Notes sur la judiciarisation de la politique et l’échec des transitions politiques en Afrique noire francophone
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Notes sur la judiciarisation de la politique et l’échec des transitions politiques en Afrique noire francophone :: AFRICA

Chaque fois que la nature réclame ses droits à un dictateur africain afin de mettre un terme définitif à sa célébration carnavalesque d'un pouvoir perpétuel sur fond d'immortalité, son pays finit englouti dans une guerre civile.

À l'exception notable du Sénégal et du Bénin, la plupart des pays africains francophones ont connu une transition politique défaillante, ponctuée notamment par des guerres civiles. La logique habituelle de la science politique conventionnelle engoncéee dans une pensée paresseuse est de dire que ces pays auraient connu une transition politique qui a échoué parce que ces dictateurs, en sortant de la scène, ont pris avec eux leurs compétences politiques dites supérieures qui leur permettaient de «doser» une mixture d'expédients primitifs, sauvages, et sanguinaires avec un semblant d’État moderne voulu démocratique, de droit, donc fonctionnel.

Cette pensée paresseuse fait délibérément l’impasse sur les raisons pour lesquelles les mécanismes de transition pacifique du pouvoir en Afrique noire francophone ont souvent échoué, notamment lorsque les dictateurs inamovible quittent enfin de la scène. Car la réalité est plus compliquée. Elle exigerait en effet d'analyser en profondeur l'environnement kleptocratique et autoritaire dans lequel évoluent les élites africaines francophones, notamment comment elles ont tribalisé la gouvernance politique et économique sur le continent. En effet les logiques tribales semblent prosperer dans la crise, en particulier dans les crises de la légitimité.

Il faut aussi observer comment les programmes d'ajustement structurel sur le continent à partir des années 80 ont obligé les états Africains à déréglementer et à réduire considérablement le train des services publics jusqu’à tuer l'État providence embryonnaire sur le continent. La mort de l'État-providence a marqué la fin de l'efficacité de gestion du gouvernement et sa capacité à fournir des services de qualité à la population. Pire encore, les programmes d'ajustement structurel ont entraîné la privatisation de l'État entre les mains d’une Elite et plus souvent transformé l'État en une machine de guerre pour canaliser et gérer les inégalités croissantes.

Par conséquent, la politique d'austérité incessante et perpétuelle a créé une série de convulsions politiques, sociales et économiques qui ont exacerbé le tribalisme. Au Cameroun, au nom de la lutte contre la corruption, le gouvernement a politisé les tribunaux pour criminaliser la dissidence politique légitime et empêcher la concurrence politique, souvent au sein du parti État au pouvoir. Dans ce processus de confiscation du pouvoir par un seul homme et son parti, toutes les dispositions constitutionnelles sur les limitations du mandat présidentiel ont été supprimées. De plus, les tripatouillages constitutionnels ont consacré le pouvoir du président omnipotent d'agir sans aucun contre pouvoir, aucune forme de surveillance. Ce qui a eu une incidence directe sur la manière dont la justice, les droits de l'Homme, les élections libres et la démocratie fonctionnent par exemple au Cameroun. Ce nouveau statut de présidentialisme à pouvoir renforcée complique l’idéal poursuivi par les pères fondateurs d'un État-nation, garant suprême des droits des gens.

L’échec des transition politique en Afrique noire francophone nous apprend ainsi que les droits ont un prix et que la justice se perd lorsque le seul but est de mourir au pouvoir. En plus, l’exercice du pouvoir pour le pouvoir, sans aucun sens de l'intérêt général et public, nous condamnent collectiveement. En particulier ce genre très spécifique de pouvoir nihiliste qu’Achille Mbembe appelle « necropolitique » qui se nourrit exclusivement de tribalisme, de misogynie, d'autoritarisme, du paternalisme, de paranoïa, d'anti-intellectualisme, et de sorcellerie ou du culte de la mort sacrificielle.

Olivier Tchouaffe, PhD, contributeur du CL2P

English version

Notes on Judicialization of politics and Failed Political Transition in Francophone Africa. 

By Olivier Tchouaffe, PhD, CL2P contributor

Every single time nature reclaims its rights on African dictators and abruptly ending the carnavalesque celebration of their obscene sense of immortality, their respective country gets engulfed in civil wars.

Apart from Senegal and Benin, most Francophone Africa countries have experienced failed political transition including civil wars. The usual conventional political science’s rationale and lazy way of thinking is that these countries have experienced failed political transition because these dictators, as they exit the stage, have taken with them their superior political skills that have allowed them for a while to whip an assemblage of primitive and bloodthirsty savages into the semblance of a functioning modern–states.

This is lazy thinking, moreover, because the knowing class seems not to very focus on why mechanisms for peaceful transition of power failed when dictators exit the stage on the continent. The reality, however, is more complicated. It glazes over how the authoritarian kleptocratic context under which the Francophone African elites operate. How they have themselves tribalized political governance in the continent and how tribal politics seem the most acute in times of crises, particularly crisis of legitimacy.

As the structural adjustment programs swept the continent beginning in the 80s and mandating deregulation and severe cuts in public services, in the process, killing off the welfare state. The death of the welfare state signaled the end of the government’s managerial efficiency and its ability to deliver quality services to the population. Even more so, the structural adjustment programs have resulted in the privatization of state in the hand of the few and more often turned the state into a war machine to channel rising inequality. Hence, the incessant politics of austerity have created a set of political, social and economic convulsions which have exacerbated tribalism.

In Cameroon, in the name of fighting corruption, the government has politicized the courts in order to criminalize legitimate political dissent and prevent political competition, oftentimes, within the ruling party-state. In the process, all the constitutional provisions for term limits have been removed from the constitution. Even more, they enshrined the power of the president to act without any forms of oversight which has serious impact on how justice, human rights, free election and democracy operates in Cameroon.

How this knowledge complicates the ideal of the nation-state as the primary guarantor of human rights in the world?
The failed political transition in Francophone Africa teaches us that entitlements have a price and justice gets lost when the only goal is to die in power and power without virtues doom us all, particularly, when it ushers nihilistic politics Achille Mbembe calls “necropolitics,” a sinister politics feeding off tribalism, misogyny, authoritarianism, paternalism, paranoïa, anti-intellectualism, and witchcraft.

Olivier Tchouaffe, PhD, CL2P contributor

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