Biya-Monga : une relation apaisée
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Héros de la lutte pour les libertés publiques dans les années 90, Célestin Monga, devenu un décideur africain, faisait partie de la délégation de la BAD reçue avec honneur par le chef de l’Etat. Le temps des oppositions semble bien derrière les deux hommes.

Sur le site de la présidence de la République du Cameroun, il y a 15 photos en dessous du titre « Leadership en Afrique : l’hommage du président de la BAD à Paul Biya ». Dans cet album, une seule photo d’ensemble. De la droite vers la gauche l’on aperçoit Célestin Monga en deuxième position. Il est séparé de Paul Biya par un autre membre de la délégation de la BAD reçue au palais de l’Unité le 17 juin 2017. La photo a attiré certains citoyens.

« Ceux qui connaissent l'histoire de la  lutte pour les libertés au Cameroun doivent comprendre la symbolique de cette image », écrit David Atemkeng, « journaliste en congé » sur sa page Facebook. Melvin Akam, journaliste au Messager dans les années 90 et début 2000, ne reste pas indifférent à cette image improbable. D’autres commentaires pleuvent sur d’autres réseaux sociaux sur la présence de Célestin Monga et Paul Biya sur ce qui n’est pas un photomontage. Le cliché met en effet en présence deux monstres sacrés du processus démocratique du pays, l’un comme acteur, l’autre comme critique.

Membre de la délégation conduite par Akinwumi A. Adesina, président du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), Célestin Monga était au palais de l’Unité qu’occupe Paul Biya depuis 1982. C’était peut-être son baptême du feu à Etoudi, lieu de pouvoir. Si les médias à capitaux publics ont naturellement relayé la visite de la délégation de la BAD, Célestin Monga, deuxième camerounais à occuper le prestigieux poste de vice-président de cette institution bancaire, après Augustin Frédéric Kodock, n’a pas eu droit à quelques faveurs de visibilité du fait de sa nationalité camerounaise.

Ce n’était pas le retour de l’enfant prodigue. Et pourtant les deux hommes ont un repère historique commun. Le début des années 1990, cette ère si agitée du Cameroun. Si Paul Biya a toujours pour fonction président de la République, Célestin Monga a laissé la plume d’emmerdeur du système. Après la Banque mondiale entre autres, M. Monga est aujourd’hui au service des causes plus africaines, plus financières, moins politiques. A la BAD, il a forcément son mot à dire sur le dossier Cameroun, son pays.

A son arrivée à Yaoundé en ce mois de juillet 2017, Célestin Monga est à sa première année au poste de chef économiste et vice-président, Gouvernance économique et gestion du savoir à la BAD où il a été nommé le 10 juillet 2016, sans le piston du gouvernement comme cela se fait traditionnellement. De cette posture, même si les médias à capitaux publics particulièrement invités au palais de l’Unité ont omis de faire un zoom sur Célestin Monga, Paul Biya sait de quoi le vice-président de la BAD est capable. A la décharge de la presse locale, des sources reconnaissent que le fameux dossier de presse n’avait des références que sur Dr Akinwumi A. Adesina.

Les mêmes sources informent qu’aucune instruction ou orientation de traitement n’ont été données pour « censurer Célestin Monga ». Paul Biya, à qui a été présentée la liste de la délégation de la BAD qu’il devait recevoir, n’a pas trouvé d’objection à la présence de Célestin Monga, qu’il a pourtant fait incarcérer il y a 27 ans. Tout un symbole puisque l’écart entre les deux hommes est aussi de 27 ans : Paul Biya a 84 ans alors que Monga, physiquement vieilli par le poids de ses idées, n’en a « que » 57.

Ils ont tous les deux atteint l’âge de l’apaisement. La photo de famille de l’audience diffusée urbi et orbi n’est pas forcément une habitude de la maison. Les deux hommes peuvent aussi avoir transcendé leurs différends pour les intérêts de leur pays. L’équipe de la BAD avait des projets susceptibles de porter le développement. Lom Pangar 30 MW d’électricité pour alimenter 150 localités de la Région de l’Est. Dans le portefeuille, il y a aussi le barrage de Nachtigal où la BAD apporte 150 millions de dollars. Bien qu’antisystème dans l’âme, Célestin Monga est donc prêt à travailler pour le Cameroun.

Le vice-président de la BAD sait aussi que ces infrastructures  survivront à son bourreau d’hier. La défiance de Célestin Monga vis-àvis de Paul Biya dans les années 1990 est restée légendaire et des métastases de cette époque ont survécu jusqu’à une date récente. Il y a par exemple sept ans, il se rapporte que le gouverneur de la Région de l’Ouest, Ivaha Diboua, avait vertement sanctionné l’éloge funèbre que devait prononcer Célestin Monga le 7 août 2010 au cours des obsèques de son ami Pius N. Njawé, le fondateur du quotidien le Messager. Ironie de l’histoire : au lieu d’un message devant l’auditoire restreint de Babouantou dans le département du Haut-Nkam, l’écho de Célestin Monga, censuré dans le village de Pius Njawé, irrigua toute la planète grâce à l’amplification médiatique.

Un dernier doigt d’honneur du duo des gladiateurs de la liberté d’expression à l’autorité administrative qui les a tant martyrisés. L’aurevoir à Njawe s’était transformé en dernier épisode d’une saga pour la liberté de parler.  

« Cameroun, quel avenir ? »

L’histoire politique du Cameroun garde bien dans ses archives que Monga revendique les idées de Ruben Un Nyobe, l’une des figures marquantes du nationalisme camerounais. Il prit le risque de signer une lettre ouverte à Paul Biya en 1991. Pour nombre d’analystes, la crise qui naquit de cet épisode va être déterminante pour l’ouverture effective du pays aux libertés publiques. Monga en paya le prix : cet acte lui valut une incarcération sous le régime Biya. Un comité de soutien s’ensuivra pour sa libération. Dans les rangs des manifestants, l’on cite le célèbre écrivain Mongo Beti.

Après sa libération, Célestin Monga choisit l’Amérique et s’installe à Washington. Loin de son pays, il garde tout de même des liens avec des compatriotes comme Achille Mbembe, autre disciple idéelle de Ruben Um Nyobe, basé en Afrique du Sud depuis des lustres. Les deux sujets brillants partagent le courant dit de l’afropolitanisme. Il s’agit d’une manière d’être au monde qui refuse, par principe, toute forme d’identité victimaire. De manière précise, cet afropolitanisme ne signifie pas qu’elle n’est pas consciente des injustices et de la violence que la loi du monde a infligées à l’Afrique.

Mais, comme Mbembe, Monga sait que l’heure est à la recherche des solutions pour transformer l’Afrique et le Cameroun. En Afrique, l’économiste détecte quatre maladies. Le déficit d’amourpropre et de confiance en soi, le déficit de savoir et de connaissance. Mais aussi le déficit de communication et de leadership. Concernant le leadership, l’on se souvient d’ailleurs que, bien avant ses positions des années 1990, Monga tirait déjà la sonnette d’alerte sur la situation de son pays avec cette interrogation : « Cameroun, quel avenir ? » sorti en 1986.

L’ancien journaliste de Jeune Afrique avait choisi de retracer les trente premiers mois du régime de Paul Biya. « Si la présentation sous forme de chronique réduit la distance nécessaire au recul de l’analyste, elle a, en revanche, le mérite de livrer au lecteur une masse d’informations souvent inédites », reconnaît Michel Lobé-Ewané, dans les colonnes du très indépendant Le Monde diplomatique du 8 août 1986.

Savoir-vivre d’un digne fils pour sa patrie

Après un diagnostic, Monga trouve sa voie. Celle de l’élaboration des « projets très concrets » pour le devenir de l’Afrique. Une posture qui trouve une oreille attentive au sein de la Banque mondiale qu’il intègre en 1997, où il a occupé plusieurs  postes jusqu’en 2014. En 17 ans au sein de la Banque mondiale, il a occupé des postes aux opérations et dans le département de la recherche, notamment comme économiste principal en Europe et en Asie centrale, et directeur de l’équipe chargée de la revue des politiques à la vice-présidence en charge de l’économie du développement.

Célestin Monga a exercé les fonctions d’économiste conseiller (avec rang de directeur) du premier vice-président de la Banque mondiale et économiste principal. Monga a également exercé les fonctions de conseiller-directeur pour le programme de transformation structurelle du vice-président de la région Afrique et du premier vice-président et économiste en chef. Paul Biya n’a quant à lui pas bougé d’Etoudi. Il épuise son troisième septennat et se prépare à un quatrième. Ce n’est pas un sujet dont il parlera avec Célestin Monga.

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