Séraphin Moundounga : "Ali Bongo a triché, j'en ai la preuve"
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GABON :: Séraphin Moundounga : "Ali Bongo a triché, j'en ai la preuve"

L’ancien garde des Sceaux du Gabon Séraphin Moundounga accuse le chef de l’État d’avoir falsifié les résultats de l’élection.

Deux mois après l'élection présidentielle gabonaise, l'opposition conteste toujours la victoire d'Ali Bongo déclaré vainqueur avec 50,66 % des voix. Alors que son adversaire, Jean Ping, arrivé en France vendredi, mobilise la diaspora, Séraphin Moundounga, ancien vice-Premier ministre et ex-garde des Sceaux en fuite, explique au JDD dans quelles conditions il a quitté le Gabon et pourquoi il a refusé de proclamer les résultats du scrutin.

Pourquoi avez-vous refusé de reconnaître les résultats de l'élection du 27 août?
Ces résultats ont donné lieu à des divergences profondes entre le président Ali Bongo Ondimba et moi-même, alors que j'étais ministre de la Justice. Le peuple ­gabonais a choisi le candidat de l'opposition, Jean Ping. Or, Bongo m'a demandé d'indiquer à la télévision qu'un ­hacker ivoirien avait inversé les résultats en faveur de l'opposition lors de leur transmission de l'intérieur du pays vers la capitale, Libreville. Je ne voulais pas jouer ce rôle puisque la transmission ne se fait pas par voie électronique : les résultats sont recensés bureau de vote par bureau de vote, sur des procès-verbaux remplis manuellement sur papier. Ces PV sont donnés de la main à la main, jusqu'au siège de la Commission nationale électorale et de la Cour constitutionnelle. Il ne pouvait donc pas y avoir de piratage informatique! Ali Bongo m'a aussi demandé de dire que j'avais donné des instructions au procureur de la République pour ouvrir une enquête sur cette affaire de hacking. J'ai refusé et je l'ai rendu public sur Facebook.

Vous affirmez que Jean Ping l'a emporté. Avez-vous des preuves?
Oui. Chaque candidat a aujourd'hui entre ses mains une copie originale papier du PV de chaque bureau de vote du pays. Je les ai aussi et je les ai numérisés. Les observateurs de l'Union européenne les détiennent également. Sur tout le territoire, Jean Ping l'a emporté avec 60% des voix contre 38% pour Ali Bongo et 2% pour les autres candidats. Bongo a donc triché. Il aurait fallu procéder à un comptage transparent devant les observateurs de l'Union européenne et de l'Union africaine. Jean Ping l'a accepté mais Ali Bongo a refusé… La Cour constitutionnelle et la Commission nationale électorale ont fait une grave erreur en ne répondant pas à cette demande. Cela a plongé le pays dans la guerre civile.

Vous avez dû prendre la fuite…
J'ai démissionné de mes fonctions au gouvernement et au Parti démocratique gabonais [PDG, au pouvoir depuis 1968] le 6 septembre. En retour, j'ai subi des représailles : quatre tentatives d'assassinat et d'enlèvement en une semaine. Il fallait me mettre en sécurité pour continuer la lutte de l'extérieur, comme le général de Gaulle. J'ai obtenu un visa d'entrée en France pour quatre ans. Nous avons quitté Libreville avec plusieurs proches le 10 septembre, à bord de deux ULM qui nous ont déposés sur un aéroport de brousse au Cameroun. Nous avons ensuite rejoint la capitale, Yaoundé, puis Bruxelles et Paris deux jours plus tard. Je suis parti avec trois costumes dans une sacoche.

Vous rentrez de Strasbourg où vous avez rencontré des parlementaires européens. Que leur avez-vous dit?
J'ai demandé au président de la délégation du Parlement, Jo Leinen, et à la présidente de la mission, Mariya Gabriel, de mettre en place des sanctions économiques contre un pays ayant violé deux clauses essentielles de l'accord de Cotonou, la démocratie et les droits de l'homme. Nous demandons aussi le vote d'une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies autorisant les États membres à assurer par tous les moyens la protection du peuple gabonais en danger, à la hauteur des moyens militaires utilisés par Ali Bongo contre des civils non armés. Le Conseil a déjà fait voter une telle résolution sur la Libye, lorsque le dictateur Kadhafi menaçait son peuple. Or, les comportements de Bongo et de Kadhafi sont identiques! Ces États peuvent aussi appliquer des sanctions intelligentes, comme le gel des avoirs d'Ali Bongo et de son entourage en Europe et aux États-Unis, la mise sous séquestre de leurs biens immobiliers, l'interdiction d'entrer dans ces territoires et de survoler leur espace aérien. La seule façon de négocier avec tout dictateur, c'est d'instaurer une forte pression nationale et internationale, pour qu'il quitte paisiblement le territoire.

(Extrait d'un PV dans la province du Haut-Ogooué, là où les résultats ont été contestés)

Un émissaire de l'ambassade des États-Unis au Gabon le lui a déjà proposé…
Ali Bongo a exigé d'obtenir en échange plusieurs milliards de francs CFA et d'emmener avec lui 70 personnes à bord de plusieurs avions. On le lui a refusé.

Étiez-vous au courant des écoutes opérées par les services secrets d'Ali Bongo envers les membres de la mission d'observation de l'UE, révélées par le JDD?
J'étais probablement moi-même aussi sur écoute, car tout le monde l'est. Ces citoyens européens viennent dans le cadre d'une convention internationale. Les personnalités qui ont organisé de telles écoutes ne s'exposent-elles pas à des sanctions de la part de la Cour européenne des droits de l'homme?

Quelle situation décrivent vos contacts sur place?
Ali Bongo ne maîtrise pas la situation dans le pays : il est reclus dans le palais présidentiel depuis le 30 août, entouré par des chars assurant sa protection, comme ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire, lorsque Laurent Gbagbo s'est bunkérisé dans son palais. Bongo a placé partout des forces hautement militarisées qui intimident la population. Elles sont armées, habillées en tenue militaire, cagoulées pour qu'on ne voie pas leur visage. Mais les familles attaquées par ces escadrons de la mort témoignent que ces hommes ne parlent ni le français, ni une langue gabonaise, mais l'arabe ou l'anglais. Selon les premiers éléments dont nous disposons, il s'agirait de mercenaires venus de Somalie, des shebabs.

À votre départ du Gabon, vous avez créé une ONG, Unité, pour Union pour la nation, l'intégrité, le travail et l'égalité. Dans quel but?
Pendant plus d'une semaine, Bongo a fait usage d'avions et d'hélicoptères militaires survolant à basse altitude Libreville et l'intérieur du pays. Ils ont notamment bombardé le QG de l'opposition. Des dizaines d'habitants ont été enlevés chez eux ou exécutés. On recense 100 à 200 disparus. Ces massacres ont touché la quasi-totalité des quartiers de la capitale qui concentre 60 % de la population du pays, soit 600.000 habitants. L'ensemble de ces actes sont gravement attentatoires aux droits fondamentaux de la personne humaine. Nous voulons saisir les juridictions internationales et nationales compétentes – comme la Cour pénale internationale, celles de France, de Belgique, des États-Unis, dont des ressortissants figurent parmi les victimes – pour que leurs auteurs soient traduits devant la justice. Mon ONG, qui défend la démocratie et les droits de l'homme, a saisi à ce titre Mes Jean-Marc Fédida et Julie Fabreguettes à Paris, pour leur remettre tous les documents recueillis auprès des familles. J'en ai encore reçu ce matin [jeudi]. Jean Ping a également engagé un avocat en France pour saisir la CPI. Nous sommes d'ailleurs invités cette semaine à Washington. Le moment venu, toutes ces actions devront faire l'objet d'une jonction de procédure.

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