Crise anglophone au Cameroun : comment arriver aux pourparlers
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Crise anglophone au Cameroun : comment arriver aux pourparlers :: CAMEROON

Après vingt mois d’affrontements, Yaoundé et les séparatistes campent sur leurs positions. Entre la sécession voulue par les séparatistes et la décentralisation en trompe-l’œil que propose le gouvernement, des solutions médianes doivent être explorées pour conférer plus d’autonomie aux régions.

Que se passe-t-il ? Le conflit dans les régions anglophones du Cameroun s’est embourbé. Il n’existe aucun dialogue entre Yaoundé et les séparatistes, qui campent sur leurs positions : l’un mise sur une victoire militaire et refuse toute discussion sur la forme de l’Etat, les autres exigent l’indépendance.

En quoi est-ce significatif ? En vingt mois, le conflit a fait 1 850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers de réfugiés. L’intransigeance des belligérants risque de générer de nouvelles violences et de prolonger le conflit, qu’aucun camp ne semble en mesure de remporter militairement dans la courte durée.

Comment agir ? Acteurs camerounais et internationaux devraient pousser les deux camps à des concessions en menaçant de sanctions ceux qui feraient obstacle au dialogue et en récompensant les moins intransigeants. A terme, le gouvernement devra améliorer le cadre légal de la décentralisation afin d’accorder une plus grande autonomie aux communes et régions.

Synthèse

Au Cameroun, la crise anglophone s’est embourbée. Après vingt mois d’affrontements, 1 850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers de réfugiés, le pouvoir et les séparatistes campent sur des positions inconciliables. Les séparatistes vivent dans l’utopie d’une indépendance prochaine. Le gouvernement, quant à lui, se berce d’illusions quant à la possibilité d’une victoire militaire à court terme. Les modérés et les fédéralistes, qui bénéficient pourtant de la sympathie d’une majorité de la population, peinent à s’organiser. Pour sortir de cette impasse, les acteurs camerounais et internationaux devraient faire pression sur le gouvernement et les séparatistes. Entre la sécession voulue par les séparatistes et la décentralisation en trompe-l’œil que propose Yaoundé, des solutions médianes doivent être explorées pour conférer plus d’autonomie aux régions.

La crise sociopolitique née en octobre 2016 dans les régions anglophones du Nord-Ouest et Sud-Ouest s’est muée fin 2017 en conflit armé. Sept milices armées sont actuellement en position de force dans la majorité des localités rurales. Les forces de sécurité ont mis du temps à organiser leur riposte, mais depuis mi-2018, elles infligent des pertes aux séparatistes. Elles ne parviennent pourtant pas à reprendre entièrement le contrôle des zones rurales, ni à empêcher les attaques récurrentes des séparatistes dans les villes.

Il n’existe actuellement aucun dialogue entre Yaoundé et les séparatistes. Ces derniers exigent un débat avec l’Etat sur les modalités de la séparation, en présence d’un médiateur international. Le pouvoir refuse toute discussion sur la forme de l’Etat et la réforme des institutions. Il propose en revanche une décentralisation qui ne confère ni un financement adéquat, ni une autonomie suffisante aux collectivités territoriales décentralisées (communes et régions), et prévoit d’organiser les premières élections régionales de l’histoire du pays cette année. Loin de résoudre le conflit en cours, cette solution de façade risque au contraire de générer de nouvelles violences.

Des initiatives locales de dialogue tentent de se mettre en place. En particulier, des responsables religieux anglophones (catholique, protestant et musulman) ont annoncé en juillet 2018 un projet de conférence générale anglophone, envisagé comme une première étape avant un dialogue national inclusif. Une grande partie des anglophones y est favorable. Initialement réticents, certains séparatistes semblent à présent s’ouvrir à l’idée, à condition que la conférence débouche sur un référendum d’autodétermination qui donnerait le choix entre fédéralisme et indépendance. Mais face à l’opposition du pouvoir, les organisateurs de la conférence ont déjà dû la repousser deux fois : d’août à novembre 2018 d’abord, puis à mars 2019. Elle n’a toujours pas pu se tenir.

Si certains séparatistes se montrent intransigeants, d’autres pourraient accepter un dialogue avec l’Etat camerounais en présence d’un médiateur international, sur le fédéralisme ou une décentralisation effective, qui conférerait une autonomie et un financement adéquat aux régions, et garantirait le respect des spécificités anglophones en matière judiciaire et éducative. De même, si le gouvernement camerounais semble exclure le fédéralisme, il pourrait peut-être consentir au régionalisme ou à une décentralisation effective, qui passerait par une modification du cadre législatif.

Pour ouvrir la voie à des pourparlers, les belligérants doivent faire des concessions réciproques à même de rétablir un minimum de confiance et d’enrayer la spirale de la violence. Le gouvernement devrait soutenir la conférence générale anglophone, qui devrait permettre aux anglophones de se mettre d’accord sur leurs représentants à un éventuel dialogue national tout en redonnant une voix aux anglophones non séparatistes. Dans le cadre d’un discours réconciliateur, le président camerounais devrait reconnaitre l’existence du problème anglophone et la légitimité des revendications exprimées par les populations anglophones ; ordonner des enquêtes sur les abus des forces de sécurité ; prévoir des compensations pour les victimes et s’engager à reconstruire les localités détruites ; et libérer les centaines d’activistes anglophones actuellement détenus, y compris des figures importantes du mouvement séparatiste. Les séparatistes devraient renoncer à leur stratégie de villes mortes le lundi et de boycott de l’école, et exclure de leurs rangs les combattants qui ont commis des abus contre les civils.

La combinaison de pressions internes et internationales pourrait amener le gouvernement et les séparatistes à de telles concessions. Au niveau international, l’idée serait de récompenser les parties qui acceptent de modérer leurs positions et de sanctionner celles qui maintiennent une ligne plus intransigeante. L’Union européenne et les Etats-Unis, en particulier, devraient envisager des sanctions ciblées contre les pontes du pouvoir et les hauts gradés qui continuent de faire obstacle au dialogue (interdictions de voyages, gels des avoirs), et les séparatistes qui prônent ou organisent la violence (poursuites judiciaires). La procureure générale de la Cour pénale internationale devrait ouvrir des enquêtes préliminaires sur les abus des deux parties, afin de souligner que la poursuite des violences aura des conséquences judiciaires. Mais les acteurs internationaux, divisés sur la position à adopter et les mesures à prendre, doivent d’abord se mettre d’accord sur une position commune, du moins parmi les pays occidentaux.

Au niveau interne, les francophones et anglophones camerounais qui prônent des solutions de compromis doivent se mobiliser pour faire pression sur les séparatistes et le gouvernement. En particulier, les fédéralistes doivent faire front commun pour peser sur les discussions. Ils devraient continuer le dialogue avec les séparatistes pour les encourager à modérer leurs positions, et augmenter la pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils s’ouvrent aux séparatistes prêts à un compromis. Ils doivent enfin mener une campagne internationale en faveur d’une solution pacifique à la crise.

Une fois la confiance instaurée, des discussions préparatoires seront nécessaires entre émissaires du gouvernement, des fédéralistes et des séparatistes ; elles devraient avoir lieu à l’étranger. Durant ce processus, les acteurs internationaux, notamment les Etats-Unis, la Suisse, le Vatican, les Nations unies, l’Union européenne (en particulier la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) et l’Union africaine, doivent continuer à encourager le gouvernement au dialogue, y compris en proposant de financer et de soutenir les rencontres préparatoires.

Ils pourraient aussi, au cas où un dialogue a lieu, aider à financer les compensations aux personnes victimes d’abus, la reconstruction dans les régions anglophones, le retour des réfugiés et des déplacés, et le désarmement et la démobilisation des ex-combattants. Vu le niveau d’acrimonie entre les parties, la présence d’un médiateur international sera nécessaire au cours des discussions préparatoires et lors du dialogue national. Plusieurs pays, institutions et organisations internationales ont proposé leur médiation depuis le début du conflit. Les Nations unies, l’Union africaine, l’Eglise catholique et la Suisse semblent les mieux placées pour jouer ce rôle, car les parties au conflit les perçoivent comme moins partisanes.

Les discussions de fond entre les trois parties devraient se dérouler au Cameroun, ce qui exigerait des garanties de non-arrestation des représentants des séparatistes. Le gouvernement devrait, au cours de ces négociations, se montrer prêt à réviser la Constitution pour accorder une plus grande autonomie aux régions ou approfondir sensiblement le cadre légal de la décentralisation. Ces améliorations pourraient notamment inclure l’élection des présidents des régions et des conseils régionaux au suffrage universel direct ; l’instauration d’administrations régionales disposant d’une grande autonomie financière et administrative ; et l’augmentation des compétences et des ressources des communes. Le gouvernement pourrait par ailleurs entreprendre des réformes institutionnelles et de gouvernance pour mieux prendre en compte les spécificités des systèmes éducatif et judiciaire des régions anglophones.

Plus largement, le conflit en cours met en lumière les carences du modèle de gouvernance centraliste camerounais et interpelle les autorités gouvernementales sur deux préoccupations essentielles : la nécessité d’une meilleure prise en compte des minorités, des héritages coloniaux et des spécificités culturelles ; et le besoin d’une redistribution plus juste et équitable des richesses du pays. La solution pérenne réside dans le dialogue et le consensus, qui sont indispensables pour mener les réformes institutionnelles et de gouvernance dont le Cameroun a besoin.

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