Ahmadou Sehou, historien, analyste sociopolitique : “Il y a lieu véritablement d'être inquiets“
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Historien, analyste sociopolitique, il évalue la gestion des différentes crises actuelles par le gouvernement et propose des solutions.

Au regard des différentes crises que traverse le Cameroun, peut-on dire que le seuil est inquiétant ?
Jusqu'à ces dernières années, la paix était présentée comme l'acquis le plus important du régime gouvernant. Non pas que le pays ait connu la guerre, mais eu égard au contexte de turbulences que traversaient bon nombre de pays proches ou lointains. Cet acquis, tant vanté dans les discours politiques tend à devenir un lointain souvenir, du fait de multiples crises qui menacent le Cameroun sur ses frontières et à l'intérieur également. La crise de Bakassi, la piraterie maritime, les incursions de Boko Haram, les turbulences en Rca, les attaques de braconniers soudanais, les prises d'otages suivies de demandes de rançons auprès des éleveurs de bétail et en plus la crise anglophone qui, progressivement installe le pays dans une guerre civile à l'issue incertaine. Avec toutes ces poches d'insécurité et d'instabilités sociopolitiques,  il y a lieu véritablement d'être inquiets!

Quelle appréciation faites-vous de la gestion de ces crises par l'État ?
La gestion de ces crises multiples a laissé voir beaucoup de fébrilité, de tergiversations, d'amateurisme, de manque d'anticipation, une certaine arrogance et surtout une faiblesse  notoire dans les capacités de gestion des situations de crise ou d'urgence. A chaque fois les querelles politiciennes ont fait perdre beaucoup de temps et retardé la prise de décisions idoines pour circonscrire et éradiquer les menaces.

On se rappelle des discours incendiaires et les accusations portées contre l'élite des régions septentrionales au déclenchement de Boko Haram, pour la crise centrafricaine le Cameroun a tardé à prendre la mesure des conséquences pour sa sécurité et son économie; pour la crise anglophone le déni,  la faiblesse des mécanismes stratégiques de résolution des crises et les mauvaises appréciations ont installé le pays sur la voie de l'escalade menant tout droit à des pertes en vies humaines aussi bien civiles que militaires, à des dégâts matériels et à la multiplication des atteintes à la cohésion nationale. La multiplication de foyers de crises dans un contexte de précarité économique situe l'État dans un inconfort accentué et risque d'hypothéquer tout investissement autre que sécuritaire.

La position géographique du pays l'expose-t-il à ces crises?
La position géographique du Cameroun l'expose certainement à ces multiples crises surtout celles provenant des pays voisins comme le Nigeria, le Tchad ou la Centrafrique. La crise anglophone elle-même a une dimension transnationale, dans l'appréciation des stratégies d'attaque, de repli ou de ravitaillement des groupes sécessionnistes. Il y a lieu d'aller au-delà de ce déterminisme  géographique pour envisager de véritables stratégies de contrôle et de gestion des aires frontalières en synergie avec les pays voisins.

Comment sortir de cette situation ?
Pour sortir de ces situations de crises, il faut déployer plusieurs niveaux d'ingénierie politique et stratégique. Il faut sortir du tout administratif et répressif pour utiliser l'intelligence à travers l'anticipation, la prévision et la participation des citoyens. Les crises prennent naissance sur le terreau de la malgouvernance, du déni des droits ou des injustices sociales. Les régions délaissées, oubliées, marginalisées, dans un contexte de gabegie et de corruption généralisée sont enclines à s'installer dans l'insécurité et les  revendications centrifuges ou extrémistes. La gouvernance suppose une prise en compte adéquate et efficiente des aspirations de toutes les populations.

Cela questionne le niveau  politique à travers une meilleure implication des citoyens dans la gestion de leurs affaires quotidiennes et une meilleure répartition des ressources nationales. La communication de crise tout comme les stratégies de dialogue requièrent une certaine expertise. Cela éviterait d'envoyer au devant de plénipotentiaires sans épaisseur et qui ne peuvent contribuer qu'à radicaliser et à envenimer les situations. Le Cameroun a besoin de retrouver la paix, non pas en la mendiant, mais surtout en la construisant. Cela implique un changement de stratégie et de posture à l'égard de ses citoyens et compatriotes, de même qu'une claire compréhension des enjeux et de ses intérêts vis à vis de ses voisins.

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