Cameroun : Un pavé dans la mare : Le panorama de la Philosophie Camerounaise de Mono Ndjana
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Cameroun : Un pavé dans la mare : Le panorama de la Philosophie Camerounaise de Mono Ndjana :: CAMEROON

Le monde de la production universitaire s’est souvent plaint de ne pas trouver dans les médias des passeurs, c'est-à-dire des personnes qui souhaitent parler au grand public des avancées de la connaissance. Sensible à cette interpellation, nous avons voulu jeter un regard dans l’univers très retiré de philosophie. C’est ainsi que nous avons fait au hasard la découverte d’un livre publié par Mono Ndjana aux éditions l’harmattan : Le panorama de la philosophie Camerounaise.

Le livre est en bonne place dans le rayon philosophique d’une bibliothèque Bruxelloise. Mono Ndjana accède t-il enfin à la reconnaissance internationale ?

Nous ne sommes plus à cette époque où le regretté Vianney Ombey Ndjana reprochait à Hubert Mono Ndjana de rédiger des livres dont le volume ne dépassait pas celui d’un carnet de santé. <<Le panorama de philosophie camerounaise>> est une production de 250 pages. Bien que ce ne soit pas encore extraordinaire en termes de densité, ça permet tout de même d’échapper à la critique que Vianney Ombey Ndjana formulait sur les premières publications.

Le livre commence par un constat : Même si elle n’a pas encore produit Jean Paul Sartre, Jurgen Habermas, Karl Popper, la philosophie camerounaise existe. En mettant de côté les sources orales non parce qu’elles manquent de philosophie, mais parce qu’elles ne permettent pas de cibler les repères avec précision, ni les doctrines avec exactitudes, Mono Ndjana s’emploie à mettre en lumière, des œuvres à connotation philosophique évidente, autoproclamées telles par leurs auteurs et effectivement perçues comme telles par les lecteurs. Cette littérature philosophique se constitue d’ouvrages parus et vendus en librairie d’une part et d’autre part de travaux académiques. Mais qu’est-ce que la philosophie ? On ne saurait attester de l’existence d’une philosophie camerounaise sans expliquer ce qu’on met dans ce mot. Mono Ndjana nous explique que la philosophie c’est l’amour de la sagesse. N’est-ce pas une définition trop scolaire ? D’autres diront une définition pour classe de terminale, et quelque part un peu superficielle parce qu’il faudrait encore définir ce qu’on entend par sagesse.

Sagesse et philosophie sont-ils nécessairement identiques ? C’est un débat. La sagesse peut se passer du discours, parce qu’on peut trouver la sagesse dans certaines formes de silence. Or la philosophie est toujours portée par le logos c'est-à-dire le discours. On pourrait bien privilégier une autre définition beaucoup plus rigoureuse celle de Gilles Deleuze qui disait que <<la philosophie est l’art de fabriquer et d’inventer des concepts>>. Mais une définition aussi rigoureuse pourrait tout changer. Combien de Philosophes camerounais peuvent prétendre avoir inventé des concepts. Ils ne sont pas très nombreux. Ce que la très large majorité des philosophes camerounais semble avoir fait jusqu’à présent c’est le commentaire de texte. Ils ont commenté les travaux des autres (notamment des maîtres blancs) sans produire leurs propres visions du monde.

Hubert Mono Ndjana retrace l’histoire intellectuelle d’une discipline qui a eu maille à partir avec le système. Au moment où le philosophe camerounais essayait de fourbir les armes pour penser les conditions de la libération, les élites aux affaires plus complaisantes avec la domination néocoloniale, vont multiplier les tracasseries pour museler la philosophie allant jusqu’à fermer le département de philosophie au début des années 70.Ce sont des professeurs de lettres qui furent commis pour enseigner la philosophie dans les classes de terminale. La production philosophique n’a pas été pour autant ébranlée. Elle avait même gardé pendant ces années une très grande vitalité dans un contexte difficile marqué par la suspicion. Ecrire sans faire les louanges du système relevait à cette époque de l’héroïsme <<puisque la police secrète tel au pays de Big Brother pouvait lire dans la pensée des gens avant qu’ils

s’expriment, et les sanctionner préventivement.>>. Mais pourquoi la philosophie a-t-elle été combattue ? Mono Ndjana ne prend pas soin de creuser le sujet. L’enquête journalistique que nous avons menée conduit à des réponses officielles très peu convaincantes. Nous avons fini par nous faire une idée en opérant un détour par l’histoire de la philosophie. Les mobiles qui peuvent conduire un gouvernement à fermer une fac de philo sillonnent le temps et l’espace. On a reproché à la philosophie de saper l’ordre, de stimuler l’esprit d’indépendance, et par là d’indignation et de révolte..<< A cela s’ajoute, imposée par la vie quotidienne et le bon sens, la simple norme de l’utilité, devant laquelle la philosophie se trouve impuissante. La philosophie devrait donc se justifier. Et précisément c’est impossible. Elle ne peut citer pour sa justification aucune espèce d’utilité qui lui donnerait un droit à l’existence. Elle ne peut que se réclamer des forces qui poussent tout homme à philosopher. Elle sait qu’elle plaide une cause désintéressée, soustraite à tout calcul de profits et de pertes dans le monde >> Karl Jaspers…

Passons à autre chose. Parlons un instant des rapports entre la philosophie camerounaise et la politique. L’interrogation sur la politique est apparue très tôt comme une grande préoccupation du philosophe camerounais, du moins un axe de travail qu’il ne pouvait esquiver car la philosophie universitaire a dû affronter dès ses premiers pas la figure de l’arbitraire et du pouvoir absolu de donner la mort n’importe quand, n’importe où, n’importe comment et sous n’importe quel prétexte. C’est l’actualité de l’arbitraire sur la longue durée. Pas n’importe quel arbitraire, souligne Mono Ndjana, mais l’arbitraire dans sa comédie et son horreur nue, ombre effective qui tout en échappant à toute beauté, ne manque cependant pas de clarté. Pas n’importe quel arbitraire, poursuit l’auteur, mais l’arbitraire en tant que violence humaine et contingence dont le propre est de commettre des actes de destruction qui par leur nudité, leur masse et leurs effets d’enroulement , ont pour particularité de cacher la peine des humains et de la noyer dans un cercle infini dont le centre est pour ainsi dire partout.

A en croire Mono Ndjana quelque chose semble avoir changé car explique t-il le despotisme et la dictature ne sont plus massifs et charnels. <<La mondialisation formellement libérale, ainsi que l’exigence concomitante de la bonne gouvernance et des droits de l’homme ont arrondi les angles de la

brutalité et de la grossièreté des pouvoirs africains >>. A défaut d’être éclairé argue Mono Ndjana le nouveau despotisme a pris un visage libéral ainsi que des gants de velours. On peut tirer du meta-texte qu’une lame de fond persiste au-delà des habillages. Car l’arbitraire dont parle Mono Ndjana << accomplissant son œuvre et se validant lui-même par sa propre souveraineté autorise que le pouvoir s’exerce comme droit de tuer et investit l’Afrique de morts qui sont à la fois au cœur de chaque époque et au-delà de toutes>>.

La philosophie politique au Cameroun a couvert un champ d’étude très vaste allant de la réflexion sur la palabre africaine(Bidima) en passant l’exploration de la post-colonie(Achille Mbembe) à l’interrogation sur le statut et le rôle de l’intellectuel dans la cité (Bernard Fonlon).

Il va sans dire que la philosophie camerounaise n’a pas seulement été politique. Elle a touché des questions ardues d’épistémologie comme le matérialisme nouménologie, la théorie Kuhnienne de la perception, l’empirisme logique… Le commentaire journalistique doit-il s’attarder sur ces sujets? Ce sont des débats de spécialistes. Tout comme on s’est demandé s’il fallait prendre la navette spatiale pour un voyage stratosphérique vers la métaphysique, la branche la plus prestigieuse de la philosophie, la plus hermétique aussi. On pourrait bien s’y attarder. Pourquoi priver le public de ce qui est prestigieux. Le problème sera de savoir se débrouiller avec le jargon ardu de la philosophie. A ceux qui aiment le discours hermétique nous leur demandons de nous expliquer ce que veut dire Fabien Eboussi Boulaga lorsqu’il nous invite à abandonner le discours de <<l’en-soi>> pour écrire un texte philosophique caractérisé par la détermination du <<pour-soi<>. Ceux qui aiment le jargon difficile trouveront aussi à table cette phrase de Parménide reprise par Mono Ndjana << l’être est, le non être n’est pas>>.Parménide a dit autre chose allant dans le sens : <<il faut dire et penser que ce qui est, est , car ce qui existe , existe, et ce qui n’existe pas , n’existe pas>>. Ces phrases paraissent incompréhensibles à la première lecture. Ce sont des tautologies. Elles ont pourtant un sens. Parménide a vécu 5e siècle avant Jésus Christ... Nous étions déjà dans la métaphysique et le discours hermétique. Parménide réfléchissait sur l’être. Mais c’est quoi l’être ? d’après Wikipédia <<l’être désigne en fonction des contextes, ce qui est, l’existence, la réalité>>.La définition de wikipédia ne nous avance pas beaucoup. D’après Mono Ndjana l’être donc parle Parménide ne

renvoie pas aux réalités naturelles, à cette pluralité des choses qui peuplent notre univers et dont parlent les physiciens. L’être explique-t-il s’exprime au singulier ,l’être en général, total, singulier. C’est la naissance explique Mono Ndjana du principe d’identité qui structure encore fondamentalement la raison jusqu’à nos jours. Son propos est corroboré par les explications de Yves Battistini qui identifie l’être non plus aux choses diverses que saisit l’expérience humaine, mais à l’objet intelligible du logos, c'est-à-dire de la raison, s’exprimant à travers le langage conformément à ses exigences de non contradiction. L’abstraction d’un être purement intelligible, excluant la pluralité, la division, le changement.

Mono Ndjana ne définit pas clairement <<l’être>> , il reste vague , très sommaire et superficiel. Il crée aussi de la confusion lorsqu’il appelle en renfort Yves Battistini. Ce dernier identifie l’Etre tantôt au logos , tantôt à l’Etre suprême. Or ce sont deux notions très différentes. Nous demandons à Mono Ndjana de rester clair sur sa position et dire clairement ce qu’il entend par<< Etre>>. Soi on estime que l’Etre c’est Dieu, c’est la position de Malbranche. Mais on ouvrirait la porte à une violente controverse car une telle définition se ramènerait à identifier la métaphysique à la théologie. Or la métaphysique n’est pas la théologie. Une autre posture serait de soutenir formellement comme Descartes que l’Etre c’est le Cogito, la substance pensante, l’âme immortelle. Mais cette définition non plus ne saurait faire l’unanimité. Elle pourrait vaciller devant Kant qui avait formulé un doute sur la possibilité même de l’ontologie car estimait-il l’être humain ne peut accéder à l’Etre en soi parce que la connaissance humaine est limitée par les formes a priori de notre sensibilité. Faisant suite à kant Martin Heidegger s’est montré très modeste au 20e Siècle en soutenant qu’on ne pouvait pas définir l’Etre parce qu’il est impossible d’y accéder, on pouvait tout simplement le ressentir. On peut à la limite pense-t-il inscrire l’Etre, dans certaines perspectives comme la temporalité. C’est ce qu’a fait le physicien français Etienne Klein lorsque parlant du statut ontologique des objets mathématiques qui ne sont ni tout à fait artificiels ni totalement naturels, il a affirmé : Exister , c’est devenir dans le temps et dans l’espace.

L’Etre est l’objet central de la métaphysique en ce sens que la métaphysique est l’activité qui étudie la cause première de toute chose. Or c’est quoi la cause première de toute chose, C’est le seul fait d’exister. On peut raccorder l’être comme principe d’existence à certaines interrogations devenues célèbres : Pourquoi quelque chose existe plutôt rien ? En vue de quoi existe-t-il ? Aristote disait 5 siècle avant Jésus que : <<la métaphysique est la science qui étudie l’être en tant qu’Etre>>.

Il y a une question que le livre de Mono Ndjana n’aborde pas : Quel pourrait être le destin de la philosophie dans la société camerounaise ? A-t-elle vocation à rester une activité essentiellement réduite à l’enseignement et à la publication de livres ardus lus par un public restreint d’intello-littéraires ? On pourrait bien imaginer une évolution qui conduirait la philosophie à s’ouvrir davantage au monde de l’entreprise par exemple. Pourquoi pas ? On voit déjà sous d’autres cieux des philosophes accompagnés les chefs d’entreprise dans la construction une vision à long terme. On les voit intervenir les hôpitaux pour accompagner les malades en fin de vie…Son expertise serait d’une grande qualité si elle devait investir le coaching de la vie privée qu’elle a laissé hélas à l’industrie très rentable du développement personnel.

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