Insécurité dans le Nord : ce qu’il faut savoir
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Les causes profondes d'un malaise qui perdure et des solutions pour en sortir.

1- Des frontières à risques
La région du Nord est géographiquement entourée de deux régions au sein du Cameroun. Elle est également la capitale de l'ancienne province dite "du grand Nord " disloquée en 1983. La situation sécuritaire dans le Nord ne peut pas être analysée de manière indépendante des deux autres régions qui l'accompagnaient dans l'ancien découpage administratif. Le plus important est la situation qui prévaut dans les trois pays frontaliers qui la bordent : le Nigéria à l'ouest, le Tchad à l'est et un peu plus bas la Rca.

2- La relation avec le Nigeria
La situation au Nigeria présente moins de dangers, mais reste tout de même importante à cause du flux migratoire et la solidarité qui existe entre l'ancienne province du Nord et l'Etat nigérian de Yola. Les mouvements de personnes, le va et vient des populations ne peut être maîtrisé, ni par la communauté nigériane ni par la partie camerounaise. Il y a aussi la solidarité transfrontalière qui fait en sorte qu'ils ont à la fois les deux nationalités camerounaise et nigériane, ils ont même des papiers d'identité des deux pays.

Il y a la criminalité internationale qui fait qu'il y a des preneurs d'otages qui sévissent aussi bien au Cameroun qu'au Nigeria. Parce qu'ils s'identifient  à  travers la langue et à travers la culture. Alors quand il y a des plaintes liées à la nature de la culture des Camerounais, il y a les mêmes plaintes au Nigeria. Les populations ont les mêmes moyens de survie : l'agriculture, l'élevage... C'est ça qui influence la criminalité dans la région du Nord.

3- Les rebelles centrafricains
Du côté de la République centrafricaine (Rca), des groupes de rebelles sévissent le long de la frontière. Tantôt Seleka et tantôt anti-balaka. Or, ces derniers ont commis des exactions sur les centrafricains musulmans. Ils les ont harcelés, dispersé leurs troupeaux, détruit leurs biens. Beaucoup ont franchi la frontière pour se réfugier au Cameroun. Beaucoup qui avaient tout perdu de l'autre côté sont arrivés avec des armes. Ils ont été souvent impliqués dans des prises d'otages et  interpellés ou neutralisés.

4- la situation au Tchad
Le mont Lere a un versant ouest au Cameroun et une grande partie, une chaîne de montagnes, au Tchad. Cette montagne abrite beaucoup de rebelles tchadiens fréquemment alimentés par les désertions et les défections au sein de l'armée tchadienne. Une situation qui s'amplifie par la situation économique dégradée du Tchad qui est un pays dont les ressources économiques étaient basées sur les hydrocarbures. Or, le prix du baril du pétrole n'arrête pas de dégringoler depuis trois ans. Ce pays n'arrive plus à tenir ses engagements envers ses populations. Il y a des problèmes de salaires des agents publics et des militaires. Les rebelles agissaient déjà et ils sont rejoints par des militaires qui luttent pour leur survie. La conséquence directe en est qu’ils viennent prendre des otages dans le Mayo Rey, notamment dans l'arrondissement de Madinring, la zone de Rey Bouba, mais surtout autour du marché international de Mbaimboum qui est une zone économique très fréquentée. Ils y enlèvent des gens et exigent le payement de rançons.

5- La coopération militaire inexistante
Le fait que des gens franchissent la frontière, viennent agir en territoire camerounais et rentrent au Tchad limite l'action des forces des deux pays. Il existe bien un semblant de coopération au niveau tactique entre les militaires déployés des deux pays, mais qui souffre d'un manque de légitimité. Les forces coopèrent entre elles sans que les autorités diplomatiques ne soient forcément au courant. Il n'existe pas un mémorandum of understandement, une entente, une déclaration commune ou une plate-forme de travail connue.

6- Droit de poursuite inexistant
Les militaires, pour se protéger mutuellement, se disent qu’il faut coopérer. Ce souci de protection fait qu'ils ne peuvent autoriser leurs homologues à poursuivre l'action plus en profondeur dans leurs territoires respectifs. Ainsi, si des militaires camerounais entrent au Tchad pour poursuivre on le leur permet sur tout au plus 10km. C'est ce qui s'est passé il y a quelques mois à Gobo à l'Extrême-Nord.

7- Une patrouille interpellée au Tchad
Une patrouille du Bir avait obtenu une autorisation de poursuivre de pillards en territoire tchadien. Une fois lancée dans la chasse, un commandant de compagnie de gendarmerie de là-bas a arrêté les militaires camerounais. Le sous-préfet, devant la tournure des événements, a nié avoir autorisé la poursuite et l'affaire est devenue un incident diplomatique.  

8-Des extrêmes climatiques
Sur le plan interne, les populations du Nord vivent une misère extrême. La nature leur est hostile chaque année et ils  ont un excès de pluies qui entraîne des inondations meurtrières et un excès de chaleur qui crée la sécheresse. L'un ou l'autre de ces impondérables a un impact très négatif sur des populations qui vivent de la nature (élevage, agriculture, pêche). Quand elles se retrouvent dans ces situations d’extrême vulnérabilité, il en est qui cherchent des moyens de survie et qui se déversent dans des activités illicites. Une situation devenue plus grave avec la circulation des armes de petit calibre venant des trois pays voisins instables. Cette circulation des armes facilite l'exécution de leurs intentions pour survivre. À cela, il faut ajouter un conflit de génération.

9-Les querelles de succession
Une tradition s'était installée qui voulait qu’un parent fortuné, possédant par exemple 25 troupeaux de bétail et ayant 20 fils, pouvait à un âge donné répartir entre sa descendance ce patrimoine pour le gérer et le fructifier. Le patriarche considérait alors que sa richesse n'était plus son patrimoine mais l'épanouissement de ses enfants à la tête des affaires familiales. Cette tradition tend à disparaître.  

10- Des fratricides
La résultante de cette rupture c'est que des frictions naissent au sein des familles. Des pères très riches meurent souvent sans repartir leur patrimoine. Ce vide entraîne des luttes lors desquelles les plus forts finissent par accaparer l'héritage familial. Les autres ne pouvant se plaindre devant les tribunaux ou les croyant inefficaces, n'ont de recours que de se constituer en bandes pour combattre leurs frères. D'autre part, on observe que les jeunes se posent des questions sur leurs parents. Ils se demandent si le père traite avec équité sa progéniture. Si le partage de son patrimoine est juste. Estce que son action envers ses enfants se justifie ? Un questionnement qui n'existait pas et qui marque une rupture culturelle. Rupture qui favorise la criminalité.

11-La thésaurisation
La défiance aux banques ou l'ignorance des services financiers font que des populations ont installé comme une culture le fait de garder tout leur argent par devers elles. Garder l'argent sur eux attire les malfrats. Tout le monde sait qu'ils ont cet argent surtout pour ces commerçants et vendeurs de bétail qui se déplacent avec des sacs de cash. Le jour où un paysan vend sa récolte, toute la communauté est au courant. Malgré la vulgarisation des services de payement électronique, les gens aiment avoir leur argent sur eux. Cela facilite le vol.

12- Le nomadisme
Certaines communautés, du fait de leurs activités de survie traditionnelles, ne sont jamais stables sur un site et vivent au rythme des saisons pour le pâturage, la pêche ou le commerce. Le fait que leur vie change au jour le jour favorise qu'ils puissent poser des actes partout où ils passent. Il y a également une culture du plus fort qui veut que dans certains groupes de la savane, le fait que le plus fort ravisse au plus faible son bien n'est pas forcément perçu comme du vol.

13- Les manips politiciennes
L’omerta, la loi du silence, fait que la population est actrice et victime. En général on ne dénonce pas son frère, on le protège jusqu'au bout, même s'il est un grand criminel. C'est en son sein que se développe et se cache la criminalité et elle est victime parce qu'elle est la première à en subir les conséquences. Ce silence est aussi le fait des politiciens qui veulent maintenir les populations dans l'ignorance de sorte de les manipuler. Ils entretiennent délibérément la sous-scolarisation pour manoeuvrer les populations.

14- La sous-scolarisation
Dans tous les villages ont été construits des blocs de deux salles de classes. En même temps, l'on veut que tous les enfants aillent à l'école. Mais, si tous y vont, où vont-ils faire cette école ? Des établissements entiers en paille avec un seul instituteur foisonnent. L'opposition n'existe pas vraiment. Les partis de la majorité présidentielle sont univoques. Les populations instrumentalisées de toutes parts n'ont par conséquent pas de relais légitimes pour faire savoir leurs problèmes profonds. C'est aussi un facteur d'insécurité.

15- Un potentiel économique galvaudé
La situation économique est délétère. La région regorge de beaucoup de potentiel agricole qui n'est pas exploité. Tout le monde pourtant n'y mange pas à sa faim et pis, ne peut pas avoir un emploi décent même quand il en est capable et a envie de travailler. Tout ce monde se retrouve dans la rue. La mendicité inculquée à certains enfants (allahro) c'est le vol avec la paix. Des enfants éduqués dans de telles pratiques vont, une fois grands, voler par d'autres moyens. La force notamment.

16- L'action des forces de maintien de l'ordre
Des mesures ont été prises. Il y a six compagnies de gendarmerie. Seulement, les gendarmes sont plus employés à l'escorte des fonds des grandes entreprises et des personnes fortunées mobilisent parfois six gendarmes. Alors que ces gendarmes sont là initialement pour sécuriser la population. L'on assiste à une situation où celui qui a de l'argent paye pour sa sécurité et celui qui n'en a pas est privé du peu qui lui est destiné. La police excelle dans le racket. Des bataillons d'infanterie motorisée ont été créés, des forces de 3eme catégorie et des unités de guerre. Toutefois, il est difficile de savoir s'ils ont la volonté de travailler. Le Bir pour sa part combat les menaces "nouvelles".

17- Manque de planification
Ces efforts de l'Etat entraînent une dispersion des énergies. Des milliards sont dépensés sans résultats. Dans la région, on remarque une zone vide et une zone où tout le monde porte son attention (Mayo Rey, Benoue). Théoriquement on dit que l'autorité administrative est le patron du maintien de l'ordre. Seulement, cette autorité n'a pas les moyens pour commander aux forces sous son commandement. Elle ne peut pas de bouche ordonner aux militaires. Elle n'a aucun moyen d'accompagner ses ordres de fermeté puisqu'elle ne sait pas quels moyens ces forces ont exactement. Les efforts doivent être mis ensemble, les objectifs doivent être définis pour une répartition équitable des taches par les différentes forces déployées. Cela peut éviter cette situation où tout le monde fait la même chose et personne n'est responsable de rien.

18- L'horizon incertain des plus jeunes
Il faut surtout observer et encadrer les populations dont le nombre croît chaque jour. Il faut pouvoir s'occuper de leur éducation dès que les enfants ont un an. Penser à ce qu'ils vont faire dans l'avenir. Si on a par exemple 30.0000 élèves inscrits dans le secondaire, dans le département de la Benoue, dans 10 ans ils devraient partir de chez leurs parents pour s'installer dans la vie. Il faut prévoir une politique de l'emploi en développant l'agriculture industrielle. Il faut multiplier le type de formation à leur donner en phase avec les nouvelles réalités et spécificités du marché de l'emploi.

19- Culpabiliser les criminels
Il faut plusieurs angles d'éducation à l'information pour sécuriser les frontières, pour établir des relations de travail formelles avec les Etats voisins. Il faut avec ces voisins mener des opérations conjointes au niveau local pour lutter contre la criminalité. Car, pour efficacement combattre la criminalité, il faut créer des conditions qui culpabilisent les acteurs. Si ce n'est pas fait camer.be, ils ont bon ton de dire qu'ils sont des criminels parce que rien n'a été fait pour qu'il en soit autrement. Ils n'ont rien à faire et ils se livrent au banditisme. Quand tout sera fait pour éloigner la plupart des jeunes de la tentation du vice, il restera alors aux forces de combattre efficacement les parias qui cherchent la voie de la facilité. Attendre des forces qu'elles résolvent le problème de l'insécurité sans regarder l'aspect social est faire un travail qu'on se condamne à refaire éternellement.

20- Une approche en 24 mois
Une solution au problème peut être envisagée en 24 mois. Il faut dans un premier temps sensibiliser les populations. Il faut aussi dès la première de ces deux années une politique active de création d'emplois pour les jeunes par l'industrialisation de l'agriculture, du développement de l'élevage éducation, artisanat, de la pêche... des activités à haute intensité de main d'oeuvre. Création des écoles et gratuité à leur accès effectif. Il faut connaître les flux migratoires.

21- Remplacer les magistrats véreux
Il faut aussi remplacer les personnels corrompus des tribunaux parfois impliqués dans des brigandages. Nettoyer les tribunaux pour que les décisions prises par la justice soient acceptables et acceptées par tous. En 24 mois, les problèmes ne seront pas totalement résolus mais, de nouvelles bases, plus saines, seront posées qui permettent un travail de fond. La criminalité est en réalité un problème social. Si l'on pense que tout le monde est capable de manger sans voler on est en droit de taper sur tous ceux qui volent.

22- Le Nord peut financer sa sécurité
Le Nord a les moyens de financer sa sécurité. Il suffit d'augmenter la production de denrées alimentaires qui poussent bien comme l’oignon, le maïs, le manioc l'arachide. Le Nigeria est prêt à acheter 100.000 tonnes d'oignons. Si on met une taxe de 10 FCFA par kg, ça compense les dépenses. Or, c'est une production réalisable en six mois. Il faut juste attirer les investisseurs et créer un climat qui leur soit propice en les exonérant du paiement de certains impôts sur une durée donnée. Ils vont accourir et payer volontiers les taxes camer.be, une fois rentabilisé leur investissement de départ. Entre temps, il aura recruté massivement, il aura transféré les compétences, ouvert des débouchés à l'international et satisfait la demande intérieure. L'on pourra après coup lui exiger des taxes. Car seules les taxes prélevées sur la production permettent de développer un pays et non les ressources qui elles finissent par s'épuiser.

23. La différence avec Boko Haram
Si aujourd'hui Boko Haram s'appuie sur des revendications sociales pour recruter de nouveaux adeptes, son fondement est d'abord religieux. L'islamisme est la croyance sur laquelle se fonde la secte nigériane. Elle est de ce fait un mouvement politique. Des similitudes sur la condition sociale des zones affectées par Boko Haram et celles de la région du Nord ne sont que d'ordre social. Ici, on parle de la misère qui pousse des populations à une criminalité rurale sans aucune prétention de conquête d'un territoire ou de commander aux autres.

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