Analyse : A tout casser
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Comment et pourquoi la casse est devenue le seul moyen d’exister d’une Communauté urbaine sans projet pour la capitale du Cameroun.

A Yaoundé comme à Douala, le scénario des déguerpissements est désormais bien huilé, toujours le même : les bulldozers et les gendarmes débarquent au petit matin, mettent dehors les habitants de l’endroit et s’attèlent à leur besogne, pendant que dans la pagaille, les populations mises à la rue essayent de sauver ce qui peut l’être de leurs demeures précaires. Disons-le : dans la plupart des cas, les uns et les autres ont déjà été prévenus de ce qui arrivera, mais ils restent en place, soit par désinvolture, soit par cet incivisme à la camerounaise, qui se nourrit de l’inconstance des actes publics, mais aussi de leur manque de logique.

Expulser des populations, d’accord. Mais pour en faire quoi ? Pour mettre en valeur de quelle manière l’endroit rasé ? A Yaoundé, le site de Ntaba a été rasé au mois d’août 2007. Huit années plus tard, l’endroit est une immense broussaille insalubre qui trône au beau milieu de Yaoundé, comme une plaie… Les immeubles cassés et l’Hôtel Aurore ont laissé place à un terrain vague. L’impression globale que tout cela donne, c’est que l’on casse pour casser, faire du mal à des populations (qui n’hésitent pas à crier à la casse tribale), sans qu’il n’y ait de projet, de logique réelle dans les réaménagements que l’on veut proposer à la place des bidonvilles que l’on détruit.

Ongola, le paisible petit village Ewondo n’a jamais su ou pu devenir la grande capitale qu’elle aurait dû être, grâce à son site exceptionnel, comme vous le diront tous les architectes. L’urbanisation galopante et non maîtrisée du Cameroun se voit à l’oeil nu, dès que l’on survole cette cité ocre où la tôle ondulée et les murs en parpaings lovés entre les routes en terre, dominent encore un paysage qui n’est celui d’une ville qu’à cause du fourmillement, mais qui reste celui d’un gros bourg villageois, si l’on s’en tient à l’agencement et à l’esthétique des ensembles.

Quelques chiffres peuvent nous donner la portée du défi qu’il y a dans nos villes : au recensement de 1976, il y avait 28,5 % de Camerounais qui vivaient dans les villes. En 1987, la population urbaine de notre pays est passée à 39%. En 2005, un Camerounais sur deux vivait déjà en ville. Depuis 2010, il y a désormais plus d’habitants dans les villes que dans les villages du Cameroun (52%). Cette progression fulgurante de la population urbaine de notre pays s’est accompagnée d’une baisse sévère des revenus des populations. Ailleurs, l’urbanisation s’est accompagnée d’enrichissement. C’est dire que chez nous, on a assisté à une manière « d’urbanisation des pauvres », qui d’ailleurs a une forte répercussion dans les mentalités : c’est visible dans nos quartiers, le commun de nos « citadins » reproduit le modèle de la vie dans son village à lui…Le peuplement est allé vite, bien trop vite. Et les responsables en charge d’endiguer les populations sont à ce jour complètement débordés, mais ce n’est pas le plus grave.

Ce qui est dangereux, c’est le manque d’imagination et de vision qui caractérise la gestion de ce qui est l’espace urbain aujourd’hui. Comment vivre dans une capitale où il n’y a pas de transports publics et où les voies sont si encombrées par un parc roulant qui a explosé ? Comment être fier d’une cité où la seule innovation urbaine de ces dix dernières années ce sont de petites boutiques installées à tous les coins de rues ? Comment s’enorgueillir d’être citadin d’Ongola où dès les premières pluies le Mfoundi reprend ses droits sur le Boulevard du 20 mai ?

Casser, déguerpir, ramasser, violenter devient alors pour la Communauté urbaine de Yaoundé et ses gestionnaires le seul moyen d’exister, faute d’avoir pu ou su planifier, gérer et offrir des solutions aux populations. Dans des éructations aussi irresponsables que paresseuses, certains responsables n’hésitent pas à dire « rentrez au village » à certains déguerpis. Le taudis dans un quartier insalubre sera la seule possibilité de logement pour ceux qui gagnent le Smic et même le double de celui-ci dans notre capitale, tant que les pouvoirs publics n’auront pas pris à bras le corps la question du logement social, le vrai. Pas ces projets (dont la Communauté urbaine de Yaoundé est souvent promotrice) immobiliers dits « sociaux », qui en fait sont rapidement distribués entre copains, en vue de la spéculation future.

Gérer une ville, c’est offrir des perspectives, de l’air, des espaces, du rêve, de l’envie à ses habitants. Ce n’est pas inspirer cette terreur destructrice et gesticulatoire qui est le propre de M. Tsimi Evouna et des siens.

© Le Jour : Haman Mana

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