Hommage académique à la mémoire du Professeur Philippe Laburthe-Tolra en l’Église Saint-Jacques-du-Haut-Pas
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FRANCE :: Hommage académique à la mémoire du Professeur Philippe Laburthe-Tolra en l’Église Saint-Jacques-du-Haut-Pas

Monsieur le Président de l’Université Paris V, monsieur le recteur de directeur du Collège des Bernardins, chers collègues universitaires, dans vos rangs, vos fonctions et qualités, ma chère Michèle, vous Crescence, Marie et Pierre, professeur Philippe SERS, au début de cette célébration eucharistique, je vais prononcer l'éloge académique de celui qui fut professeur à l’université fédérale du Cameroun de 1964 à 1972, professeur à l’université de Porto Novo, chercheur à l’université de Ouagadougou, professeur dans différents lycée de France depuis Le Mans jusqu’ici à Paris, le doyen honoraire de la Faculté des sciences humaines et sociales de la Sorbonne, Université René Descartes, Paris V et Professeur associé à l'Université francophone internationale Senghor d'Alexandrie(Égypte) le professeur Philippe Pierre Marie Laburthe-Tolra.

Un décès est toujours inconsolable. Un hommage, une peine encore plus grande… Parce que c’est l’homme et l’œuvre du défunt que l’on revisite. Cependant, quelle que soit la part de douleur qui nous accompagne le long des lignes d’évocation, il est des vies qui méritent bien l’exercice. Pas l’expérience. Et Philippe Laburthe-Tolra, c’est le sommet de la montagne. De fait, un témoignage n’est rien d’autre que la voix, la nôtre que nous prêtons à celui qui est parti et Philippe Pierre Marie mon parrain fut un orateur de classe exceptionnelle comme l’indique sa carrière professionnelle ; aussi je voudrais lui donner la parole car, comme le conseillait M. Boileau, pour peindre un auteur, il faut prendre dans sa collection, les couleurs dont il se sert.

Parole dite

« Je suis venu au monde à Paris, je dirai au quartier latin, entre le bruit des feuilles et le parfum des livres ».

Philippe Laburthe-Tolra est arrivé au Cameroun le 3 septembre 1964 après un séjour de deux ans à Porto-Novo l’actuel Benin ainsi que le professeur Philippe

Sers son condisciple dans les classes de philosophie à la Sorbonne l’a souligné tout à l’heure dans sa prise de parole. Il fut accueilli par l’Abbé Martin Atangana, mieux il avait fait le voyage de Paris à Yaoundé et c’est tout naturellement qu’il l’invita à partager son repas. Le philosophe Laburthe-Tolra dès son arrivée au Cameroun baigna donc dans le milieu chrétien et surtout catholique de Yaoundé – avec les prêtres Léon Messi, Théodore Tsala ils étaient tous un peu plus âgés que lui pourtant il s’initia à la dégustation des mets initiatiques et aux conversations entre les deux mondes, celui des vivants celui des initiés, celui des morts celui des protecteurs.

Permettez-moi ce détour :

Ekang bëse biso elang elang ééé ! Ééé éee!

Ekang bëse biso elang elang ééé! Ééé ééé!

Beti benanga m'asug Ekang éée!

Eée éée ééé ééé

Melo'o m'abah,

Maba yi fo

Ekang bolo'o

Esagom Madzo m'Ekang bolo'o

Esagom

Mëne Ekang mbolo

Amu ebi bessë bitoa ba binë ekang aaa !

Yaaaaaaaaaa!

Le professeur Philippe Laburthe-Tolra pendant une dizaine d’années a travaillé à construire l’espace public camerounais dont les origines, je les situe à 1840 avec la création de la première école camerounaise à Bimbia par le pasteur Joseph Merric. Philippe réunissait une fois par mois les étudiants de la classe de philosophie qu’il tenait à l’université fédérale de Yaoundé et leur faisait découvrir un coin de pays comme disent les canadiens – dans ce Cameroun des années 60 sans route, il n’y en a pas plus aujourd’hui. Pour cette participation à la construction du « nous-commun » honneur et respect.

Philippe a soutenu sa thèse d’Etat en 1975 Minlaba : Histoire et société traditionnelle chez les Bëti du Cameroun – thèse de 1704 comme on en faisait à l’époque. Il a ouvert le chemin en parlant en premier des Fang-Beti, il nous a permis dès 2000 de porter au sein de la communauté universitaire et dans la société des anthropologues le peuple Ekang riche aujourd’hui de 30 000 000 d’hommes et de femmes – en cela Philippe Laburthe-Tolra était à l’anthropologie Ekang ce que Georges Brassens fut à la musique française, ce que Céline Dion est à la musique et à la culture québécoises. Pour cet immense travail, honneur et respect.

La thèse de Philippe Laburthe Tolra a su entre autre parler du monothéisme du peuple Ekang ce qui justifie sa conversion rapide au christianisme – 0 chrétien en 1900, 25 en 1915, plus de 300 000 en 1930 et aujourd’hui plus de 25 millions dans 7 pays dans le Golfe de Guinée.

Philippe, tu as réussi à reconstruire avec brio, avec le flair d’un policier et la patience d’un archéologue comme l’écrivait en 1985 Louis Vincent Thomas que nous appelions tous affectueusement LV Thomas, je salue ici la présence de Véronique sa sœur – (parenthèse refermée de ces longues amitiés tissées sous les tropiques.)

Philippe disait a su reconstruire la religion des Ekang, s’appuyant sur les témoignage des informateurs – les vieillards de Minlaba, la documentation, officielle ou non, c’est en cela qu’il s’est détourné du classicisme de la philologie rejoignant ainsi dans une discipline autre le poète Aimé Césaire on pourrait penser que le Lycée Louis le Grand forme à la transgression de l’interdit. Philippe a révélé le domaine des croyances (Dieu cosmique lointain et démiurge proche ; action et permanence des ancêtres, puissance de l’evù principe du mal qui habite tout beti), et le plus encore celui des rituels liés à la nuit (alù). Car la nuit, en effet, reste par excellence « temps des mystères de la procréation et des palingénésies. »

Philippe a révélé la nuit claire (religion) les secret de la nuit noire (sorcellerie et contre-sorcellerie), du crépuscule à l’aube (maladies et médecines deuils et naissances). La nuit transfigurante (les grands rituels ; initiations et sociétés secrètes – je m’arrête là mais c’est un beau panorama pour vous dire combien le Professeur Philippe Laburthe Tolra était grand comme un continent et beau comme un pays. Il a su à travers le tombeau du soleil son premier roman s’interposer entre 256 tribus prêtes à en découvre comme seule l’Afrique sait le faire encore en ce 21ème siècle.

Philippe a gravé dans l’inconscient le plus récalcitrant que la vieille religion africaine est une religion du succès, du bonheur terrestre. Le christianisme est une religion du détachement (par l’ascèse) au service d’un amour qui n’est pas de ce monde. Le passage d’une optique à l’autre demande donc un retournement, une conversion, voilà ce qu’il nous lègue dans Vers la lumière ou le désir d'Ariel. Sociologie de la conversion.

Philippe m’a promené dans bon nombre de musées de cette ville, il m’a amené à écouter la musique classique avec Fitou sa fille au point de m’amener à oublier son nom. Nombreuses sont les sociétés savantes, françaises et étrangères, dont il fut membre. On n'en finirait pas non plus d'énumérer les distinctions et les prix qui lui ont été attribués en reconnaissance de ses travaux scientifiques. Que cet hommage, abrégé en raison des contraintes de temps, soit un signe de profonde reconnaissance pour l'importante contribution du Philippe Pierre Marie Laburthe-Tolra l’anthropologie, et pour tout ce qu'il a accompli au service de son Alma Mater, l'Université Paris V, et plus particulièrement de la Faculté la Faculté des sciences humaines et sociales.

J'ai pris la parole parce que tu ne peux plus la prendre, j'aurais souhaité la recevoir de toi mais hélas ! J'ai pris cette parole ! J'ai parlé ! Ceux et celles qui ont les oreilles ont entendu jusqu'au-delà du grand fleuve.

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