Patrice Nganang : “ Ce régime est condamné “
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L’écrivain camerounais revient sur sa détention, les conditions de son expulsion et surtout le combat qu’il entend continuer à mener en exil.

Libéré après 21 jours de détention dans les cellules du gouvernement camerounais, quel est le premier sentiment qui vous a animé ?
Un double sentiment. D’abord de libération, car au fond, c’est rare que l’Etat du Cameroun accepte son erreur. Les charges contre moi, toutes les charges contre moi ont en effet été abandonnées, après qu’elles se soient évaporées devant nous tous. Mais aussi un sentiment de surprise amusée, devant mon expulsion vers le pays des Blancs, à l’heure où des centaines de Camerounais sont expulsés d’Occident. Chemin à l’envers qui a mis en branle tout l’Etat du Cameroun, ministres, secrétaires d’Etats, directeurs de la police, qui tous, dans un convoi présidentiel vraiment, m’ont accompagné à l’aéroport de Nsimalen, pour me mettre dans un avion allant n’importe où, à Washington DC, donc, alors que j’avais été arrêté dans un avion allant au Zimbabwe !

Votre séjour en prison a-t-il changé quelque chose à ce que vous pensiez déjà de ce régime ?
Même pas un iota ! Ce régime est condamné, et je l’ai toujours dit, j’ai posé des actions pour précipiter sa chute, et donc mon exil n’est qu’un chapitre nouveau dans cette bataille qui est celle de l’amour contre la haine, de la justice contre l’injustice, du vrai contre le faux, et de la liberté contre la tyrannie. Le règne du faux a trop duré dans notre pays dans lequel des cadavres sont majors dans des concours administratifs échoués par les meilleurs. Le règne du faux a trop duré chez nous, tout comme celui du mauvais cœur. Mais j’ai la conviction d’avoir été à Kondengui, au Quartier 11 où se trouvent les dignitaires du régime, pour voir de mes propres yeux le lieu ou Biya passera les dernières années de sa vie. Sa prison l’y attend.

Avez-vous jamais pensé qu'ils parviendraient à une telle extrémité, celle de vous arrêter ?
Je suis un écrivain, et mes modèles, Njoya, Soyinka, ont  tous été soit en prison, soit arrêtés, et même Bertolt Brecht, l’auteur sur qui j’ai écrit ma maitrise et mon doctorat, a connu l’exil, a donc été banni de chez lui par tyran – ici, Hitler. Ses livres avaient d’ailleurs été brûlés. Donc dans ma formation intellectuelle, la prison a toujours occupé une place essentielle, et par conséquent je me suis toujours préparé au moment de mon arrestation. J’ai donc, comme on dirait, toujours pris des dispositions pour le jour où cela arriverait. Je n’ai donc pas été surpris. J’étais prêt.

Avez-vous pris connaissance des diverses réactions qui ont suivi votre arrestation ?
Lentement, et d’abord en prison. Mes gardes ont commencé à me montrer leur Android qui  était saturé par des informations sur moi. Cela les surprenait, car ils ne me connaissaient pas, étant donné que je ne suis pas un dignitaire du régime, et c’est eux seuls qui dans ce pays ont accès à l’espace public. Je dois dire cependant que l’excellence de la campagne pour ma libération a ainsi changé les conditions de mon traitement.

Qu'en avez-vous pensé ?
La gratitude. Une campagne bien menée sauve le prisonnier, et c’est mon expérience. Cela est vraiment quantifiable, déjà dans la réaction des co-prisonniers, mais surtout aussi, dans  celle des gardes, et enfin de l’Etat. J’ai été accueilli à Kondengui par une standing ovation des prisonniers Anglophones, qui ont compris immédiatement les causes de mon arrestation, et ont réagi en conséquence. Ainsi le leadership Anglophone m’apportait à manger tout le temps. C’est ainsi que nous avons commencé à nous rencontrer de manière  quotidienne, pour faire le point de la guerre en pays anglophone, mais aussi, simplement, pour être ensemble. De ce point de vue je dirai que les conditions de mon incarcération, tant humaines que politiques, sont devenues extraordinaires. Et cela s’applique aussi aux Eperviables parmi lesquels je passais mes journées, car nous partagions la même cellule. Une occasion extraordinaire d’être au cœur du pouvoir. Nous savons en effet que le gouvernement de Kondengui comporte jusqu’à deux secrétaires généraux à la présidence de la république, un premier ministre, des directeurs de la CRTV, avec qui je passais mes journées, littéralement. Ces conditions intellectuelles et politiques de mon incarcération sont uniques, et sont autant le résultat de la campagne pour la libération, que le fait des autorités qui m’ont arrêté.

Il est certain que vous êtes désormais plus présent dans l'esprit des Camerounais. Comment comptez-vous capitaliser cela auprès de vos compatriotes ?
Les Camerounais, qui spontanément et massivement se sont levés pour ma libération, qui, Anglophones m’ont accueilli en frère, qui Francophones, se sont occupées de moi littéralement  et totalement, qui ont bâti une haie d’acclamation à ma sortie de prison, et qui se sont joint aux voix qui à travers le monde réclamaient ma liberté et ont fait mon lit de la liberté, m’ont enseigné un mot – l’Amour. Seul l’amour va nous libérer du mauvais cœur qui a pris notre pays en otage, seule la vérité va nous libérer du régime du faux, et seule la justice va restaurer sa grandeur à notre pays. J’ai toujours été une personne gaie, heureuse et libre,  en réalité, et je suis content que ce sentiment soit celui qui me soit mis entre les mains comme viatique. Pas à pas, ensemble donc, nous allons œuvrer pour que ces principes de base et simples, ces principes humains  donc, redeviennent les fondements de notre Etat, et de notre vivre ensemble en tant que peuple.

Vos romans ont essentiellement porté sur le Cameroun. Le prochain, sur la guerre civile, sera-t-il influencé par votre dernier séjour au Cameroun ?
J’ai été arrêté trois jours après avoir achevé le roman sur la guerre civile qui sera publié en aout 2018, en France. Je suis en fait venu au Cameroun, entre autres pour achever les  recherches de terrain que j’estimais nécessaires à l’écriture de ce roman. J’avais donc déjà fait les interviews essentielles, de gens qui ont participé au conflit,  les commandos, les maquisards, des condamnés à mort, les coupeurs de tête et autres Camer.be. Cela m’a permis en réalité d’avoir dans l’esprit, toujours, la voix de nos parents dont la souffrance ne fait pas encore partie de notre mémoire collective, car ils n’ont aucun monument, et à la différence des soldats qui se sont battus pour libérer la France, ne reçoivent même pas de pension, eux qui sont en train de mourir un à un dans la misère la plus totale.

Vous êtes à l'origine d'un mouvement appelé Génération Change. Que diriez-vous aujourd'hui si on vous demandait ce qu'il faut pour changer le Cameroun ?
Donner la responsabilité aux Camerounais eux-mêmes, et c’est-à-dire aux populations camerounaises. Personne mieux qu’elles ne sait ce qu’il faut faire de notre pays, et c’est cela que l’expérience de Génération Change m’a enseigné. Le mouvement est communautaire, une expérience de démocratie participative dans les quartiers donc, qui m’a montré que, quand mis à la tâche, les Camerounais remplissent celle-ci avec brio. Nous avons construit des points, des bâtiments d’école, sarclé des chemins, fait des dons dans des hôpitaux, à Yaoundé, à Douala, travaillé avec des chômeurs, mais aussi des ingénieurs et des médecins, avec donc les Camerounais de tous bords. La constance, le volontariat, le bénévolat, est ainsi devenu une idéologie vivante qui me rend toujours heureux quand j’y pense, car c’est la pratique du changement mis en œuvre. Je vois nos mamans, nos frères et sœurs, nos voisins, dans des quartiers, s’investir pour rien, pour le bien commun, pour le bien, pour le juste, en mettant en branle justement leur bon cœur, et cela me rend toujours heureux. Je suis très fier de ce travail, et encore plus parce qu’il continue, même sans moi.  

Vous êtes libres, vous avez été expulsé vers les États-Unis qui n'étaient pas votre destination au moment de votre arrestation. Qu'est-ce que ces changements à votre agenda vous ont coûté ?
Pas tellement coûté que ce que j’en ai gagné. J’en ai gagné une compréhension encore plus intime de mes compatriotes et de mon pays. Chaque jour je me rends compte en effet comment peu je connaissais les Camerounais, même si je suis toujours avec eux, partout, et plusieurs fois par an suis au Cameroun, à Yaoundé où j’ai ma maison. Voyager dans les zones Anglophones en guerre, écouter mes compatriotes Anglophones comme je l’ai fait, vivre avec eux, souffrir du couvre-feu avec eux, mais aussi vivre avec eux des moments de  joie, cela est une chose inestimable. Même à l’étranger, je suis avec la diaspora camerounaise, et dans ses bras. Mais mon exil sera bref car celui qui prendra le pouvoir après Biya  me remettra lui-même mon passeport.

Maintenant, que comptez-vous faire ?
D’abord un bilan de santé, car le séjour carcéral au Cameroun, sous Biya est plein de tous les dangers. Le mauvais cœur, la suspicion, la traitrise, et la lâcheté sont en effet les armes de ce régime. Et puis écrire, car je suis écrivain, et c’est-à-dire publier les livres sur lesquels je travaillais. Enseigner, ce qui est mon boulot, et dès janvier je serai à Princeton University, l’une des plus importantes universités de la terre. C’est dire que je serai très occupé intellectuellement. Mettre en branle son intelligence, c’est le premier acte de dissidence  pour ce pays qui dans le quotidien monte un assaut cruel  contre la vérité, et contre l’intelligence.

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