’est l’un des gendarmes qui leur dit : «vous êtes fous ?  Lorsqu’on l’a arrêté à la prison hier, on a eu l’impression que les policiers l’ont reconnu. Nous l’avons conduit au SED, vous avez commis la maladresse de laisser venir son  avocat. Lorsque nous avons quitté le SED, nous avons signé la décharge, que nous prenions. Si maintenant il disparait et qu’il n’arrive pas à Bertoua, tout le monde va lever les mains. 

C’est nous qui allons trinquer». Il leur a dit : «Mebe Ngo’o sait utiliser le fusil, le Commandant Oumarou sait utiliser le fusil. Je ne marche pas dans cette combine». Donc j’ai échappé à la mort. A Bertoua, j’ai passé un mois dans le noir. J’ai failli tomber aveugle. Ça ce sont les nouvelles lunettes que j’ai eues.  En trente jours, je me suis lavé trois fois, et il fallait corrompre les gendarmes. Je sentais comme un animal. Il était également interdit de nous nourrir. Par sympathie, certains gendarmes nous apportaient de l’eau et de la nourriture en cachette.

Quand je suis arrivé ici, j’ai trouvé des consignes. Nous sommes arrivés le jeudi 22 décembre 2011. Vendredi, on nous fait venir au bureau de la discipline. Le Monsieur qui nous reçoit me regarde et dit : «n’est-ce pas vous Monsieur Meyomesse ? J’ai travaillé avec vous à Ebolowa. Je ne vais pas vous envoyer au quartier Kossovo». Moi je ne savais pas ce que cela voulait dire. En tout cas, c’est un terrible quartier de la prison. Il me dit : «rentrez, je ne peux pas vous envoyer là-bas». Dix ou quinze minutes après, c’est l’adjoint du régisseur qui nous fait venir. Il nous dit : «des papas comme ça braqueurs ? Non c’est impossible, Je ne peux pas mettre les chaînes à ces types».

C’est après cela que nous saurons qu’il y avait des consignes. Comme quoi, premièrement on voulait nous envoyer au Kossovo pour l’éternité ; deuxièmement, on devait nous mettre les chaînes pour au moins un an. Mais c’est les gens de la prison qui ont dit qu’on ne  nous met pas les chaînes. J’ai donc échappé au Kossovo où ils sont 75 par chambre pour des chambres de 15 lits. On m’a envoyé au quartier 3 de la prison et j’ai pu avoir mon lit. Evidemment, les trois ou quatre premiers mois, les gens me regardaient de travers en se disant : «le père là c’est un braqueur ? Un vieux comme ça ?». Par les articles de presse sur moi, la considération est venue progressivement, jusqu’à ce que maintenant je sois une vedette.

Vous êtes désormais libre, quel est votre prochain combat ?
Vous savez, vous ne pouvez pas changer le monde sans vous heurter à l’ordre établi. C’est impossible. Dieu a mis quelque chose d’extraordinaire dans la prison. Jomo Kenyatta, 10 ans de prison, indépendance du Kenya et il est devenu président. Bourguiba, 10 ans de prison, il a obtenu l’indépendance de la Tunisie, il est devenu président. Nkrumah, quatre ans de prison, il a obtenu l’indépendance du Ghana et il est devenu président. Sekou Touré, Jacob Zuma etc. Et pourquoi moi, je vais m’arrêter ? Maintenant, j’ai un nom que je n’avais pas avant. Il faut toujours tenir compte de l’imbécilité du camp adverse. Ils m’ont rendu cent fois plus populaire que je ne l’étais avant. Quelque part, je devrais même les remercier. Maintenant je suis mondialement connu. Je recevais des paquets de lettres à la prison, parfois il en arrivait 70 par jour. Je vivais de quoi ? De l’argent qui provenait du monde entier. Ma famille m’a abandonné, excepté une personne. Donc, ce n’est pas maintenant que je vais abandonner. Maintenant que j’ai une audience que je n’avais pas. Je suis et je maintiens que je suis de l’opposition. En 2018, je serai candidat.

© La Nouvelle Expression : Entretien mené par Ben Christy Moudio

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