Quels sont les moyens financiers de la secte islamiste Boko Haram?
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Nettement moins riche que Daech, l’organisation terroriste nigériane s’appuie sur des revenus variés, principalement générés par la prostitution, les taxes locales, les attaques de casernes et de banques.

Boko Haram poursuit sa marche en avant. Des centaines d'hommes de la secte islamiste ont envahi samedi 14 février pendant quelques heures Gombe, la capitale régionale dans le nord-est du Nigéria, et infligé une nouvelle humiliation au gouvernement nigérian. Symbole de cette impuissance : le président Goodluck Jonathan, candidat à sa succession –les élections générales ont été reportées à fin mars-, a demandé l'aide des Américains pour combattre le groupe islamiste. "(Les Américains) sont nos amis. Si le Nigéria a un problème, et bien j'attends des Etats-Unis qu'ils viennent nous aider", a-t-il lâché, dans un entretien au Wall Street Journal.

Lundi, les chefs d'Etat d'Afrique centrale se sont réunis à Yaoundé pour élaborer une stratégie commune destinée à "éradiquer" le groupe islamiste. Dans la soirée, dans l'extrême-nord du Cameroun, cinq soldats ont été tués dans "une série d'accrochages" avec Boko Haram au cours desquels 86 combattants ont également perdu la vie, selon l'armée camerounaise. La force de frappe constante de la secte islamiste conduit à s’interroger sur ses capacités financières. Tour d‘horizon des différentes ressources de Boko Haram.

Une multitude de taxes locales

Comme le fait l’État islamique en Irak et en Syrie, Boko Haram prélève des taxes sur les territoires qu’il contrôle dans le nord-est du Nigéria. "Les dirigeants de l’organisation ont instauré de nombreuses taxes en matière d’habitation, de droit de passage, de consommation de certains produits, indique Mathieu Guidère, spécialiste de l’islam radical et enseignant à l’Université Toulouse 2. Ils gèrent aussi le trafic de cigarettes, de voitures, de stupéfiants et contrôle donc la grande majorité de l’économie parallèle dans ces régions du nord-est où ils font régner la terreur. Selon Boko Haram ces deux types de revenus génèrent entre 175.000 et 450.000 euros par mois."

Des sommes qui restent toutefois très éloignées des 360 millions de dollars que rapportent annuellement à Daech le produit des taxes, selon le rapport sur le financement de l’État islamique réalisé par Jean-Charles Brisard et Damien Martinez. "Boko Haram ne dispose pas des mêmes ressources naturelles que Daech, appuie Mathieu Guidère. L’organisation nigériane ne peut par exemple pas prélever de taxe sur le fuel puisque les puits de pétrole sont dans le delta du Niger et pas dans le nord-est. Cette région possède aussi très peu de ressources naturelles, contrairement à l’Irak et la Syrie. Mais malgré cela, le modèle que met en place Boko Haram s’agissant des taxes et du marché noir est calqué sur celui de l’État islamique".

La prostitution : un revenu important

Autre source de revenu important : ce que Boko Haram nomme "le commerce des infidèles". "Cela englobe les prises d’otages, les kidnappings, la prostitution, précise Mathieu Guidère. Toutes les femmes qui ne se convertissent pas sont revendues aux filières nigérianes de la prostitution qui sont les plus puissantes au monde : 50% des prostituées britanniques sont nigérianes et en France cela représente 20%. Boko Haram vend pour 100.000 et 200.000 dollars chaque mois les femmes enlevées. Toutes ces activités rapportent à l’organisation entre 500.000 et deux millions d’euros par mois."

Selon une note de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), publié en juin 2011, le seul proxénétisme nigérian en France rapporte 15 millions d’euros à ses auteurs.

Pour rappel, Boko Haram a enlevé 276 lycéennes le 14 avril dernier à Chibok, dans le nord du pays.

Fin des financements d’Aqmi et Al-Qaïda ?

Fondée en 2002 par Mohammed Youssouf, la secte de mouvance salafiste a pu bénéficier du soutien financier d’autres organisations islamistes. Selon un rapport publié par le journal nigérian, The Vanguard, Boko Haram aurait ainsi reçu plus de 70 millions de dollars de l’étranger entre 2006 et 2011. Et d’après un général américain cité par le journal, les bailleurs de fonds auraient eu des liens étroits avec Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

L’International Crisis Group a également indiqué dans un de ses rapports qu’en 2002, Oussama Ben Laden aurait envoyé au Nigéria 3 millions de dollars à répartir entre diverses organisations politiques salafistes dont Boko Haram. En mai 2012, un autre journal nigérian : le Prenium Times a aussi  indiqué qu’Aqmi avait fait à Boko Haram un don de 215.000 euros. "En 2010, Aqmi vivait son âge d’or, ses dirigeants avaient des millions sous la main et ils ont aidé Boko Haram, soutient Mathieu Guidère. Mais depuis l’intervention française au Mali en 2013, Aqmi est dans une situation lamentable et on n’a pas trace de liens financiers entre les deux organisations. C’est la même chose avec Daech même si les deux organisations sont plus proches." "Il faut se méfier de l’idée d’un djihad global interconnecté, abonde Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), en charge de l’Afrique. Il peut y avoir des coopérations ponctuelles mais les groupes sont distincts, les motivations sont différentes. A l’heure actuelle il est impossible d’affirmer qu’Aqmi, Daech ont des liens économiques, financiers, avec Boko Haram".

Un pillage considérable de casernes et de banques

A partir de 2010 et l’arrivée à la tête de l’organisation salafiste d’Abubakar Shekau, Boko Haram a multiplié les pillages de matériel militaire dans les casernes du nord-est du Nigeria. "Ils se sont dotés d’un arsenal d’armes lourdes et ont profité de l’absence, de la passivité, de l’armée nigériane, affirme Mathieu Guidère. La corruption politique a joué un rôle très important. Des politiciens de l’État de Borno les ont laissés faire pour des raisons électorales. Il y a même des raisons de penser que certains ont directement financé Boko Haram".

Les braquages de banques ont aussi permis à la secte terroriste de s’enrichir. "Le Nigéria dispose d’un secteur bancaire très important et Boko Haram n’a pas hésité à se servir" estime Philippe Hugon. "Ce pillage bancaire existe mais il ne représente qu’un très faible part des revenus de l’organisation" nuance pour sa part Mathieu Guidère.

Des sanctions internationales sans effets

Face à la multiplication des exactions commises par Boko Haram, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé d’inscrire la secte sur la liste noire des organisations terroristes en mai 2014. L’objectif annoncé était clairement de couper l’organisation des sources importantes de financement et d’armement ainsi que des possibilités de déplacement. Plus de neuf mois plus tard, cette décision ne semble avoir eu que peu d’effets. "Cela a été contre-productif, tranche Mathieu Guidère. Cela a simplement donné plus de visibilité à l’organisation qui a été rejoint par plusieurs centaines de personnes (selon les experts Boko Haram compte aujourd’hui entre 10.000 et 30.000 combattants, Ndlr)."

Quelles mesures peuvent alors être efficaces contre Boko Haram ? "La meilleure des mesures à prendre doit être prise par le gouvernement nigérian. Les populations du nord-est sont actuellement asphyxiées avec les impôts : elles en paient au gouvernement local, au gouverneur de la région et à l’État fédéral. Elles préfèrent donc n’en payer qu’un à Boko Haram. Une réforme fiscale est impérative pour apaiser ces populations." "On doit aussi durcir l’embargo, contrôler encore plus fortement les frontières, notamment libyennes, pour contrôler le trafic d’armes" juge Philippe Hugon.

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