Pr Claude Abé : «Au Cameroun, le tribalisme dans la religion est une reproduction du champ politique» :: CAMEROON
© Repères : Interview Menée Par Thierry Christophe Yamb | 10 Aug 2017 09:40:46 | 9068Du point de vue de la sociologie qu’entend-on par tribalisme ?
Il faut distinguer la tribalité du tribalisme. La tribalité est un lien que des individus appartenant à une même communauté ou à un même référentiel identitaire entretiennent entre eux dans l’optique d’articuler leur identité culturelle. Cependant, il peut arriver que cette identification à un référent communautaire, glisse vers le communautarisme. Et l’un des visages du communautarisme se trouve être le tribalisme. Ce dernier est une forme d’exacerbation de la tribalité qui prend les contours d’un repli identitaire. Le repli identitaire ici renvoie à une survalorisation de son appartenance tribale, avec un rejet de l’altérité, de tout ce qui est différent de l’en-groupe (entre groupe) auquel on appartient. Ceci fait que le tribalisme constitue l’un des défis contemporains au vivre-ensemble, à la possibilité de cohabitation pacifique entre une diversité de groupes, au pluralisme culturel. A ce titre, on peut dire que c’est l’un des avatars du narcissisme collectif qui prend un visage pathologique.
L’on pourrait alors penser que la religion est un début de solution à cette « pathologie ». Mais déjà, comment le sociologue appréhende-t-il le concept « religion » ?
La religion est une articulation d’un élan vis-à-vis de la chose sacrée. Indépendamment des organisations, la religion peut être l’articulation d’une idée de transcendance qui renvoie au fait que les individus se représentent le monde comme ayant une origine liée à l’existence d’une divinité. Dans ce cas, le fait religieux peut se manifester dans une institution à caractère organisationnel. Il peut aussi se matérialiser dans le cadre de sociétés traditionnelles, sans qu’il n’y ait un certain nombre d’organisations qui prennent en compte les obédiences monothéistes tel qu’on les voit se mettre en lumière dans le champ social camerounais.
La religion étant un moyen de relier les hommes à une divinité, l’on s’attendrait à ce que ce faisant, elle concourt à souder de façon durable les liens entre les hommes. Pourtant, l’actualité autour de nous, fait état du contraire. Comment expliquer cela ?
Il y a évidemment là une sorte de contradiction. Si l’on tient compte des obédiences monothéistes comme c’est le cas à l’Eglise évangélique du Cameroun (EEC), on s’aperçoit qu’il y a une allégeance de l’ensemble des fidèles à l’idée d’un Dieu qui serait le début et la fin de toute humanité ; et qui de ce point de vue, aurait créé tous les individus qui articulent leur foi dans le cadre de cette structure religieuse. A ce titre, la diversité est la chose du monde la mieux partagée.
D’ailleurs, le mystère de la pentecôte que tout chrétien est censé connaître, est souvent pris pour modèle dans ce type de situation. Ici, les gens parlent une diversité de langues et se comprennent mutuellement, alors qu’ils n’appartiennent pas à la même communauté. Cela montre donc que l’Eglise devrait être de par sa nature, un lieu de métissage culturel, un creuset de mise en route de la cohabitation pacifique entre les origines ethnoculturelles. Or, dès lors qu’on voit apparaître le tribalisme dans ce cadre, on a l’impression qu’il y a une trahison du magistère qui est généralement la base de la doctrine de l’Eglise. Il s’agit là d’un paradoxe énorme qui montre aussi qu’en réalité les obédiences religieuses restent des institutions humaines, qui n’échappent pas aux influences de l’environnement dans lequel elles évoluent.
Dans le cas de l’EEC, on voit bien qu’il y a d’un côté les chefs du grand groupe Sawa qui cherchent à établir leur hégémonie et d’un côté, ceux du grand groupe Bamiléké qui veut établir la sienne. D’ailleurs, le problème ne se pose seulement au niveau de l’EEC. Dans l’Eglise catholique, le même problème s’est posé à une certaine période, quand les populations dites autochtones de Yaoundé et Douala ont récusé certains archevêques sous prétexte qu’ils n’étaient pas des natifs de ces villes. On constate là qu’il y a une reproduction de ce qu’on voit faire sur le terrain politique. On a pu observer à la faveur de l’adoption de la constitution du 18 janvier 1996, comment les Douala ont fait une sortie pour émettre l’idée selon laquelle, tous les exécutifs municipaux de la ville étaient entre les mains de ce qu’ils ont appelé les allogènes, les Bamilékés notamment.
On peut ainsi se dire que c’est cette utilisation de l’appartenance communautaire pour asseoir sa domination dans des espaces qui, à première vue, sont fondés sur la reconnaissance de la diversité et de la compétence qui pose un problème dans la religion. Car si la société a maille à partir avec les questions de diversité, la religion a davantage maille à le faire. Cela vient démontrer que même dans cette quête de la foi en une divinité, les chefs religieux ne restent en réalité que des hommes.
Est-ce à dire que dans un contexte comme le nôtre, tribalisme et religion chemineront toujours ensemble ?
Si on prend le cas du christianisme, on se rend compte qu’il a un message universel, qui donne une place à tout le monde dans une perspective horizontale, et pas dans des rapports de verticalité. On pourrait donc dire dans ce cas qu’il y aurait une incompatibilité entre la foi chrétienne et le tribalisme. Mais on se rend compte que les uns et les autres font leurs petits calculs et découvrent que tous les terrains de l’activité humaine sont propices à une quête d’hégémonie, qui passe aussi par la mobilisation de son appartenance identitaire.
On observe donc que dans le champ religieux comme dans le champ politique, il y a un certain nombre d’entrepreneurs identitaires qui ont pour ambition d’accéder aux ressources de domination qui existent, afin d’asseoir leur pouvoir. Cependant, ce dont on va se rendre compte c’est que très souvent on n’a pas des communautés qui sont véritablement liguées l’une contre l’autre, mais un certain nombre d’entrepreneurs qui appartenant à ces groupes tribaux, ont des projets à caractère individuel, et manipulent les consciences pour parvenir à leur but, quitte à remettre en question la coexistence pacifique entre différents groupes ethniques.
Aussi, il ne faut pas forcément voir derrière ce qui passe à l’EEC, une bataille entre les tribus, mais davantage une dynamique instrumentale de certains acteurs qui prennent leurs communautés en otage pour résoudre des problèmes à caractère nombriliste et individuel, renvoyant ainsi à ce que la foi peut rapporter. Beaucoup d’entrepreneurs ont transformé le champ religieux en un espace d’entrepreneuriat, sans que cela soit au bénéfice des communautés dont ils disent défendre les intérêts. Comment établir le distinguo entre de véritables religieux et ces « entrepreneurs » ?
S’il y avait eu un aménagement de la loi au Cameroun qui prévoit une certaine période pour observer comment fonctionnent les associations religieuses avant de leur délivrer des agréments, ça permettrait de distinguer le bon grain de l’ivraie. Mais on constate que non seulement elles sont légalisées à tout va, la connivence que certains leaders de ces obédiences entretiennent avec les autorités publiques, fait que lorsqu’on ferme un lieu de culte à 15h, il est rouvert à 16 h.
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