Cameroun, Université de Yaoundé 1 : Les aveux d’un « criminel » (« Épisode 1 » Suite et fin)
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Cameroun, Université de Yaoundé 1 : Les aveux d’un « criminel » (« Épisode 1 » Suite et fin) :: CAMEROON

L'homme sérieux est dangereux ; il est naturel qu'il se fasse tyran (Simone de Beauvoir).Réponse à la question 2. Comment devient-on enseignant harceleur au bled ? Je parle aussi bien du harcèlement des étudiants que des collègues. Dans certaines universités du Tiers-monde en effet, s’il vous prend la mauvaise idée de respecter les règles déontologiques, par exemple, si vous expulsez une étudiante qui triche de la salle de composition, FAITES GAFFE ! Vous risquez de devenir un enseignant-harceleur, surtout si la concernée a pour cousin un sous-fifre du Chef. Si vous dispensez vos cours aussi bien en français qu’en anglais (dans ces contrées bilingues, il y une forte colonie de « men et women » dans les amphis), ATTENTION ! Car « ici, être dupe devenait souvent le bonheur le plus sûr et le plus grand » (Sony Labou Tansi, L’Anté-peuple, p. 164). Si vous faites l’appel, si vous avez une approche transdisciplinaire où vous travailler avec des collègues et des étudiants d’autres filière (en traduction par exemple) ; si vous obligez les étudiants à présenter des exposés sans lire ; si vous apportez un vidéoprojecteur dans vos cours alors que personne d’autre ne le fait ; si vous interagissez en ligne avec vos étudiants ou si vous osez créer un site internet à cet effet ;si l’on parle de vous un peu trop : malheur à vous si QUELQU’UN y voit un affront contre sa réputation !

Comment expliquer notre comportement, psychologiquement, sociologiquement, phénoménologiquement ? Notre environnement de travail et la mentalité ambiante des acteurs nous prédisposent à commettre ce crime. C’est que, moi, Professeur d’universités, je crois que je suis Dieu, omniscient, omniprésent, omnipotent. Que toutes les créatures qui m’environnent (parents, collègues moins gradés et étudiants) doivent leur souffle à MON humeur démiurgique. Y a-t-il un sort plus enviable que de recevoir la semence de la vie de son Créateur ? Nous, Dieu, croyons donc que nous rendons un service inestimable aux étudiantes paresseuses, celles qui écument nos couloirs et nos bureaux à la recherche des points (car elles existent malheureusement en grand nombre !). Tyrannisés par l’imprévisibilité constitutive de l’histoire, nous aurions souhaité que le futur fût prévisible et conforme à nos goûts problématiques ; nous aurions aimé que notre règne fût tout à la fois originel et éternel, et, paradoxalement, que personne d’autre que nous n’eût existé. Le parricide intellectuel ne nous suffit pas, l’infanticide professionnel non plus. Notre affaire, c’est un révisionnisme forcené qui consiste à s’en prendre à l’Histoire et à nos mémoires respectives pour leur imposer les souvenirs de notre préséance scientifique supposée, autoproclamée. Aussi, à défaut d’être LA référence scientifique camerounaise au niveau international, il faut que nous demeurions, ad vitam æternam, l’unique relique universitaire camerounaise de tous les temps.

Dans les amphis, certains parmi nous se prennent pour des papes. Au bureau, lorsqu’ils en ont, ils sont des rois. Pour y entrer, l’étudiant doit se courber en dix, s’agenouiller, ramper, pleurnicher, s’humilier pour espérer un regard discret de leur part. Malheur à celui qui dit « Bonjour Monsieur ». Il apprendra à ses dépens que NOUS sommes « Docteur » ou « Professeur ». J’ai vu des « collègues » – Eh, attention : on m’a dit de ne plus jamais m’imaginer, même dans mes rêves les plus fous, qu’un petit docteur peut avoir pour collègue un « PROFESSEUR », – terroriser des étudiants au point que ceux-ci ont tout simplement déserté les amphis.

Réponse à la question 3

Suis-je un enseignant harceleur ? le suis-je en puissance ou en acte, pour parler comme Aristote ? J’entends une voix ; elle m’est familière: « Le Dr … se figure qu’il peut inscrire, comme il lui plaît, certaines étudiantes dans des chaînes de servitude sexuelle préalablement construites par lui. Le refus de céder passivement aux pressions qu’il exerce sur celles qui ont ses préférences appétitives explique les plaintes qui ont été formulées contre lui auprès du Chef .... ». De qui ce type parle-t-il au juste ? Et sa façon de parler, si juste, si envoûtante. Le monsieur parle bien, il a une logorrhée imparable, infernale. Presque comme un savant. Mieux vaut l’avoir de son côté, parce que c’est un fieffé rhétoricien. Mon homme a manqué sa vocation : il devait faire « la politique », comme on dit des démagogues et des bibliomanes dans mon village. Se pourrait-il qu’il parle de moi ? J’étais dans la salle. À aucun moment pourtant, il ne m’a regardé dans les yeux. Pourquoi ai-je développé cette propension à m’incriminer à la moindre occasion ? Mon accusateur (non, l’orateur) voulait dire que ce criminel prend goût à son jeu cynique. Il soutenait que certains de ses collègues (souvenez-vous que je n’en fait pas partie) amenaient l’esprit des sectes, fait de dogmatique et de brimades, à l’Université. Il y en a, en effet, qui se sont exercés à humer l’air nauséabond de leurs flatulences comme un élixir hors de prix. Ne me dites pas qu’ils sont malades. J’incline plutôt à penser qu’ils ont envie de goûter à l’austérité rafraichissante et curative de la loi.

Je sais, d’expérience, que lorsqu’un Grand mobilise l’argument de la liberté, du droit et de la justice contre un tout petit, très souvent c’est pour avoir la caution morale de le tuer sans sourciller. Puisque je suis rangé parmi ceux qui sont coupables de « harcèlement sexuel », je propose de comprendre les ressorts psychosociologiques de ce crime et les motifs des plaignants. Je suis ainsi parvenu à la conclusion qu’il y a des enseignants harceleurs et des harcèlements décrétés par Décision ministérielle, pour les besoins de la cause, une cause bidon et perdue d’avance. Se pourrait-il que je fasse partie de la seconde catégorie ? Si tel est le cas, j’ai voulu vous édifier sur notre modus operandi. Un enseignant d’université compétent, à moins d’être détraqué psychologiquement (décidez si j’en fasse partie), n’a pas le temps de s’adonner au harcèlement sexuel. Il est si occupé à faire ses recherches,à donner des conférences à travers les quatre coins de la planète ; il est tellement sollicité par les « autres », qu’il se détourne en permanence de ce vice. Sa prière quotidienne est qu’il échappe (le temps d’une année académique) aux différents pièges que les « autres » lui tendent. Nous pouvons en conclure que l’incompétence, la vanité et la bêtise refluée comme norme sont les ressorts du harcèlement sexuel en milieu universitaire. À moins, et c’est l’exception, que ce soit le prétexte choisi pour liquider les collègues les plus remuants. Serait-ce la solution finale retenue au sein de la« Sapientia collativa cognitio » ?

Tiens, tiens, vous vous attendiez à quoi, à ce que je vous livre les détails des plaintes contre l’État et les autres ? Je vous ai eus, Hein … Mes chers, je n’en dirai pas un mot aujourd’hui : on ne commente pas les affaires en cours d’instruction ! Avez-vous oublié la fameuse « obligation de réserve » ? Certes, j’imagine votre déception, mais un peu de patience…

Je voulais juste partager avec vous de menues réflexions philosophiques que m’a inspirées ma lecture du roman époustouflant de Sony Labou Tansi, L’Anté-peuple : « À la suite d’un faux témoignage contre lui, il a dû s’évader de sa ville natale, Kinshasa. Car il était accusé d’avoir terni l’honneur d’une jeune fille. Et cette dernière s’est donc retrouvée enceinte. J’ai été choqué de voir qu’aucun moyen scientifique n’a été utilisé pour établir la paternité biologique. Ce genre de situation bâtarde relève plus de l’émotion que de la raison pure et porte ainsi souvent préjudice à des innocents… »

Le gros mot intimidant de philosophie que j’emploie ici signifie réfléchir par soi, discuter et éprouverses opinions et ses préférences. Philosopher, c’est cultiver la clairvoyance. Le philosophe dit qu’il prend en charge les ordures du monde. L’intellectuel, en lui, renchérit : « Cette ordure c’est mon cas personnel. Il faut le fouetter, le torturer, lui compliquer le séjour » (Sony Labou Tansi , L’Anté-peuple, p. 92) Tous les philosophes, de Socrate à Foucault, en passant par Descartes, Nietzsche, Marx, Alain, Towa et les autres ont prescrit qu’il faut se palper en permanence. Aussi j’aime (me) suspecter. Je me scruter en permanence, pour surprendre la putréfaction qui me (nous) guette au tournant. Palpez-vous !!!

L’université m’a condamné. Quel sera le verdict de la justice ? On, on on… On attend. En attendant, les juges, eux aussi, se palpent.

« Épisode 2 » : Le Bal des Maudits

Lire le début de cette réflexion sur ce lien    

Dr Fridolin NKE

Docteur de l’Université de Liège,

Expert international en Ingénierie de la formation supérieure

Promoteur de Pan-African Digital Arts &Humanities http://www.padah.org/ nkefridolin2000@yahoo.fr

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo