Lutte contre la corruption : le coup d’épée dans l’eau de la Conac
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La Commission nationale anti-corruption multiplie des actions d’éclats juste pour exister, tandis que les mesures efficaces pour éradiquer le fléau sont connu mais personne n’ose les appliquer, à commencer par le sommet de l’Etat.

« Le service public est gratuit ». C’est le message porté par des plaques que la Commission nationale anti-corruption (Conac) a apposé sur près de 150 bâtiments administratifs à Yaoundé le 28 août, dans le cadre de la lutte contre la corruption dans les services publics. Dans la matinée du même jour, le président de cette Commission, le Révérend Dieudonné Massi Gams, avait procédé au lancement de cette activité au Palais, et a rappelé à l’occasion qu’ « il n’y a pas de prix à payer pour les prestations des agents publics exerçant sous le contrôle de l’Etat et rémunérés à cet effet. Il n’y a que des timbres et taxes à payer dans les caisses publiques. »

Des actions de surfaces pareilles à l’actif de la Conac, on n’en compte plus depuis sa création par décret n° 2006/088 du 11 mars 2006. Elle a aussi multiplié depuis lors des enquêtes dans les services administratifs, les ministères, les entreprises d’Etat, enquêtes assorties des rapports adressés à la présidence de la République. Le fléau n’a pour autant pas reculé, au contraire. Il multiplie des stratégies et se réadapte au gré des situations. On en est à se poser la question de savoir si l’organisme est encore convaincu de l’efficacité des actes qu’il pose. Quel impact un panneau apposé sur le fronton d’un bureau administratif peut avoir sur les agents qui y travaillent en réalité ? Aucun pour être sincère. Surtout que les principaux corps de métier sur lesquels on devrait s’appuyer pour lutter contre la corruption, sont les premiers corrompus. Dans un rapport de 2010, la Conac classe le ministère de la Justice en deuxième position des corps les plus corrompus au Cameroun, suivi de la Délégation générale à la sûreté nationale. Les deux corps de métier se résument au magistrat et au policier respectivement, ceux à qui le commun de mortel doit se plaindre. Et s’ils sont en tête de classement des corrompus, la bataille est dès lors perdue d’avance.

Complicité au sommet de l’Etat

Dans le site internet gouvernance en Afrique, Théodor ENONE EBOH constate que lorsqu’on discute avec les populations africaines, il est rare de trouver les adeptes de la corruption. Tous ou presque la dénoncent avec véhémence. Mais plusieurs n’hésitent pas à en user pour, soit se faire une place dans la société (ils sont alors des corrupteurs), soit une fois en fonction exigent des pots de vin ou acceptent des cadeaux après un service rendu (ils deviennent ainsi des corrompus). Comment endiguer le fléau alors? «Pour un directeur Général d’une société d’assurance, la lutte efficace contre la corruption revient aux chefs d’Etats. Ils ne doivent pas hésiter de sévir au sommet, ce qui aurait, explique-t-il, un effet d’entraînement jusqu’en aval. Mais en le faisant, ils doivent s’attendre à devenir impopulaire, à avoir des ennemis ’’intimes’’, c’est seulement à ce prix qu’ils auront aidé leur peuple. Lorsqu’on prend le pouvoir pour réaliser le bonheur des populations, il faut sévir contre ceux qui privilégient leurs intérêts personnels au détriment de la majorité. »

Renvoyer la lutte contre la corruption aux chefs d’Etat suppose d’une part, l’impuissance de nos juridictions à appliquer la loi, impuissance qui peut être justifiée par la peur des juges, puisque le sommet est plus corrompu, d’autre part, parce que entretenue par le sommet, seul le chef peut y mettre fin. La lutte contre la corruption en Afrique semble très difficile parce que le plus souvent les dirigeants, ou leur famille sans oublier leurs proches y sont impliqués.

Les lois dans le tiroir

Cette réflexion nous ramène à notre loi fondamentale, la Constitution, avec son fameux article 66 dont nous nous permettons de rappeler les termes, la répétition n’étant pas de trop. Cet article dit : «Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres du gouvernement et assimilés, le président et les membres du bureau de l’Assemblée Nationale, le Président et les membres du bureau du Sénat, les députés, les sénateurs, tout détenteurs d’un mandat électif, les Secrétaires Généraux des ministères et assimilés, les directeurs des administrations centrales, les directeurs généraux des entreprises publiques et para – publiques, les magistrats, les personnels des administrations chargés de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les autres catégories de personnes assujetties aux dispositions du présent article et en précise les modalités d’application.»

Force est de constater à ce niveau qu’il ne sert à rien de passer du temps à agiter du paravent, duquel se moquent les agents de l’Etat. Tant que l’interrupteur de la corruption au Cameroun, qui est l’article 66 ne sera pas mis en service, on passera le temps à tourner en rond, à multiplier les actions éphémères et de saupoudrage qui au final permettent juste d’exister. A quoi cela aurait alors servi d’introduire cette clause dans la loi fondamentale, si elle ne peut être mise en application 22 ans après ? Il est temps d’arrêter de jouer avec les intelligences et l’argent du contribuable. Des experts ont été payés pour faire cette loi. Du temps et de l’argent ont été investis pour cela parce que le législateur pensait aux moyens de mettre fin à la corruption. Le Cameroun reste prisonnier de la corruption pas parce que le phénomène n’est pas maîtrisable, c’est tout simplement parce qu’il manque de la volonté politique pour sortir de cette prison, pour être libre de la corruption. Etre libre de la corruption, c’est tout le sens de ces propos du philosophe Jean Jacques Rousseau: « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »

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