Lettre ouverte à Monsieur Issa Tchiroma Bakary,Président du Front pour le Salut National du Cameroun :: CAMEROON
© Correspondance : Dr Jean Emmanuel Ivan Etegle Meka | 13 Aug 2025 08:00:12 | 974Monsieur le Président, Je m’adresse à vous, non seulement en votre qualité de leader politique, mais aussi comme témoin et acteur privilégié de l’histoire institutionnelle et politique du Cameroun. Vous avez servi successivement sous les présidences d’Ahmadou Ahidjo et de Paul Biya, deux figures centrales du Cameroun post-indépendance. Ce parcours vous confère une expérience rare et une responsabilité particulière quant aux orientations actuelles et futures de notre pays; plus encore à ce moment où vous engagez dans la course magitrature suprême au Cameroun.
M. Tchiroma, depuis près de six ans, j’ai quitté le Cameroun pour mener deux recherches universitaires : la première sur les ressorts de l’appartenance ethnique dans le militantisme politique camerounais ; la seconde sur une comparaison entre les administrations publiques canadiennes et camerounaise. Les résultats préliminaires de mes travaux confirment ce que nombre d’observateurs dénoncent depuis longtemps : notre État. Structuré sur le modèle d’un centralisme jacobin hérité de la France coloniale (cf. Foumena, 2020), il concentre tous les leviers de pouvoir entre les mains d’une seule personne. Dans ce schéma, l’appareil administratif tend à servir prioritairement les intérêts du groupe ethnique du dirigeant en place et des affidés venus d’un peu partout à l’échelle du Cameroun, captant les ressources et les positions stratégiques. Qu’il s’agisse de Biya ou de quelqu’un d’autre, la situation resterait désespérément la même.
Ce mode de gouvernance s’explique par l’histoire. Comme l’ont montré les travaux de Bayart (1985) et Ngando (2006), l’État camerounais post-indépendance a été conçu pour prolonger la logique extractive coloniale, au service de rentes politiques et économiques, plutôt que pour organiser un développement équilibré.
C’est un État qui, dans son fonctionnement actuel, peine à répondre à la définition même d’un État moderne : garant du bien commun, régulateur impartial et catalyseur du développement.
Le président de la République concentre un pouvoir exorbitant : il nomme les membres du gouvernement, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets, les responsables des forces de sécurité, les magistrats, les dirigeants des entreprises publiques, et même les chefs de juridictions administratives et même les présidents des conseils régionaux, les présidents des chambres du parlement, les présidents des Cours Suprême et Constitutionnelle.
D’aucuns diront qu’il y a souvent élection, mais qui est encore dupe aujourd’hui au Cameroun?
Disons-le, cette omnipotence, en annihilant l’équilibre des pouvoirs, réduit le Parlement à une chambre d’enregistrement et asservit la justice aux calculs politiques.
Or, le Cameroun est un État multinational (Konings & Nyamnjoh, 2003). Ne pas reconnaître cette réalité, c’est s’exposer, indéniablement, à de graves risques d’instabilité d’une part et de sclérose économique d’autre part. Toute ambition présidentielle qui prétend reproduire le modèle « unitaire-centralisé » de Paul Biya, sans repenser la place de chaque composante nationale dans l’architecture de l’État, conduira inévitablement à l’érosion de la cohésion nationale et, à terme, à des scénarios de fragmentation anarchique.
C’est au regard de cette perspective que je me permets de réagir à la décision d’exclure Madame Jeana Nsoga Epse Sone Ekolo, secrétaire générale du Comité Central du FSNC, en date du 11 août 2025. Certes, tout parti politique, en tant qu’association privée régie par la Loi n°90/056 du 19 décembre 1990, est libre d’appliquer ses statuts et règlements. Mais cette exclusion, qui vise une militante engagée pour la justice dans le Littoral et plus particulièrement dans le Moungo, dépasse la sphère interne de votre parti.
Je vous explique, en choisissant de la sacrifier à l’autel d’alliances électorales avec des acteurs manifestement hostiles aux combats qu’elle mène, vous adressez un message lourd de sens : celui que certaines voix peuvent être étouffées pour préserver des intérêts partisans immédiats.
Ce geste ne concerne pas seulement votre formation politique ; il interpelle l’ensemble des candidats à la présidentielle qui persistent à croire qu’il est acceptable de « sacrifier quelques-uns » pour garantir une conquête du pouvoir. D’ailleurs Ahidjo l’a fait de par le passé, et Paul Biya le fait encore aujourd’hui.
Vous, mieux que quiconque, connaissez les drames historiques qui ont marqué notre pays : razzias foncières, spoliations, déplacements forcés, parfois sur fond de violences graves contre certaines communautés. Une documentation abondante, y compris dans les archives administratives, témoigne de ces réalités. Ces drames ne concernent pas que le Moungo ; on en retrouve les stigmates dans le Mbam (notamment en pays Nyokon), dans certaines zones du Nord (Je pense au pays Guiziga…), et ailleurs.
Le Littoral, berceau historique du Cameroun contemporain, reste aujourd’hui la seule région où un fils du terroir a très peu de chances de se faire élire à un poste stratégique. Cette situation, fruit de décennies de recompositions politiques centralisées, ne durera probablement pas éternellement après l’ère Biya.
Toute tentative de reconfiguration politique qui ignorerait cette donnée pourrait provoquer un réveil identitaire aux conséquences imprévisibles. Cette partie du Cameroun ne restera pas toujours le “No man’s land” qu’elle est aujourd’hui. Et si le Grand Littoral (Il va jusqu’au Cameroun anglophone) se met à tousser violemment, le Cameroun entier, économiquement, va éternuer du sang.
Enfin, votre récente ouverture aux démissionnaires du PCRN, sur fond d’incidents liés à la question des Kirdis (C’est la raison que les démissionnaires ont donnée), mérite réflexion. L’accueil de ces militants, sans prise en compte du ressentiment communautaire exprimé et sans annoncer une quelconque action d’apaisement et de pédagogie, peut être perçu comme un signal négatif par ces populations.
Je ne vous apprends rien sur les contentieux historiques dans cette partie du Cameroun (Ibrahim Mouiche : 2000). Un leader républicain authentique se doit de bâtir une vision politique dans laquelle chaque communauté se reconnaît comme partie intégrante de la République, et non comme tolérée ou marginalisée. Continuer à espérer devenir « le prochain Paul Biya » sans réforme structurelle condamnera le pays à la fragmentation et, à terme, à l’anarchie.
Pour ma part, bien que mes sympathies politiques soient connues, mon choix de ne pas m’encarter me permet de conserver une liberté de parole et une neutralité académique. Je peux ainsi m’adresser à tous les partis, sans enfreindre la discipline interne d’aucune formation. Et c’est précisément cette liberté qui m’autorise à vous rappeler que l’avenir du Cameroun ne se jouera pas dans la simple reproduction des méthodes passées, mais dans notre capacité collective à refonder l’État sur des bases équitables, inclusives et respectueuses de notre diversité nationale.
Il est temps de s’asseoir, en tant que Camerounais, pour définir un cadre institutionnel qui garantisse la justice, la péréquation et un partage réel du pouvoir. Ce chantier, qui dépasse les logiques partisanes, est la condition pour éviter que notre pays ne se brise sous le poids de ses propres contradictions.
Qu’il suffise alors de le souligner avec insistance, le Cameroun n’a pas besoin d’un nouveau visage pour le même système ; il a besoin d’un nouveau système pour que tous les visages puissent y trouver leur place.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.
Dr Jean Emmanuel Ivan Etegle Meka,
Université du Québec à Rimouski,
École Nationale d’Administration Publique du Québec.
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