Cameroun: Thierry Amougou "A la une Conférence économique internationale des 17 et 18 mai,les affinitaires du régime, à la fois juges et parties vont ronronner ce qui va dans le sens du régime en place"
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Cameroun: Thierry Amougou "A la une Conférence économique internationale des 17 et 18 mai,les affinitaires du régime, à la fois juges et parties vont ronronner ce qui va dans le sens du régime en place" :: CAMEROON

Pour mettre en avant ses atouts et attirer les investisseurs, le Cameroun organise une Conférence économique internationale placée sous le thème « Investir au Cameroun, terre d’attractivités ». L’événement prévu du 17 au 18 mai prochain à Yaoundé devrait contribuer à donner une meilleure visibilité du pays et des projets structurants de la Vision 2035 pour le Cameroun émergeant.Pour mieux comprendre les contours et les enjeux de ces assises, la rédaction de camer.be s'est approchée du Docteur Thierry Amougou, Fondateur et Animateur du CRESPOL (Cercle de Réflexions Économiques, Sociales et Politiques), Professeur de sciences sociales et de politique macroéconomique à l’Université Catholique de Louvain (UCL) en Belgique.

Bonjour Thierry Amougou.

Bonjour à vous et à tous vos lecteurs et amis.

Le 17 et 18 mai 2016 prochains, le Cameroun organise une Conférence économique internationale sur le thème « Investir au Cameroun, Terre d’attractivités », comment jugez-vous cette initiative ?

L’initiative en elle-même est bonne. Un homme, une entreprise, une société ou un Etat qui a des projets, quelle que soit leur nature, a besoin de moments de réflexion sur ceux-ci. Ces sont des moments d’évaluation du chemin parcouru, de questionnement, voire de remise en cause et de changement de cap. C’est cela que cette conférence, sans me prononcer sur le fond des choses, évoque à mon esprit. C’est donc une belle initiative si elle vise ces aspects que je viens de souligner.

« Investir au Cameroun, Terre d’attractivités » est le thème de cette conférence internationale. Que vous évoque-t-il ?

Le thème, puisque la conférence est organisée par l’Etat camerounais, a un double statut. D’abord un statut d’affiche publicitaire car le régime veut à la fois présenter ce qu’il entend par « grandes ambitions », mais aussi le vendre aux investisseurs internationaux comme argument d’attractivité du territoire camerounais. Vous savez, lorsque vous voulez vendre un objet à quelqu’un, mieux vaut le présenter de façon « sexy », c'est-à-dire d’une façon qui incite le potentiel acheteur, ici le potentiel investisseur, à être séduit.

Ce premier statut d’affiche publicitaire coexiste avec second, celui de thème de réflexion. Il est négativement influencé par le statut d’affiche publicitaire ou d’affichage car « investir au Cameroun terre d’attractivités », est déjà une façon de dire que le Cameroun est une terre d’attractivité sans traiter de la question scientifique de l’attractivité du Cameroun.

Nous avons donc un thème qui annonce une attractivité du Cameroun a priori alors que celle-ci devrait l’être constaté a postériori, c'est-à-dire après des analyses scientifiques et empiriques qui le montrent. D’où un thème au statut hybride au sens où il a à la fois un objectif politique de type marketing pour la vente du pays aux investisseurs internationaux, mais aussi un objectif scientifique. En tant qu’universitaire et macro économiste, c’est l’attractivité réelle du Cameroun, c’est-à-dire celle démontrée par des études empiriques et scientifiques qui est importante.

L’attractivité du Cameroun pour l’investissement est-elle toujours favorable au bien-être des Camerounais ?

Très bonne question. Il faut réfléchir à plusieurs niveaux. Au niveau purement économique, on peut penser que l’attractivité d’un territoire à l’investissement international est une bonne chose à tous les coups pour son développement et sa population. Cela peut être le cas sous plusieurs conditions. Le pays ne doit pas être attractif uniquement à l’investisseur international au détriment des objectifs internes d’amélioration de la vie de ses populations. Très souvent un pays devient attractif lorsqu’on parle d’émergence économique parce que les salaires y sont faibles, la protection des travailleurs laxiste, les droits de l’homme non respectés, les systèmes financiers libéralisés et les syndicats faibles. Ce sont des caractéristiques qui rendent un territoire très attractif pour l’investisseur car elles augmentent ses profits mais détériorent la vie des populations nationales. Il faut donc toujours se poser la question suivante : on veut rendre le Cameroun attractif pour qui ? Cette attractivité est-elle au service des populations camerounaises ou du grand capital international au détriment des droits de l’homme ?

C’est très important de se poser ces questions-là car « Doing Business », la bible de l’attractivité que publie chaque année la Banque Mondiale et qui donne les meilleures destinations pour l’investissement, oriente les investisseurs vers de nombreuses dictatures et régimes autoritaires : une dictature politique est donc très attractive à l’investissement international car c’est la garanti de gain plantureux et de sécurisation militaire de ses affaires.

Il faut aussi veiller à ce que l’attractivité dont on parle ne soit rien d’autre qu’une politique de libéralisation tous azimuts qui relègue au second plan les objectifs de développement social et humain d’ordre national. Les travaux de l’économiste Dani Rodrik montrent très bien que c’est très souvent le cas dans les pays africains alors que les gains de l’ouverture sont soient nuls soit très très faibles.

Enfin, parler d’attractivité ne doit pas seulement se faire sous le prisme économique ou « économiciste ». Un territoire comme l’est le Cameroun est d’abord un milieu de vie. Nous devons aussi penser à l’attractivité par rapport à la qualité de vie qu’on y mène et pas seulement par rapport au nombre de projets lancés par les investissements. Un équilibre très délicat est donc à trouver à ce niveau car il y a aussi des investissements de transit, c'est-à-dire qui utilisent juste le Cameroun comme territoire d’expérimentation sans effets positifs sur lui.

S’exprimeront notamment, outre les ministres camerounais concernés, Manuel BARROSO, Président de la Commission Européenne (2004-2014), Chung UN-CHAN, Premier Ministre de République de Corée (2009-2010) et Docteur en économie, Donald Kaberuka, Président de la Banque Africaine de Développement (2005-2015), Pascal Lamy, Directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (2005-2013). Les invités annoncés sont prestigieux. Est-ce la garantie du succès de cette conférence internationale ?

Tout dépend de ce qu’on attend d’une conférence et ce qu’on entend par succès. Si le succès c’est l’affluence, la présence d’invités prestigieux et les discours, celui-là est garanti. Si le succès, sans négliger ces premiers aspects, se focalise notamment sur les innovations, les analyses et les apprentissages apportés par les évaluations et les analyses sur les « grandes ambitions » du Renouveau National, alors il faudra un peu plus que de grands noms consensuels avec ce qui est fait dans la version dominante du développement.

Je pense, lorsqu'on organise une conférence de ce type, que le but n'est pas seulement de rester dans un entre-soi politique (membres et intellectuels du régime) et un entre-soi élitiste (Président de l'OMC, ancien président de la commission européenne, président de la BAD...). Les intervenants du régime, intellectuels organiques, militants, ministres et experts sont importants car ils ont un regard interne des "ambitions" du régime. Les intervenants, restigieux, élitistes et des lieux de pouvoir mondiaux sont aussi importants car ils gèrent des lieux de pouvoir politiques et financiers dont le soutien est aussi important à avoir que le jugement. Mais ces regards-là ne suffisent pas.

Est-ce que vous pouvez encore développer ? Pourquoi ces regards-là ne suffisent pas ?

Ils ne suffisent pas parce que les affinitaires du régime, à la fois juges et parties, sont limités dans leur posture critique et vont « ronronner » ce qui va dans le sens du régime en place. Les élites internationales directrices des lieux de pouvoir, centres névralgiques du libéralisme économique global, ne peuvent critiquer en profondeur et de façon profitable pour le Cameroun, la société mondialisée de marché qui est l'objectif final d'une émergence économique comme modèle de développement. Regardez l'Europe et les problèmes qu'elle a à cause, en grande partie, du libéralisme à outrance de l'ancien président de la commission qui est invité... La voie camerounaise ou africaine doit-elle être celle-là ? Va-t-il vous dire le contraire ?

Comment sortir de ce piège qui entamera la richesse de ce que le Cameroun peut tirer d'une telle conférence ?

Partout où des conférences sont sérieuses et veulent avoir des regards critiques dont l'importance est capitale dans les projets de développement, les politiques, les experts, les présidents et Directeurs des lieux de pouvoir sont chargés de faire des discours d'ouverture. Ceux qui ont été sélectionnés par le Renouveau peuvent bien le faire. Cependant, un appel public à communication à l'adresse des universitaires, chercheurs et autres experts indépendants du régime et des lieux de pouvoir doit être lancé de façon publique. Ce sont ces universitaires, experts, chercheurs indépendants dont la dimension critique est sans entraves qui vont véritablement enrichir le débat et donner des informations pertinentes pour un pays. Ils sont donc plus utiles au projet du pays et à la réflexion inhérente que les deux premiers groupes. C'est la critique qui est plus utile à un projet que sont enjolivement par ceux qui pensent la même chose. La critique permet de dire ce que les intellectuels organiques et l’élite dirigeante taisent. Elle permet de remettre en cause ce qui semblait désormais un acquis, de semer le doute sur les vérités établies confortablement, de réformer et d'ajuster par des propositions alternatives.

Par ailleurs, les autres oubliés de cette conférence internationale sont les Camerounais et les Camerounaises, c'est-à-dire la peuple, la société civile, qui subissent dans la chair, l'esprit et les corps, « les grandes ambitions » du Renouveau. On ne peut faire une telle conférence en se privant des témoignages du peuple dans des ateliers divers. Si c'est la vie de la population qu'on veut améliorer, il serait bien inspiré de l'écouter sur la vie au Cameroun et sur l'impact des "grandes ambitions" sur lui.

Si le Renouveau National lance un appel à communication publique y répondrez-vous ?

bien entendu mais je doute fort que l’objectif soit de rendre service au pays via un tel appel. Si tel est le cas, la critique ne peut être que bienvenue. Et je proposerai une communication.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Merci à vous de m’avoir posé ces questions.

Comptez-vous épingler dans votre analyse au cas où l’appel à communication est public et ouvert à tous ?

Vous le saurez si l’opportunité se présente.

 

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