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© Camer.be : Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
- 23 Apr 2023 06:24:59
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FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 23 AVRIL 2023 Par le Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
Textes : Actes 2, 4-33 ; 1 Pierre 1, 7-21 ; Luc 24, 13-35
Thème : Les disciples d’Emmaüs
Le philosophe Jean Guitton disait : " Si l'on m'envoyait en exil dans une île avec un seul livre, je prendrais l'Evangile de Luc. Et si l'on ne m'autorisait à garder qu'une page, ce serait celle des disciples d'Emmaüs". Un chef-d'œuvre.
Nous venons de fêter la résurrection et puis la vie, la vraie vie, celle de tous les jours, a repris le dessus. Et Cléopas, avec son ami qui ne porte pas de nom, car c’est chacun d’entre nous, redescend de Jérusalem. Ils avaient espéré que Jésus sauverait Israël. L’aventure avait été belle mais s’était mal terminé et il valait mieux tout oublier. Tournant le dos à Jérusalem, la cité de Dieu, ils repartent à Emmaüs ce lieu où Judas Maccabée avait vaincu les armées syriennes fortes de 47 000 hommes.
Un village glorieux dans l’histoire d’Israël ! Ils ont entendu dire – comme nous l’avons entendu lire – que des femmes se sont rendues au tombeau et ne l’ont pas trouvé. Et puis finalement rien n’a vraiment changé pour eux comme pour nous. Franchement, la résurrection, comme dirait la sagesse lyonnaise, est-ce que ça permet de manger le bonheur à la petite cuillère ?
A l’inconnu qui s’est joint à eux, ils expliquent tout ce qui s’est passé. Ce pourrait presque être notre Credo cette histoire. Sauf qu’elle suinte de leur déception et qu’elle est creuse. Ils espéraient eux, comme Messie, un autre Judas Maccabée. Un homme qui expulserait l’envahisseur romain et permettrait au peuple de Dieu de vivre sa foi. Même après tout ce temps avec Jésus, ils n’avaient pas intégré la Sagesse de Dieu et Jésus les reprend : Vous n’avez donc pas compris ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Alors il leur explique qu’il fallait que le Messie souffrît pour entrer dans sa gloire. Et il déroule le film d’une histoire qui est à l’opposé de celle qu’ils avaient espéré mais une histoire qui peu à peu réanime leur cœur qui en devient tout brûlant. Et ils découvrent, dans ces Écritures, un certain bonheur mais un bonheur qui n’était pas là où ils l’attendaient. Et ce bonheur est pour nous.
Ce bonheur contenu dans les Écritures est un bonheur qui reprend tout, même ces choses que nous n’aimons pas et que nous laissons dans l’ombre. Jésus nous aide à les reprendre pour y découvrir un sens nouveau. C’est pour cela, qu’il chemine avec nous. Déjà, pendant l’Exode, Dieu avait répondu oui à Moïse qui lui demandait : Comment saura-t-on que j’ai trouvé grâce à tes yeux moi et ton peuple ? N’est-ce pas que tu iras avec nous ? Comment aujourd’hui, en serait-il autrement alors que le Christ nous a promis de ne pas nous laisser orphelins. Forts de cette certitude, oserons-nous fonder notre vie sur les promesses qui sont contenues dans la Parole de Dieu ?
Cela ne se fera pas sans lutte. Cela se fera progressivement. Et c’est exactement ce qui s’est produit pour les disciples d’Emmaüs. On aurait pu penser qu’après toute cette démonstration de théologie, ils auraient reconnu le Christ : Jamais homme n’avait expliqué les Écritures comme celui-là ! Eh bien non. En revanche, la parole a éveillé une vie nouvelle en eux. Ils considèrent différemment cet homme qui, il n’y a pas si longtemps était bien le seul à ne pas savoir ce qui s’est passé ! Le cœur brûlant, ils se prennent à l’inviter à demeurer avec eux. La Parole fait son chemin et les invite à agir. C’est exactement la même chose pour nous… La Parole de Dieu doit nous inviter à agir et à changer de vie : que serait la foi sans les œuvres ?
Alors le Christ rompt le pain en un geste qui détruit une première unité, humaine, mais pour en établir une nouvelle entre ceux qui vont le recevoir. Dieu, en se donnant dans une parole incarnée fait éclater nos schémas trop humains pour leur donner un nouveau sens. A celui qui veut le recevoir, à celui qui accepte l’éclatement de son petit univers, il vient alors donner une nouvelle vie. Une vie qui prend une urgence nouvelle, celle de l’Église. Et les disciples repartirent en toute hâte pour Jérusalem, la cité de Dieu.
Nous avons entendu le récit d’Emmaüs. Comme pour les disciples d’Emmaüs, il y a sans doute des aspects de notre vie qui nous paraissent creux et sans valeur. Lire les Écritures, c’est se donner la chance de trouver le bonheur, car c’est redécouvrir que ce qui nous a libérés de la vie sans but que nous menions c’est le sang précieux du Christ. Élevé dans la gloire par la puissance de Dieu, il a reçu de son Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous.
Cet Esprit qui est l’Amour en Dieu est source d’une vie nouvelle, d’une vie de bonheur car, souvenez-vous, l’amour prend patience, il rend service, il ne jalouse pas, il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil; il ne fait rien de malhonnête; il ne cherche pas son intérêt; il ne s’emporte pas; il n’entretient pas de rancune; il ne se réjouit pas de ce qui est mal, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai; il fait confiance en tout, il espère tout. C’est cet amour qui rend notre cœur brûlant, qui nous conduit au bonheur dans ces lieux où précisément il n’y avait que la mort. Demandons donc à l’Esprit Saint de venir au secours de notre faiblesse, là où nous en avons besoin !
En recevant le pain eucharistique que nous partageons, c’est la vie du Christ qui va venir prendre chair en nous, c’est le feu de son Esprit que nous mangeons. Pour que nous puissions dire : Ce n’est plus moi qui vis mais c’est le Christ qui vit en moi. Évidemment, c’est risqué parce que le Christ est mort d’avoir aimé. Mais si nous nous aimons les uns les autres comme le Christ nous a aimés, alors nous connaîtrons Dieu car celui qui aime connaît Dieu.
Bien-aimés dans le Seigneur,
Permettez-moi de vous raconter une petite histoire. Il s’agit d’une histoire d’un pasteur et d’un rabbin.
Depuis des années, lorsqu'ils en avaient le temps, ils aimaient aller se balader toute une après-midi et terminer leur journée par un bon repas festif. Certains étaient étonnés de leur amitié : comment un pasteur et un rabbin pouvaient-ils si bien s'entendre ? Se demandaient-ils. Ce jour-là, le pasteur dit à son rabbin d'ami : « J'ai découvert un truc pour manger gratuitement ». « Donne-moi ton secret », répond le rabbin, très intéressé.
« Je vais au restaurant, assez tard, et je commande deux entrées, un plat, du fromage, un dessert et puis je prends mon temps en dégustant un café, un cognac et un cigare et j'attends la fermeture. Comme je ne bouge pas, et que toutes les autres chaises sont déjà rangées sur les tables, le garçon vient me voir pour encaisser. Alors je lui réponds quelque peu outré : "Mais j'ai déjà payé à votre collègue qui est parti !" Et le tour est joué ! », conclut le pasteur. Très astucieux, répondit le rabbin.
Essayons tout à l'heure après notre promenade. Si tôt dit, si tôt fait, les deux compères vont au restaurant et tout se passe comme prévu. Au moment de la fermeture, le garçon demande s'il peut encaisser et le pasteur lui répond : « Désolé, mais on a déjà payé à votre collègue qui est parti ». Et le rabbin d'ajouter : « Et d'ailleurs, nous attendons toujours notre monnaie... ».
Cette histoire n'est évidemment pas très morale mais n'en a-t-il pas été de même avec les disciples d'Emmaüs ? L'évangile nous dit « qu'à l'instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem ». Rien n'est dit sur le payement de la note. Ils ne sont pas non plus accusés d'un délit de grivèlerie. Ils semblent en tout cas ne pas s'embarrasser de telles contingences matérielles vu ce qu'ils viennent de vivre. Nous sommes face à une sorte de Happy End alors que tout avait si mal commencé. Reprenons la trame de ce récit.
Ils ont quitté la ville sainte. Ils ne comprennent pas ce qu'il leur est arrivé. Il y a chez eux de l'incrédulité, de la tristesse, de l'aveuglement. Ils sont aussi bouleversés, reconnaissent-ils. Ils sont là, marchant sur la route de leur vie avec tant de questions restées sans réponse. Ils s'en retournent d'où il venait. Comme si ces moments passés avec Jésus n'avaient été qu'une boucle, une parenthèse dans leur vie.
D'une certaine manière, ils ont vécu le chemin de l'odyssée et reviennent à un point de départ. Et c'est à ce moment précis que le Christ se manifeste. Il ne veut pas que nos vies soient des odyssées, mais plutôt un exode permanent vers une terre de promesses dont nous sommes les artisans. Pour ce faire, il vient marcher à nos côtés.
Tout comme les disciples d'Emmaüs, il nous prend tels que nous sommes, là où nous en sommes sur notre chemin de vie. Il accepte nos interrogations, nos incompréhensions face à ce que nous sommes en train de vivre. Il ne craint pas nos colères mais les accueille car elles font pleinement partie de ce que nous sommes occupés à traverser. Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs ?
Lorsque nous sommes touchés par la douleur de la séparation, par la maladie qui vient s'inscrire dans notre histoire alors que nous n'avions rien demandé, nous nous sentons souvent bien seuls au plus profond de notre solitude. Il y a tant d'interrogations qui restent sans réponse.
L'injustice nous frappe et cela nous semble tellement insensé. Oui, tout cela est injuste et dire que ce serait pire encore si c'était juste parce que cela voudrait dire que c'était mérité. Ce serait une juste punition pour la vie vécue. Espérons que de telles idées soient loin de nous. Et nous restons là avec notre propre souffrance, même si nous nous sentons soutenus par tant de gestes de tendresse et d'amitié.
Au fond de nous, le voile de notre temple intérieur s'est déchiré. Il y fait mal et les larmes existent pour nous permettre de retrouver une certaine paix intérieure. Ne craignons pas nos émotions. Acceptons-les, vivons-les parce que c'est à ce moment très précis que le Christ vient nous prendre par la main au travers de celles et ceux qui se sont faits proches de nous. Il est à nos côtés et entend nos interrogations. Il porte toute notre fragilité sur ses épaules tout en marchant avec nous. Il nous invite à venir déposer en lui, dans le champ de notre méditation intérieure, tout ce qui nous dépasse afin de nous permettre d'entrer plus profondément encore dans le mystère de la Vie.
Tournons-nous vers lui et surtout ne craignons pas de lui partager tout ce qui nous habite. Il accepte nos émotions quelles qu'elles soient : colère, tristesse, amertume, incompréhension. Dieu prend tout avec lui et cherche à nous alléger en choisissant de marcher à nos côtés. Il n'est pas qu'au-dedans de nous sur la route de la Vie mais également autour de nous. Que cette confiance et cette espérance nous désaveuglent pour que nous puissions percevoir toute la richesse de sa divinité au cœur même de notre humanité. Amen