Cameroun:NE COMPTEZ PAS SUR MOI POUR LYNCHER ACHILLE MBEMBE OU UN AUTRE !
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Cameroun:NE COMPTEZ PAS SUR MOI POUR LYNCHER ACHILLE MBEMBE OU UN AUTRE ! :: CAMEROON

Que ce brillant intellectuel, etabli et reconnu dans le monde, ait le droit de s'exprimer et d'être contredit et que Mathias Eric Owona Nguini ait la latitude d'utiliser ses mots, hermétiques ou pas, pour dire sa pensée. L'essentiel est que triomphe une société de libertés et que plus jamais un écrivain - et tout citoyen - ne soit enlevé et séquestré au Cameroun ! Plus jamais !

« Je ne suis pas d'accord avec toi, mais je me battrai pour que tu aies le droit t'exprimer ». Plus qu'un mantra du Bouthan ou une citation d'auteur célèbre, c'est une telle disposition d'esprit qui constitue ma boussole dans le débat intellectuel et citoyen. La sortie d'Achille Mbembe au sujet de Patrice Nganang, si nous revenions à l'effervescence des beaux esprits au Cameroun dans les années 90, avant les « tchams dans la boue » de Facebook, est tout ce qu'il y'a de plus classique dans la confrontation intellectuelle. Avec ses rigueurs, rudesses, coups de sang, impasses ou incompréhensions.
Dans de nombreux pays, de grands et preux esprits s'affrontent, tels des gladiateurs de la pensée, s'etripent même dans des pugilats de concepts et paradigmes. C'est fecond, utile et vivifiant : de la discussion jaillit la lumière. Dans les salons du Siècle des Lumières en France, dans la periode de l'Aufklarung, les Lumières allemandes dont Anthony Amo était un des acteurs, cette révolution de la pensée a produit des résultats prodigieux, transformant, après la Renaissance, ces sociétés. Les Grecs anciens comme Thales ou Pythagore et Hypatie venue dans le sillage d'Alexandre le Grand, ont appris au cours de leurs décennies d'études dans l'Égypte antique, cette maxime de Ptahhotep : « que ton cœur ne soit pas vaniteux à cause de ce que tu sais. Prends conseil auprès du sage comme de l'ignorant, frottes ta pierre contre tous les promontoires de la pensée, car nul ne peut atteindre la perfection...

Et j'ai à l'esprit que dans notre pays, dans des revues scientifiques et de grande qualité comme Abbia du professeur Bernard Fonlon, des confrontations de belle facture ont nourri notre vie intellectuelle. Tout comme dans des titres de la presse, type Amand'la, Générations, les pages Débats du Messager, de la Nouvelle Expression des années 90 ou les pépites de Mutations au mitan des années 2000. Des approches structurantes et tout un appareil explicatif sur notre histoire, notre vie politique et nos enjeux et défis ont jailli de ces pages.
Faut-il citer le paquet d'ouvrages écrits par Fabien Eboussi Boulaga, Mongo Beti, Jean-Marc Ela, Kengne Fodouop, Adamou Ndam Njoya, Jean- Jacques Ekindi, Marcien Towa, Georges Ngango, Moukoko Priso, Roger Gabriel Nlep, Pabe Mongo, Marie Louise Eteki Otabela, Mbog Bassong, Meinrad Hebga, Njoh Mouelle et bien d'autres pour sanctifier la tradition de débats de qualité dans notre pays ? Ces hommes et femmes qui en articulant pensée et actions, speculant sur le réel ou confrontant leurs vues ont contribué, par des approches comprehensives, moralisees, prophetiques ou prédictives, à une meilleure connaissance de notre pays, du continent africain et de ses relations avec le monde.

Pour y revenir, dans le propos d'Achille Mbembe, intellectuel que j'ai en haute estime et l'une des fiertés de l'Afrique dans le monde, il y'a des points de désaccord comme ses allusions à la « petite université » de Nganang ou l'inopportunité de ses precisions sur les recommandations sollicitées par ce brillant écrivain enlevé au Cameroun. Aussi, je suis nuancé sur son approche psychanalytique du « sujet délirant » Nganang se basant sur sa propension à la provocation et au propos grivois, qu'il ne rapporte pas à tous les refoulés, impensés et névroses sécrétés par ces 30 dernières années de notre histoire. Une contradiction comme celle qui existe chez Frantz Fanon, entre le contempteur flamboyant et précis de la violence coloniale et de ses effets pervers sur la psyché du colonisé et le même, ardent partisan du traitement des maladies mentales par electrochocs et autres comas insuliniques.

Dans la confrontation des idées et le débat scientifique, et dans une large mesure, le débat citoyen, la prise de distance et la capacité à réfuter, ce que Karl Popper appelait la falsifiabilité, doivent demeurer la règle de base. Il n'y a pas d'infaillibilité pontificale, comme celle que l'Eglise conférait au Pape quand on évolue sur le terrain des idées.
Ce qu'il faudrait préserver, outre l'engagement contre les violations et entorses dont est victime Patrice Nganang, c'est la substantifique moelle : des leçons pertinentes et fécondes de la situation, des confrontations et des prises de position actuelles.

J'en vois quelques unes :
+ la réflexion sur la transformation, les formes et les dérives des formes d'expression avec l'irruption des réseaux sociaux, mettant les citoyens au centre de l'énonciation et ouvrant de nouveaux espaces de liberté ;
+ la place de la littérature dans notre vie politique et citoyenne, la légitimité sociale et politique des écrivains à exprimer les idéaux de la société dont ils sont issus.
+ Loin d'un Platon qui exilait les poetes de sa « République », d'un Charles Percy qui contentait Kennedy dans ses conférences sur « la dangerosité de la littérature », que relate admirablement William Marx dans la Haine de la Littérature, il y'a un champ ouvert pour se pencher sur ces procès faits à la littérature : au nom de l'autorité ( les écrivains menacent le pouvoir en place ), de la vérité ( la littérature serait inférieure à la science ), de la moralité ( la fiction se joue des normes et remet en question l'ordre moral ) et de la société ( les écrivains ne peuvent prétendre en être les représentants ).

En fait, dit-on, si la philosophie cherche la sagesse, la science la vérité et la théologie le savoir divin, seule la littérature n'a pas d'objet propre, et c'est bien ce qui dérange. Vive, donc, le débat, et vivement que Patrice Nganang soit libéré pour contribuer comme à son habitude à ces questions et à l'avenir du Cameroun !

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