Fridolin Nke : Et si Paul Biya se souciait plus de nos universités que nous-mêmes les universitaires ?
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C’EST NOUS, LES UNIVERSITAIRES, QUI TUONS CE PAYS !

Les enfants d’autrui  viennent des Lycées et collèges, savants en herbe. Dès qu’ils arrivent dans les amphis, nous, coquins mal intentionnés, les prenons en charge et les abrutissons sans ménagement. Nous tuons leur génie. Après vous dites que les enfants d’autrui n’ont pas le niveau ; que, donc, vous devez rester dans les postes parce que vous seuls êtes compétents et capables. J’ai votre (notre) macabo.
Notre narcissisme, notre suffisance, notre cupidité, notre volonté de puissance, notre désir viscéral de domination et d’éternité et notre méchanceté sont la gangrène qui engloutit tous les secteurs de la créativité et de la recherche dans notre pays. Nos conciliabules infâmes se développent sans risque à cause des menaces, des brimades, des intimidations et coups-bas que nous faisons subir sans conséquence à nos étudiants, étudiantes et à nos jeunes collègues.

C’EST NOUS, LES UNIVERSITAIRES, QUI TUONS CE PAYS !

Maintenant, le Président de la République offre 500 000 ordinateurs aux étudiants et 9 centres de développement dans nos universités.Vous dites que ce n’est pas assez ; que c’est une escroquerie politique en vue de la présidentielle de 2018 ; qu’on pouvait faire infiniment mieux ; que les universités ailleurs en Afrique payent mieux leurs enseignants ; que l’état des infrastructures est à déplorer, etc. Vous poussez l’outrecuidance jusqu’à demander aux étudiants de refuser ces ordinateurs !  

À mon humble avis, l’initiative présidentielle est à soutenir. Pour trois raisons au moins : d’abord parce que c’est l’approfondissement d’une approche visionnaire de l’enseignement supérieur qui peut révolutionner notre recherche ; ensuite parce que cet acte contraint les universitaires non seulement à se remettre en question, mais aussi à se recycler et à s’adapter aux évolutions technologiques et pédagogiques de l’heure ; enfin parce que la banalisation et l’intoxication qui entourent cette remise du « cadeau » présidentiel est de nature à inhiber les effets positifs que ces instruments devraient nécessairement avoir sur le parcours de formation des étudiants.

Paul Biya n’a pas commencé à s’intéresser à l’université aujourd’hui. En parallèle avec ses discours sur la nécessité de « s’adapter à l’évolution du monde », de procéder à la « mutation numérique », cette remise d’ordinateur n’est qu’une énième manifestation de l’intérêt présidentiel en faveur d’une révolution majeure de notre système de formation supérieure. En ce sens, le « don » de Paul Biya est un défi à chacun de nous, universitaires, qui fanfaronnons dans les amphis. À travers ces ordinateurs et ces centres, Paul Biya demande : comprenez-vous ce qu’il faut faire et avez-vous l’étoffe pour implémenter cette politique de recherche novatrice qui nous attend ?

Pau Biya s’inquiète : n’êtes-vous pas périmés par rapport aux dispositifs, instruments et enjeux complexes dont ces innovations sont assorties ?
Paul Biya s’émeut : un prof actuel comprend-il le monde où il vit ? Peut-il y survivre et à plus forte raison l’enseigner à ses étudiants ?
Paul Biya s’alarme enfin : les pédagogues camerounais du tertiaire sont-ils dépassés ?

C’EST NOUS, LES UNIVERSITAIRES, QUI TUONS CE PAYS !

Lorsque j’ai été recruté à l’Université de Yaoundé I, en 2015, j’avais soumis un projet à l’attention du Recteur intitulé « Éditorialisation académique et soutien à la recherche documentaire ». J’avais également initié tous mes étudiants à la recherche en ligne, avec mon vidéoprojecteur et ma bibliothèque numérique que j’avais gracieusement mise à la disposition de mes collègues. Cela m’a valu des menaces de mon Chef de département qui m’a accusé de perturber les habitudes pédagogiques en vigueur. Mon projet soumis au rectorat est resté sans suite. Pourtant, lorsque l’Université de Yaoundé I a imposé la télé-évaluation, c’est mon ordinateur portable que le Département utilisait souvent pour éviter la catastrophe. Savez-vous que ces gens, qui perçoivent des millions comme prime trimestrielle de recherche, n’ont pas d’ordinateurs portables ? Comment vont-ils enseigner des étudiants qui, eux, disposent désormais chacun d’un Notebook ?
Et vous ne pouvez pas imaginer la frénésie qui s’empare d’eux lorsque la prime a une semaine de retard. Ils s’agitent, ils se braquent ; ils deviennent insupportables et, opposants de circonstance, ils viennent me casser les oreilles alors que j’écris mes articles ; ils s’improvisent conférenciers des couloirs et vomissent leur venin contre le sommet de l’État. Une fois le versement reçu, ils se désintéressent de la « politique ». Ils poursuivent en douce leurs intrigues où ils excellent.

Vraiment, s’il vous prend la fantaisie de comparer les turpitudes criminelles de nos universitaires avec les actes reprochés au Chef de l’État, vous conclurez que Paul Biya est un Saint. Si, aujourd’hui, un enseignant Assistant peut gagner un procès à la Cour suprême contre ces « dieux » de l’Université, c’est grâce à Paul Biya, à sa réforme historique des années 90 (à travers laquelle Assistants, Chargés de cours, Maîtres de conférences et Professeurs des universités sont régis par le même texte juridique) et la promulgation de la loi de 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs.

Arrêtez donc d’intoxiquer les étudiants ! Ils doivent non seulement recevoir ces ordinateurs avec déférence, mais aussi tâcher d’apprendre rigoureusement les fonctionnalités spécifiques de ces outils du salut. C’est encore Paul Biya qui vous empêche d’avoir la présence d’esprit d’organiser des séances de formation gratuite des étudiants à l’utilisation des ordinateurs présidentiels ?D’ici peu, nous, universitaires de ce pays, apparaîtrons sous notre vrai jour : une castede « Maîtres ignorants », de professeurs « ignares », de guides aveugles et de bibliomanes sadiques.

Dr Fridolin NKE

Expert international en Ingénierie de la formation supérieure
Auteur de l’Étude contextuelle des éléments en lien avec la certification de la formation professionnelle supérieure Bac +2/3  dans  12 pays du réseau Afrique Compétences Professionnelles Supérieures (Projet financé et piloté par le Ministère des Affaires étrangères français (MAE) et mis en œuvre par France Expertise Internationale (FEI). Disponible en ligne .

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