À travers le hublot
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À travers le hublot 1La promenade en altitude, fruit d’épistémè contemporaine, confine des destins anonymes dans un environnement équivoque. Une pléiade, aux origines diverses, partage à l’intérieur du fuselage, le temps de battements d’ailes du monstre de technologie, le même espace, le même oxygène, le même destin.

À travers le hublot, les convolutions meubles d’épaisses couches blanches écarlates, cotonneuses et multiformes, tapissent l’étendue en dessous, réfléchissant les rayons d’un soleil dont on se sent au plus près. Ces monticules, en mousse de vapeur sublimée, étalées sur la surface visible obstruent la ligne d’horizon à l’extrémité de nos sens en une vision qui transcende la réalité: « la tête dans les nuages » de fait l’unique figure propre à cet instant d’éternité! La connexion de l’être avec les éléments, de l’être libéré de l’attraction terrestre par la vitesse, rapproche le gamin d’Étoudi du rêve de se lover dans les nuages, à proximité du soleil, la tête en équilibre entre les étoiles, contemplant émerveillé l’aurore boréale, l’air de rien traversant les fuseaux horaires… Les réacteurs à l’extérieur grondent d’une excessive présence. Le vacarme ainsi généré bien qu’inextinguible se fait familier voire accommodant avec l’altitude et les miles qui s’empilent.

La fermeture des portes suivie de l’ascension de l’appareil achèvent de sceller les destins individuels en une cause collective. En effet, chaque passager abandonne volontairement sa liberté, son autonomie et sa capacité de décision, confiant celles-ci aux aptitudes de celui qui tient le manche, à la clairvoyance de celui qui actionne les tracteurs du système de propulsion générant la poussée nécessaire pour affranchir le vaisseau de la gravité. À travers ce dernier, chacun individuellement manifeste une confiance absolue et aveugle aux ingénieurs responsables de la conception de l’appareil, aux ouvriers pour la précision dans la construction, aux techniciens pour la vérification systématique, à la sécurité aéroportuaire toujours plus restrictive ainsi qu’à l’équipage… Les libertés individuelles sont alors consciemment mises en sommeil et avec elle, les passagers sous anesthésie le temps de la traversée,  sous hypnose collective, plongés dans un coma profond sous respirateur artificiel et chacun de ces maillons exerce la pression nécessaire pour les maintenir en vie; chacun de ces maillons porte la responsabilité de leurs existences. Le pilote, en bout de chaîne, tel un gourou, montre le chemin… exemple parlant de démocratie ! Dans ce cadre pressurisé, sécurisé, ce que l’on est devenu perd en qualité quand la réalité de ce que nous sommes reprend tout son sens. Au-delà des compartiments, de la première ou de la classe économique, tous partagent la vulnérabilité d’un nouveau-né sanglé au torse nourricier…

En zone de turbulences, les secousses intermittentes accentuées par des poches d’éléments impulsifs et rageurs, révèlent un peu plus l’humanité de chacun. Loin des ontologies différentielles de nos sociétés contemporaines, la frilosité dans les regards trahit la fragilité de notre commune et existentielle précarité: si nous ne naissons égaux, face aux peurs primales, telles que la perte d’altitude ou la dépressurisation, nos attitudes instinctives ne font la distinction de nos origines. Aux frontières extérieures de notre monde, la différence se ressent moins tant la fortune est insensible à la réussite individuelle, au parcours personnel, à la généalogie ou à la dépendance pigmentaire originelle. La valeur et l’essence en tant qu’espèce présentent pour tous la même fragilité.

Confier sa vie en prenant l’avion est plus qu’un acte de confiance, c’est une démonstration de la foi de l’individu envers ses semblables; une manifestation de la certitude que ceux qui ont la responsabilité de nos vies partagent avec nous la valeur de celle-ci. Mais l’Homme est divers, subtil, ambivalent, composé d’entités nombreuses qui le rendent autrement plus complexe et l’éloignent de la perfection d’une définition uniforme. Ainsi, hier comme aujourd’hui, le risque résiduel de comportements pathologiques indétectables chez un petit nombre rend l’altitude, malgré l’éclat de la performance réalisée à l’échelle de l’espèce, indissociable d’un sentiment d’incertitude, de fragilité et de vulnérabilité. 

@ la mémoire incandescente de nos congénères dont le vol ne s’est jamais posé.

Credit Image: cours-photographie.fr

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