Comment Boko Haram profite des changements climatiques
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Pour planifier ses attaques, la secte se sert des oiseaux et des désagréments liés aux changements climatiques.

Place du marché de Kidjimatari ce 16 novembre 2016. Sous un soleil enivrant, deux gamins se battent pour un demi-litre d’eau minérale jeté par un militaire sur le sable brûlant. L’un des protagonistes ramasse une pierre, prêt à frapper l’autre. Le combat dure environ une dizaine de minutes, au milieu de moutons terrorisés eux-aussi par la chaleur. «Des échauffourées de ce genre, il y en a ici tous les jours. Il n’y a presque pas d’eau potable pour ces gens !», marmonne un jeune soldat du Bataillon d’intervention rapide (BIR).

Pour apprécier l’ambiance, il faut s’attabler dans des gargotes. Contre 25 francs CFA, des femmes aux joues tartinées à la pierre jaune, proposent aux passants assoiffés des calebasses d’eau sale, obtenue dans une petite mare, relique de la dernière pluie. «Elle remonte à trois mois. Depuis près de cinq ans, la saison sèche commence déjà très vite ici ! On ne comprend plus rien à cette situation», renseigne Alioum Mahamat, le lamido de Kidjimatari. De quoi effleurer la réalité locale : l’unique mayo (rivière) désormais asséché, trace son sillon entre les montagnes dégoulinantes. Jadis couronnées d’une immense végétation, toutes ne sont plus qu’ocre, sable et rocaille.

«Ces forteresses semblent raconter une nouvelle histoire. On ne peut plus rien cultiver là-bas. Maintenant, pour améliorer l’ordinaire on se contente d’un peu de mouton, mélangé à la pâte de mil nappée d’une sauce gluante. On n’a rien à manger ! Les gens fuient pour aller chercher de quoi manger. Et c’est là que Boko Haram les enrôle à défaut de les tuer», se désole Alioum Mahamat.

En décalant le regard de quelques mètres, on aperçoit des zébus chétifs à la recherche de maigres déchets. Les pâturages sont devenus très rares. Il faut parcourir plusieurs kilomètres pour rejoindre la première oasis empêtrée dans une moiteur indolente. Des informations glanées auprès des militaires révèlent que les combattants de la secte terroriste nigériane ont exploité à leur avantage les migrations des populations vers cet endroit. Douze morts en janvier 2014. Une quinzaine en avril 2015. Toutes les maigres réserves alimentaires appartenant à la myriade d’ethnies qui peuplaient ce «havre» furent emportées lors de cette dernière incursion. Aujourd’hui, seul un groupe de femmes nigérianes distillent un alcool de maïs ici. Pour avoir de l’eau nécessaire à la préparation de ce breuvage cousin du bili bili camerounais, elles chassent, à l’aide de leurs mains, la boue contenue dans une minuscule mare, sous l’oeil d’une escouade d’étourneaux.

«Guides»

De petits oiseaux tout simplement, pas du tout. «Ce sont aussi de funestes guides à partir desquels Boko Haram élabore ses attaques», avance Oumarou Kaldama. Natif de Kidjimatari, il avait été enlevé par la secte en octobre 2015. «J’ai passé 13 jours à Ngoshé avant de trouver une précieuse faille et j’ai pu m’enfuir», raconte-t-il d’une voix sépulcrale. Son séjour en captivité dans cette localité anciennement réputée être l’une des base de Boko Haram, lui a permis de comprendre pourquoi les terroristes agissent toujours là où il n’y a pas de présence militaire.

«Quelques temps avant une attaque, ils exploitent les renseignements fournis par leurs relais parmi nous. Ce sont des gens qui interprètent les mouvements des oiseaux», instruitil. «Le fait est que certains volatiles n’aiment pas l’odeur des matières qui rentrent dans la composition d’un explosif ou une arme de guerre», théorise le Dr Abdoulaye Voulda, vétérinaire camerounais formé en Indonésie. Durant son cursus dans ce pays mû par une tradition djihadiste, il a côtoyé des terroristes. «Tous le savent: les oiseaux, notamment les étourneaux, indiquent avec précision que sur un rayon de 30 à 40 kilomètres, il y a une senteur d’uranium avec lequel sont fabriquées les munitions. Quand vous voyez ces oiseaux quelque part, il est très sûr que dans la distance que j’ai évoquée, il n’y a aucune troupe équipée d’armes modernes, tout au moins il n’y a pas d’uranium manufacturé. C’est une solution low-tech pour un problème high-tech utilisée par les terroristes.

C’est cela que Boko Haram exploite pour attaquer au moment où l’on s’attend le moins», soutient-il. Cela est doublement vrai: «même à leur base de Ngoshé, j’ai constaté qu’aucun oiseau ne rôdait. Etant entendu que leur arsenal de fabrication de bombes artisanales y était implanté. Et chaque fois que ces sanguinaires ont attaqué ici, les étourneaux se baladaient en bandes dans le ciel», appuie naïvement Oumarou Kaldama. Du fait du quadrillage systématique de toute la bande frontalière par les forces de défense camerounaises, les grands itinéraires de ces petits oiseaux ont changé. «Cela n’est pas perceptible par le profane. Mais, tous les terroristes interprètent les mouvements de certains oiseaux en journée au moins 48 heures auparavant. C’est ce qui se passe avec Boko Haram», dévoile le Dr Abdoulaye Voulda.

Il ajoute: «Ici à l’Extrême-nord du Cameroun, c’est dans les localités situées dans les massifs de moyenne altitude et les oasis  que ces barbares agissent puisque deux jours à l’avance, les étourneaux auront déjà indiqué à leurs agents de renseignement qu’aucune arme militaire n’est proche». Selon Alioum Mahamat qui tient une anecdote de son arrière-grand-père, ces «guides» avaient été utilisés comme espions lors de la guerre entre les Kanuris et les peuhls au début du 19ème siècle. Les premiers, apprend-on, avaient pris le dessus sur les seconds grâce à leur érudition en matière d’interprétation de la transhumance et des cris des oiseaux.  

Climat

Dans les milieux militaires camerounais, on avait tablé sur une hypothèse: les lieux ciblés par Boko Haram évoluent avec les saisons. Actuellement tout est chamboulé. «Dès les premiers moments de la guerre, on avait établi qu’en saison sèche (novembre à mai), le département du Logone et Chari (en particulier les îles du lac Tchad, Fotokol et Dabanga) est le plus attaqué en raison de l’assèchement des rivières, en saison des pluies (juin à octobre) le Mayo Sava et le Mayo Tsanaga sont ciblés. Maintenant, on ne sait plus exactement quand s’arrête l’une et l’autre saison et dans quelles localités ces désordres climatiques sont plus observés», émet un officier de l’Opération Alpha.

Après une minutieuse comparaison des paramètres, ce dernier conclut que la région de l’Extrême-nord est particulièrement vulnérable au changement climatique en raison de sa position géographique très proche du désert du Sahara. «Ces derniers temps, on ne peut pas parler franchement de modèle climatique ici et ça rend la guerre plus asymétrique», déplore-t-il en relevant que la saison des pluies donnait l’occasion à Boko Haram de renforcer ses bases et camps d’entrainement aux frontières du Logone et Chari. La secte s’y s’installait pour recruter dans des îles camerounaises du Lac Tchad, à l’accès difficile. Boko Haram profite de la montée des eaux pour faire passer des armes par les îles de Tchol, Goulfey et Darak ou les micro-îles inondables du lac, non répertoriées.

«On a sécurisé ces zones». Seulement, à côté, le soldat établit un lien entre les changements climatiques et les attaques surprises des assaillants. «Si on superpose les cartes de la sécheresse et la carte des localités ciblées par Boko Haram ici à l’Extrême-nord, on constate une coïncidence selon laquelle les assaillants sont beaucoup plus actifs là où l’eau est très rare et on ne sait plus vraiment à quelle période elle le devient», mentionne-t-il. Sur le terrain, Boko Haram a déployé son carnaval d’enfer autour du Lac Tchad. De part et d’autre, trois pays se regardent, se rencontrent, s’affrontent parfois. Comme si le lac en était la cause, comme si c’était l’eau, et non l’histoire, qui avait dessiné là trois frontières, entre le Cameroun, le Tchad, le Nigéria. Peut-être même quatre, tant le Niger est proche.

«Les régimes pluviométriques de toute la région sont touchés de plein fouet et accusent  une baisse de plus de 20 % par rapport aux niveaux de 1990, les rendements de l’agriculture pluviale très courante ici ont diminué de 50 % par rapport à 1998. L’assèchement graduel de ce lac pose un problème aux populations qui autrefois vivaient sans grande difficulté d’approvisionnement en eau. Appauvris violemment à cause de ce phénomène climatique destructeur, des habitants fragilisés recherchent le salut dans les migrations et d’autres trafics faciles. Les terroristes nigérians se sont approprié de cette réalité», suggère Jacques Mbezele, un cadre du poste météorologique de Kousséri. Tout pour comprendre le penchant «humanitaire» de la secte.

«Au départ, nous avons vu des gens qui nous offraient de l’eau minérale. Nous n’avions su que c’était Boko Haram lorsqu’ils ont commencé à tuer des innocents», chuchote Abakar Naïr. Aujourd’hui réfugié dans le chef-lieu du Logone-et-Chari, cet ancien riverain du Lac Tchad rapporte que face à la sécheresse, la méfiance s’oublie, la facilité ferme les yeux des nécessiteux. International Crisis Group est aussi du même avis.

A en croire cette ONG, «la grande pauvreté en zone rurale, où vivent 85% de ses habitants, et le changement climatique ont aggravé dans les années 1990 la compétition pour l’accès aux ressources naturelles dans une région déjà en proie à des tensions communautaires et à des violences récurrentes».

Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice des femmes autochtones du Tchad (AFPAT) constate au quotidien les ravages du réchauffement climatique sur le tissu social: «Celui-ci engendre des crises humanitaires qui déstabilisent sociétés et familles.

Si les sociétés sont déstabilisées cela crée des conflits intercommunautaires sur la gestion des ressources naturelles et l’accès à ces ressources. Si les conflits cultivateurs/ éleveurs sont fréquents dans le Sahel, le dérèglement climatique ne fait que les exacerber. Les hommes sont obligés de sortir de la famille, de leur communauté pour chercher du travail loin et c’est un bonheur pour Boko Haram».

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