Cameroun :: Et si notre jeunesse n'avait pas de colonne vertébrale ?
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Cameroun :: Et si notre jeunesse n'avait pas de colonne vertébrale ? :: CAMEROON

Une jeunesse sans avenir ? Je suis à 60 km de Yaoundé la capitale politique du Cameroun, l’arrondissement compte 5 groupements, 4 collèges et lycées. Mais ici je fais face à une jeunesse qui se lève tard, traîne dans ce rond point à quatre voies – un autre constat, Avenue Kennedy à Yaoundé, les jeunes vont et viennent, certains sont assis dans l’agence MTN, regardent la télé, manipulent leur téléphone – pour la chef d’agence, ils sont là pour la connexion – beaucoup remplissent donc leur journée comme ils peuvent mais surtout pas comme il se doit.

Ils ont entre 15 et 35 ans, c’est la génération qu’on qualifierait de « nini », ni édutiant, ni en quête d’emploi, comme près de 64 % de la jeunesse camerounaise, perdus par les faiblesses du système éducatif camerounais, par la faiblesse de proposition du gouvernement et du marché de l’emploi. C’est une jeunesse qui suit les télénovelas. Pour la sociologue Blandine Brathold qui s’est intéressée au phénomène, « leur consommation demeure un phénomène de masse incluant tous les âges, les cultures et les niveaux sociaux : un public hétérogène constitué de 90% de femmes, parfois envahies par l’émotion jusqu’aux larmes. Elles viennent de trouver là un élément de taille qui rivalise avec les matchs de foot en ce qui concerne les hommes. » Les télénovelas passent à toute heure et le Cameroun a la particularité de voir 70 % des bureaux administratifs dotés d’un poste de télévision. On s’occupe sans véritablement travailler en regardant la télévision. Au quartier Mini-Ferme à Yaoundé à quelques pas de l’École des Travaux Publics et du Centre Hospitalier Universitaire de la capitale camerounais, Kemayou y vit. Du linge pend à la devanture de son habitation de fortune à la peinture défraîchie. Ici le taux de chômage frise les 76 %, contre 64 au niveau national. Il dépasse 73 % chez les moins de 25 ans.

Plus de 73% des Camerounais de 15 à 29 ans sont déscolarisés et sans emploi

"J'ai commencé un cours de coiffure" à 15 ans, témoigne le jeune homme, visage émacié et sourire timide. "J'ai fait un trimestre et j'ai arrêté". Depuis, plus rien, hormis quelques petits boulots en 7 ans. Ses journées se suivent et se ressemblent. "Je me lève vers midi, je passe l'après-midi avec des amis devant le kiosque à l’entrée du CHU, on discute, on fume, on se soutient comme on peut, jusqu'à minuit ou 2h00 heures" avant de rentrer dans la chambre où vivent son père et sa compagne, son frère de 22 ans, sa sœur de 28 ans avec ses deux enfants et son demi-frère de 13 ans. La soirée se termine devant la télévision ou un jeu vidéo. Le lit ? Il se le partage, le premier arrivé est le premier servi.

Kemayou n'est pas une exception. Beaucoup de jeunes ont abandonné leurs études dans les années 2000 pour aider les parents qui eux-mêmes ont perdu leur emploi – une cinquantaine de société parapublique ont fermé sans paiement des indemnités. Depuis 20 ans, de nombreux parents font le sit-in devant le ministère

des Finances qui lui-même a changé plusieurs fois de locataire et de dénomination. Les attroupements de ces vieillards devant cet immeuble ne disent plus rien à personne. Marie-Hortense, regarde ailleurs quand elle y passe, elle a longtemps été au chômage et le recrutement des 25 000 lancé par le Chef de l’État lui a permis d’avoir un numéro matricule. Il vaut mieux balayer devant sa porte et un vieux dicton connu de tous ici voudrait qu’on y aille pas tous à une fête pour rentrer au bras d’un amant !

Selon les résultats d’une étude que nous avons réalisée en septembre 2016 avec le soutien du Centre de Recherche pour le Développement International du Canada (CRDI), plus de 67% des Espagnols de 15 à 29 ans sont déscolarisés et sans emploi. Faute d’études fiables, une comparaison n’est pas possible avec les autres pays de la zone CEMAC. Mais le constat est clair et alarmant, les jeunes camerounais "sont menacés d'exclusion sociale car ils ont abandonné les études et la recherche d'emploi".

"Avant, c'était très facile de rêver, aujourd'hui non"

"C'est la génération nini", résume Etoundi du quartier Ewankang en direction de Nkoabang, un quartier-village de Yaoundé, oncle de l'oncle de Ananga, lui-même au chômage depuis 1990, par ailleurs militant du parti au pouvoir et qui dirige le Cameroun depuis 1982.

"Avant, c'était très facile de rêver, aujourd'hui non", se désole Manga. « Aujourd'hui (les jeunes) se réunissent, ils sont aigris et ils ne parlent pas de leur avenir parce qu'il n'en n'ont pas. » Son fils, moto-taximan, une « profession pour jeunes chômeurs » et qui connaît un boom depuis les années 2000, confirme: « Je ne sais pas comment peut être mon avenir, je ne sais même pas ce que je vais faire cet après-midi. Ici à Awae Escalier, j’attends qu’un autre jeune me pousse sa moto, pendant quatre à cinq heures je peux me faire un peu de tune pour caler ma faim et rentrer tranquille à la maison. »

« Démotivé »: c'est ainsi que le décrit son père, Bihina, un professeur de lycée à la retraite au visage qui traduit l’inquiétude de tout le monde ici. « Je suis inquiet, mais je ne peux rien faire d'autre que faire avec. Je ne vais pas le mettre à la rue! Mes filles se sont bien débrouillées par rapport à mes fils, ils ont tous des diplômes universitaires mais ne réussissent pas à passer un seul concours » dit-il, expliquant que son fils a beaucoup souffert du divorce de ses parents quand il était enfant ceci explique peut-être cela.

"Je suis mou"

Manga comme tous les jeunes rencontrés à Bafia, à Bafang, à Yaoundé, comme à Akono a pourtant un rêve: - il voudrait partir loin d’ici, en Europe, pourquoi pas devenir footballeur et revenir un jour aider sa famille. Beaucoup sont déjà partis, l’histoire d’Eto’o Fils fait rêver tout le monde, il est parti pour la première fois sans

papier, aujourd’hui il est pleins d’argent et certains le voit déjà président de la république comme Georges Wéah un autre footballeur qui est passé par le Cameroun. « Je suis mou », avoue-t-il.

Malgré les encouragements de son père et de son oncle, il n'ose pas trop sortir de son quartier car loin de ses copains, il n’y a plus la sécurité. « Tous les jours, il y a des meurtres dans cette ville, la police est complice on ne sait jamais ce qui se passe, alors je tourne ici c’est mon village, je connais tout le monde. » Il y a pourtant une agence pour l'emploi le FNE au Cameroun dont le siège est au Quartier Fouda. "Elle n'est d'aucune utilité, elle n’a jamais trouvé du boulot pour personne et encore moins proposé une formation, ils sont là pour eux et pas pour nous", soupire son jeune oncle en évoquant le manque d'emploi et les injustices dans l’ensemble du pays.

"Il y a un manque d'ambition de la part des institutions" pour aider ces jeunes, dénonce Victor Onana membre du Conseil de la jeunesse, un conseil créé par le chef de l’État il y a quelques années. Beaucoup dans ce pays savent ce qu’il faut faire, mais ils sont pas écoutés, pourquoi pas développer des formations courtes pour lutter contre le décrochage scolaire ? « Avez-vous visité nos prisons ? Elles sont pleines de jeunes gens ! »

« Il n'y a pas de formation pratique qui soit réellement utile »

Angèle Essamba, professeure à l’ISTAG à Yaoundé, confirme la faiblesse de l'apprentissage et autres études courtes, contrairement à ce qui existe partout dans le monde. « Il n'y a pas de formation pratique qui soit réellement utile », et cela prive le Cameroun de salariés qualifiés à tous les niveaux, avertit-elle. « Nos jeunes sont peut-être surdiplômés mais ne sont pas compétitif sur le marché de l’emploi. Que savent-ils faire en réalité ?

En attendant, Manga se permet timidement de croire que les choses peuvent changer. Quand il votera pour la première fois de sa vie, aux législatives et aux municipales comme annoncé par le Chef de l’État lors de son traditionnel message à la nation le 31 décembre 2017.

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