La révolution soroïste expliquée à sa génération : 2ème partie de «  La révolution soroïste en marche en Côte d’Ivoire »
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Une révolution citoyenne est l’expression d’une vision. Elle identifie les tares de la situation actuelle. Elle identifie les forces de changement. Elle liste les ressources humaines, matérielles, intellectuelles et spirituelles nécessaires pour le renouveau du pays. Enfin, dans un troisième geste, la révolution s’ébranle pour doter le pays d’une nouvelle armature sociale, culturelle, économique, politique, et mieux encore, civilisationnelle. Qu’en est-il donc du soroïsme? IL faut que la génération appelée à assumer la Côte d’Ivoire et l’Afrique s’en imprègne bien. Je voudrais, dans les lignes qui suivent, décliner le plus simplement possible ce que j’en ai compris, afin que nul ne l’ignore. En cinq moments, je voudrais donc dire ce que Guillaume Soro et ses compagnons envisagent pour une Côte d’Ivoire incarnant toujours davantage l’expérience et l’espérance africaines, afin que ces idées-clés servent de boussoles en ces temps d’errance, d’opportunisme, de dogmatisme patrimonial, d’autoritarisme ambiant et de quête d’un nouveau cap pour l’accomplissement de la grandeur de notre époque. J’aspire à être bien sûr compris par ceux qui ont des oreilles: non pas simplement physiques, voire pas du tout physiques, mais essentiellement intellectuelles, politiques et spirituelles. Quant aux durs d’oreille, sourds de l’intérieur, laissons-leur le loisir d’apprécier la maxime latine: « Quid de te alii loquantur, ipsi videant. Sed loquantur tamen »; « Ce que les autres diront de toi, c’est à eux de le voir. Mais de toutes façons, ils parleront. »

Primo. Guillaume Soro et ses compagnons sont engagés pour le pardon et la réconciliation inter-ivoiriens. Cela veut dire qu’ils décident de se décharger du poids de haine et d’esprit de vengeance accumulés par les héritiers et les critiques du Président Félix Houphouet-Boigny, dans leur longue bataille successorale, commencée du début des années 90 à cette année 2017.  Bien comprendre la formule « Trop est toujours Trop », employée par Guillaume Soro dans les billets fulgurants de ces derniers jours, c’est comprendre que le député de Ferkéssédougou a résolument pris date, depuis le 3 avril 2017 au moins, avec une mission essentielle pour l’avenir de son pays: réconcilier les ivoiriens, qu’ils soient proches ou non du PDCI, du RDR, du FPI, de l’UDPCI, de l’UPCI, du MFA, autour de principes et règles communs en matière de prise du pouvoir, de gestion du pouvoir et de transmission du pouvoir d’Etat. Le rassemblement de la nation, voulu par Guillaume Soro vise le dépassement des intérêts partisans vers la prise de conscience d’un contrat sociopolitique minimal, commun et solide. C’est donc une vision qui assimile réconciliation et démocratie que Soro met en oeuvre. Le pardon version Soro n’est ni amnésie, ni faiblesse. Mais force de l’amour opposée à celles de la haine, de la vengeance, de la rancoeur et de l’arrogance destructrices de ce pays. Dans cet esprit, Guillaume Soro a mis ses compagnons en mission sur tous les continents, pour prendre langue avec tous ceux qui ont perdu espoir en la Côte d’Ivoire, afin que l’avenir soit balisé par la justice, la transparence, l’inclusion et la cohésion maximale autour de règles intangibles, dans le respect des différences culturelles, religieuses, politiques, qui elles-mêmes respectent l’intérêt général de la république.  La réconciliation ivoirienne n’est, bien comprise, que la consolidation de l’Etat de droit démocratique, avec toutes les libertés qu’il exige: liberté d’expression, liberté d’association, liberté de circulation, liberté de pensée, liberté de croyances, liberté d’entreprendre, etc. Le Pardon n’est pas laxisme, mais acceptation de désempoisonner la société du désir ténébreux de vengeance, pour lui offrir des bases consensuelles solides, gages de paix et de justice, mais aussi de prospérité pour tous les résidents de la Côte d’Ivoire.  La société ivoirienne à laquelle aspirent Guillaume Soro et les siens est donc une société de justice, de paix, de liberté et de fraternité vraies. La libération des derniers prisonniers de la crise postélectorale 2010-2011 est en ce sens, tout comme l’accélération des mécanismes d’amnistie, l’un des ingrédients essentiels d’une nouvelle respiration de l’espoir en Côte d’Ivoire. La révolution soroiste est donc la resocialisation totale de tous les Ivoiriens laissés-pour-compte sur les bords du progrès de la nation ivoirienne.

Secundo. Guillaume Soro et ses compagnons sont déterminés à obtenir une réorientation sociale et libérale de l’économie politique ivoirienne, dans le souci scrupuleux des données essentielles de l’écologie contemporaine. IL s’agit de sortir résolument d’une dogmatique ultralibérale qui fait de l’accumulation des dettes, le nec plus ultra de l’efficacité économique. Cela veut dire que la croissance économique, sans le bien-être avéré du peuple, est un mythe qu’il faut désormais déconstruire. L’économie doit être au service des citoyens, et non les citoyens, au service de l’économie. Un nouveau rapport aux choses, aux personnes, à la nature, marqué par la priorité du Bien Commun,  s’impose pour renouveler l’esprit de la Côte d’Ivoire. Les chiffres, fussent-ils éloquemment manipulés, ne font pas le bien-être réel des citoyens. L’actuelle logique, privilégiant en réalité l’obtention unilatérale du satisfecit des grands créanciers , ne saurait longuement durer sans aggraver la souffrance des sans-emplois, des jeunes déscolarisés et abandonnés qui deviennent « microbes » et « gnambros », d’une classe moyenne agenouillée par le coût des loyers, de l’électricité, de l’eau, des produits de première nécessité, et finalement d’un monde des affaires inquiet de la stabilité de ses investissements, comme l’a par exemple révélé le scandale de l’Agrobusiness. Guillaume Soro et ses compagnons oeuvrent pour une économie sociale respectueuse de la liberté d’entreprise, mais absolument déterminée à prioriser les fondements de la prospérité que sont, dans tous les grands pays du monde, la sécurité, l’éducation, la santé, l’emploi, la culture, la probité gouvernementale et la diplomatie pragmatique. IL s’agit donc d’endogénéiser, par une diversification déterminée de l’économie qui suppose une industrialisation ciblée, la création intérieure de richesses et le crédit aux entreprises nationales, permettant d’obtenir durablement une balance commerciale excédentaire pour la Côte d’Ivoire. Seule l’atteinte de ce cap d’autonomie économique pouvant permettre de sortir de l’escalade de l’endettement et de la désespérance des classes sociales exsangues, anémiées par une oligarchie du capital coupée des réalités quotidiennes.

Tertio. Guillaume Soro et ses compagnons savent que la révolution moderne puise ses fondements dans les alluvions profonds de la culture nationale et universelle. Riche de sa diversité, la Côte d’Ivoire doit s’appuyer en profondeur dans ce que sa culture a d’original et d’exemplaire. Comment comprendre par exemple, que le cacao qui fait la grandeur économique de ce pays, ne fasse toujours pas l’objet d’une véritable appropriation culturelle positive?  Comment comprendre que la musique ivoirienne n’ait pas encore ses encyclopédies? Comment comprendre que les sciences, les arts et lettres de Côte d’Ivoire ne se soient pas encore ébranlés vers la conquête d’autres places culturelles planétaires, alors que l’excellence ne leur fait défaut en aucun domaine? Une politique nouvelle de la culture s’impose donc, qui obéira au triple principe de diagnostic de l’existant culturel, de mise en perspective des potentialités sous-exploitées de la vie symbolique ivoirienne, mais aussi d’opérationnalisation d’une modernité culturelle nouvelle, puisée au forceps de la créativité nationale, de l’ouverture au Tout-Monde des idées et de dialectisation des catégories et schèmes esthétiques disponibles dans le pays. IL n’y a pas de révolution citoyenne sans reconfiguration culturelle. La fécondité d’une époque tient à la profondeur de sa conscience de soi et de l’Autre. Le Professeur Augustin Dibi Kouadio, brillant penseur de la Côte d’Ivoire, a formulé cela en un couple de concepts: la différence libérée. C’est de cela que la politique culturelle ivoirienne doit s’inspirer, en partant de la cadavérisation accentuée de l’ivoirité vers la mise en valeur de l’humanité originale de Côte d’Ivoire, comme symbolique nationale exemplaire pour la dignité de l’Homme ivoirien dans l’intégration africaine. 

Quatro. La révolution soroiste exigera un ajustement continu des institutions sociales, culturelles, économiques et politiques du pays à ses besoins et désirs réels, et non aux calculs patrimonialistes des oligarchies qui s’acharnent à la rendre captive de leurs ambitions surannées et stériles. On devra regarder de près, ce à quoi servent les institutions existantes, en les évaluant par une pédagogie du projet, du bilan et de la réforme. Une présidence ou une vice-présidence de la république, un gouvernement, une assemblée nationale, un sénat, des cours judiciaires, des Conseils sociaux, des hautes autorités, toutes les institutions de la république, ne sont dans la logique soroiste que des inventions humaines au service du Bien Commun. IL faut donc sans cesse les évaluer, les critiquer, les améliorer, ou les récuser dans leurs formes et principes, s’ils s’avèrent contre-productifs à l’analyse objective et consensuelle des citoyens avisés. 

Cinquo. La révolution soroiste puise ses ressources ultimes dans les énergies spirituelles constructives de l’Amour. Non pas dans la naïveté d’un « peace and love » qui nierait la dangerosité de l’espèce humaine que soulignaient si bien un Hobbes, un Machiavel ou un Carl Schmitt. Guillaume Soro, mieux que quiconque en Côte d’Ivoire, sait bien que la politique est le domaine par excellence du Polémos. Dans ce terrain, le conflit est toujours soit latent, soit ouvert, jamais absent. Mais la vision d’un homme d’Etat pour son pays consiste à vouloir justement doter celui-ci de la capacité d’abriter et de résoudre ses propres conflits, de telle sorte que toujours victorieuse, la cause du Bien Commun garantisse la prospérité, la liberté et la gratitude des générations futures à celles qui auront anticipé sur les difficultés d’aujourd’hui comme de demain.  L’Amour dont il est question dans le soroïsme s’exprime dans la volonté de servir ce pays et non de se servir de lui comme tremplin pour des manoeuvres de patrimonialisation cynique. La fédération américaine a une constitution de plus de deux siècles parce que les Founding Fathers pensèrent l’Amérique indépendamment de leurs sorts individuels. Elle vit dans ce cadre, l’Amérique,  ses hauts et ses bas. La République Française, qui célèbre ce jour même sa révolution fondatrice, est dotée depuis 1958 d’une constitution qui abrite ses mutations. L’immense Général de Gaulle, « le plus grand rebelle français de l’Histoire, après Jeanne d’Arc »,  bâtit le renouveau national français sur une passion très haute en noblesse:

« Ce que le chef ordonne doit revêtir, par conséquent, le caractère de l’élévation. IL lui faut viser haut, voir grand, juger large, tranchant ainsi sur le commun qui se débat dans d’étroites lisières. IL lui faut personnifier le mépris des contingences, tandis que la masse est vouée aux soucis de détail. IL luit faut écarter ce qui est mesquin de ses façons et de ses procédés, quand le vulgaire ne s’observe pas. (…) Réserve, caractère , grandeur, ces conditions du prestige imposent à ceux qui veulent les remplir un effort qui rebute le grand nombre ».

De même, le soroisme participe de cette dynamique de stabilisation de la Côte d’Ivoire par la radicalisation du désir de justice, d’inclusion, d’équité, de paix et de prospérité partagées qui justifia le sacrifice fondateur du 19 septembre 2002. Et c’est pour que le 19 septembre 2002 ne se reproduise plus en Côte d’Ivoire, c’est pour que la tragédie d’octobre 2000 soit dépassée, c’est pour que l’émoi du 24 décembre 1999 soit apaisé;  oui, c’est pour que la guéguerre successorale de 1993 à 1999, ou la crise postélectorale de 2010-2011 soient définitivement dépassées, que Guillaume Soro et ses compagnons se sont fixés un cap: inventer, en intelligence profonde avec le génie du peuple ivoirien, une civilisation politique dédiée à la bienveillance, à l’intelligence, à la sacralité de l’intérêt général et rendue vigilante par la mémoire vive de l’Histoire. A la génération en charge de l’avenir de la Côte d’Ivoire de prendre la mesure de ce challenge et de l’assumer. Oser lutter en pleine conscience,  c’est la condition essentielle pour oser vaincre. 

Une Tribune Internationale de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie
Washington, Etats-Unis.

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