CAMEROUN :: Jérôme Francis WANDJI "Le MRC dispose de la représentation institutionnelle " :: CAMEROON
© Correspondance : Par Jérôme Francis WANDJI K. | 20 Jun 2025 11:30:58 | 477"L’investiture de la candidature du Pr Maurice Kamto par le MRC à la présidentielle d’octobre 2025 face à la problématique de l’intelligibilité et de la clarté de l’article 121 du Code électoral
S’il nous était donné de définir le risque, une réponse satisfaisante pourrait être la suivante : voici le risque, celui d’écrire en ce moment sur l’article 121 du code électoral (2012) fût-il avec les habits du scientifique, car c’est prendre le risque de subir des attaques ad hominem, le risque d’un procès d’intention, le risque de représailles quelle que soit l’approche, même prépositionnelle et intelligible du sujet qui marque pourtant un ton réflexif ou exploratoire.
Mais se taire, c’est prendre encore un risque, celui de l’autocensure, le risque de se le voir reprocher par sa conscience de constitutionnaliste, car c’est bien d’un sujet de droit constitutionnel qu’il s’agit ici, plus particulièrement de droit constitutionnel des droits fondamentaux même s’il commence sur une manifestation politique, le meeting de Paris du 31 mai 2025. C’est en effet à cette occasion que le MRC a tranché entre plusieurs choix d’investiture du Pr Maurice Kamto à la présidentielle d’octobre 2025.
La voie d’une candidature indépendante était inenvisageable, pas plus pour lui que pour un autre candidat, compte tenu de notre contexte politique actuel extrêmement clivé. Le Professeur aurait pu choisir de se faire investir par un parti politique autre que le MRC ou par une coalition de partis politiques sur le fondement de l’article 3 de la Constitution ; cette disposition distingue en effet les « partis » politiques des « formations politiques » ; celles-ci englobent des ententes ou alliances préélectorales entre plusieurs partis politiques en vue de concourir également à l’expression des suffrages. Mais l’article 121 du code électoral ne s’est pas montré suffisamment précis pour éviter la polémique à ce sujet. Et pour cause, sa rédaction est moins inclusive que celle de l’article 3 de la Constitution, car elle n’y fait aucune référence et semble donc exclure l’investiture d’un candidat par les formations politiques.
Ces réserves pourraient expliquer le choix du Pr Maurice Kamto de se faire investir par le parti politique dont il est le leader. Mais une telle prise de position, loin de mettre un terme aux supputations, a ravivé les passions et oppositions autour de la compréhension et du sens de l’article 121 du code électoral.
Ces oppositions sont en réalité suscitées et justifiées par le fait que l’article 121 soulève au moins deux questions d’ordre juridique surmontables toutefois (par le juge électoral du Conseil constitutionnel dont l’office ne se confond pas matériellement avec celui du juge constitutionnel) : une question de conventionalité que le titre ci-dessus exclut par souci de brièveté, et une question d’intelligibilité et de clarté qu’il convient d’explorer à travers les deux points ci-dessous.
De l’interprétation duale de l’article 121 du code électoral
L’article 121 du code électoral dispose que pour déclarer sa candidature à l’élection présidentielle, « les candidats peuvent être :
1) soit investis par un parti politique ; soit indépendants, à condition d’être présentés comme candidat (…) par au moins trois cents (300) personnalités originaires de toutes les Régions, à raison de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de membre du Parlement ou d’une Chambre consulaire, soit de Conseiller Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de premier degré.
2) Le candidat investi par un parti politique non représenté à l’Assemblée Nationale, au Sénat, dans un Conseil régional ou dans un Conseil municipal doit également remplir les conditions prévues à l’alinéa (1) ci-dessus applicables aux candidats indépendants (…) ».
Ainsi libellé, l’investiture d’une candidature par un parti politique emprunte deux voies : les candidats peuvent être investis soit par un parti politique représenté, soit par un parti politique non représenté, ce qui soulève une question, la suivante : qu’est-ce qu’un parti politique représenté ?
A cette question, les réponses apportées ne sont pas univoques et expriment une divergence d’approche de l’article 121.
La première consiste à lire l’article 121 isolément pour déboucher sur la définition suivante : un parti politique représenté est celui qui préalablement au dépôt de candidature à la présidentielle, a présenté ou investi ses militants ou sympathisants comme candidats à une élection (nationale, régionale ou locale) au cours de laquelle les suffrages nécessaires pour être élus, se sont dégagées en leur faveur.
L’autre approche part d’un constat : l’article 121 présente une ambiguïté rédactionnelle et ne peut donc être considéré comme une disposition claire parce qu’il suscite une interrogation : en Droit constitutionnel, est-ce le peuple qui est représenté comme l’affirme l’article 2 de la Constitution ou l’instrument de mobilisation de ses suffrages (art. 3) ?
Plus simplement, l’élu représente-t-il le peuple ou le parti politique dont il est issu ? A partir de là, force est de constater que l’article 121 ne peut être appréhendé isolement car il ne se suffit pas à lui seul pour être compris. Par conséquent, il doit être interprété et son sens ne peut être fixé qu’en lien avec les autres normes du système juridique, c’est-à-dire en tenant compte de son rapport aux textes qui lui sont supérieurs dans la pyramide juridique camerounaise, à savoir la Constitution qui donne existence et son contenu au code électoral, (art. 6al.6, 14al.6, 26, 55al.6, 57al.2) et les conventions internationales relatives aux droits fondamentaux ratifiées par le Cameroun ou ayant valeur constitutionnelle (cf. préambule) que la code électoral ou tout interprète doit respecter ; ensemble, ces textes font une large place aux principes généraux de droit public en phase avec la matière électorale : principe de souveraineté nationale (art. 2 de la Constitution) qui implique une démocratie représentative, principe de liberté de participation politique (art.25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 déc. 1966 ou PIDCP), principe d’indépendance des élus qui implique la nullité du mandat impératif (art. 15al.3 Constitution), principe de l’intérêt général (préambule de la Constitution) etc.. C’est de ce point de vue qu’on peut considérer qu’un « parti politique représenté » est aussi celui qui possède au moins un élu dans ses rangs au moment du dépôt de candidature à la présidentielle, peu importe alors que le parti politique en question ait au préalable investi l’élu comme candidat ou non. La raison en est que, une fois élu, il exerce un mandat représentatif, à titre personnel, libre de toute contrainte de son parti et/ou de ses électeurs. De ce fait, l’élu ne représente ni son parti politique et ses intérêts, ni la portion d’électeurs qui s’est prononcée en sa faveur, mais l’intérêt général ou de tous les Camerounais. Et toute ambiguïté en ce sens est exclue par la Constitution qui précise qu’aucune fraction du peuple ne peut s’attribuer la souveraineté du peuple camerounais (art. 2 al.1). En d’autres termes, l’élu représente l’ensemble des électeurs et des non-électeurs, et afin que l’élu et les partis politiques n’en doutent point, la Constitution rappelle la nullité du mandat impératif (art. 15 al.3) alors même qu’elle va de soi ou sans dire en conséquence du choix de la démocratie représentative par le constituant (art.2)
A partir de là, si l’on considère, la première interprétation de l’article 121, le MRC appartient à la catégorie des partis politiques non représentés et comme tel, il ne peut pas investir un candidat à la présidentielle de 2025 ; Mais le MRC semble se prévaloir de la seconde interprétation pour entrevoir la possibilité de présenter un candidat.
Il n’est pas question de prendre parti, (l’homme de science (juridique) ou considéré tel, ne s’embarrasse pas de militantisme encore moins de croyance religieuse, car être candidat à une élection ne suppose nullement être vainqueur sauf concrètement à apporter ou ajouter une caution démocratique au processus électoral par le fait de représenter un courant de l’opinion, condition de son inclusivité). Il s’agit tout simplement alors de relever que cette divergence de compréhension de l’article 121 du code électoral est avant tout le fait du législateur. En l’espèce, il a manqué à une de ses obligations fondamentales imposées par la consécration constitutionnelle de l’Etat de droit et des droits fondamentaux au Cameroun en 1996 : c’est l’obligation d’intelligibilité et de clarté de la loi qui trouve aussi écho dans d’autres Etats d’Afrique et d’ailleurs. En effet, loin de chez nous, pour que le législateur ne s’en écarte pas, l’obligation d’intelligibilité et de clarté de la loi a été élevée au rang de principe ou d’objectif à valeur constitutionnelle (France, Madagascar…). Concrètement, elle impose au législateur de rédiger les lois ou formuler ses dispositions de manière suffisamment précise, compréhensible, accessible et prévisible dans leurs conséquences juridiques afin de garantir leur correcte application par l’administration et le juge. Dans ce sens, le Conseil constitutionnel français a réaffirmé que le législateur doit « exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution » et « adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la constitution ou contre le risque d’arbitraire » (Décision n°2013-685 DC du 29 déc. 2013, Cons. 33). Ainsi, le législateur ne peut plus tout faire, il lui est interdit d’introduire dans la loi des dispositions ambiguës, imprécises ou floues afin d’éviter des interprétations divergentes préjudiciables aux libertés et droits individuels.
De l’option pour une interprétation téléologique ou finaliste de l’article 121 du code électoral
Toutefois, le Droit, en tant que science, a prévu que si malgré tout, une telle écriture problématique venait à exister comme c’est le cas avec l’article 121, l’interprétation de la disposition en cause aussi bien par l’Administration que par le juge voire la doctrine doit (verbe d’obligation) se faire ( à ne pas confondre avec « peut se faire ») au regard de sa conformité aux textes juridiques supérieurs et surtout dans le sens le plus favorable à l’exercice des libertés et des droits fondamentaux; en l’occurrence ici, il s’agit de la liberté de participation à la vie politique et notamment du droit à l’égal accès aux fonctions politiques « sans restrictions déraisonnables » (art.25 PIDCP) dont le respect vise, entre autres, à favoriser des élections inclusives au fondement de la démocratie. Faire autrement, c’est accréditer un Etat légal sans Etat de droit.
L’affirmation par le Pr Maurice Kamto de la capacité du MRC à investir un candidat emprunte cette logique parce qu’au soutien de cette affirmation, sont invoqués des moyens tirés de la récente adhésion au MRC des élus exclus du SDF et des principes de droit public contenus dans la Constitution et le PIDCP déjà invoqués. Ces principes admettent en effet un changement de partis politiques en cours de mandat, lesdits partis ne contribuant qu’à la mobilisation des suffrages (art.3 de la Constitution). Les élus exclus du SDF seraient donc membres du MRC en cas de déclaration officielle des concernés tout au moins ; ce d’autant que la loi sur les partis politiques (90/056 du 19 déc. 1990) dispose qu’on ne peut appartenir à plus d’un parti politique (art.3al.4). Seulement, il s’agit ici d’élus locaux et la nullité du mandat impératif est explicitement posée pour les parlementaires (art.15 Constitution) et non pour les conseillers municipaux et régionaux. Est-ce à dire qu’ils en sont exclus ?
Même si la Constitution ne l’affirme pas, les élus locaux sont concernés par la nullité du mandat impératif car la jurisprudence étrangère et les principes généraux de droit public considèrent que dans toute démocratie représentative, tous les élus exercent un mandat libre de toute contrainte partisane ou populaire (sauf si la Constitution affirme expressément le contraire comme en Afrique du Sud où le siège appartient au parti et non à l’individu depuis 2008-2009). A titre d’illustration, une décision du Conseil constitutionnel français affirme que « les membres des assemblées délibérantes des collectivités d’outre-mer exercent un mandat représentatif ; ils ne sont pas les mandataires d’une catégorie de la population ni liés par un mandat impératif, comme le prévoit l’article 27 de la Constitution » (CC, décision n°2000-429 du 30 mai 2000, Cons.12).
Dans ces conditions, le mandat représentatif d’un élu local permet les ralliements post-électoraux et un parti politique peut juridiquement s’en prévaloir pour accueillir les élus venus d’autres partis en cours de mandat, et ce faisant renforcer sa représentation institutionnelle ou en acquérir une s’il n’en avait pas. Ainsi le MRC peut en revendiquer une au sein d’un conseil municipal (à Bafoussam) grâce aux ralliements récents d’ex-élus du SDF. Mais il ne s’agit que d’une représentation institutionnelle qui ne crée pas automatiquement une représentativité électorale puisqu’aucun mandat n’a été conquis par le suffrage universel sous la bannière du MRC, celui-ci ayant boycotté les législatives et municipales de 2020 sans que cela ne lui enlève la possibilité de se prévaloir des candidats élus qui rejoignent ses rangs. La raison est simple, le boycott est un droit politique, perçu comme une forme d’expression politique d’un mécontentement ou d’un désaccord soit sur les règles du processus électoral soit sur la manière d’organiser ponctuellement les élections ; il relève pour ainsi dire de la liberté d’expression et d’association tant qu’il se fait sans appel au désordre ou à la violence lors de la consultation électorale (art. 19, 20, 21, 22, PIDCP). Malgré cette justification juridique, les électeurs du SDF peuvent ressentir ou ressentent les ralliements au MRC de leurs élus comme une dévalorisation de leur vote, et les dirigeants du SDF sont en droit de penser qu’il s’agit d’une trahison des engagements politiques pris devant eux et devant les électeurs. Mais un tel ressenti pose un problème d’éthique en politique et non un problème légal. Ceci étant, il appartient désormais au juge électoral du Conseil constitutionnel de dire le droit avec l’autorité qui s’y attache."
* Ancien enseignant au département de Droit Public à la faculté des Sciences juridiques et politiques de l'université de Douala, l'auteur est Professeur titulaire de Droit public et constitutionnaliste et membre du Laboratoire « Droit et Changement social » de l’Université de Nantes
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