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© Camer.be : Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
- 19 Feb 2023 17:07:43
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FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 19 FEVRIER 2023 Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
Textes : Lévitique 19, 1-2, 17 et 18 ; 1 Corinthiens 3, 16-23 ; Matthieu 5, 38-48
Quelle ressemblance : le même sourire, les mêmes gestes, la même façon de parler… C’est tout à fait lui ! Quelle ressemblance ! En voyant le fils, on reconnait le père ! I Joie, fierté ou fardeau ? Il n’est sans doute pas toujours facile de porter avec soi une ressemblance qui parle de notre famille et voici que Jésus nous dit : « Soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ». Jésus nous invite à nous comporter comme les enfants de Dieu, à ressembler à notre Père dans les cieux ! A laisser transparaître dans notre manière d’être et d’agir que nous appartenons à sa famille ! Quel défi, chères sœurs et frères !
Vraiment, frères et sœurs, j’ai parfois l’impression que Jésus-Christ ne se rend pas compte. Vous voyez ce qu’il nous demande : de tendre la joue gauche, de laisser tout à celui qui nous vole et soutenir notre ennemi préféré. Ce n’est pas comme cela qu’on se fera respecter. Car oui, frères et sœurs, nous ne sommes pas dans un pensionnat du dix-neuvième siècle où on apprenait aux jeunes filles de bonne famille à être douces et soumises, obéissantes et réservées.
Il faut se battre dans ce monde-ci et ne pas se laisser faire. Autrement, on devient un sujet de plaisanteries et on abuse de notre patience, de notre gentillesse. Il faut pouvoir imposer des limites à tout notre entourage. Nous ne sommes pas de petites brebis qu’on pourrait tondre sans résistance.
Et pourtant, c’est ce que nous faisons tous les jours, nous taire, baisser la tête et attendre que l’orage passe, ou même faire le contraire de ce qu’on aime. Regardez ces maris doux et obéissants qui accompagnent leur épouse dans les magasins. Regardez les femmes qui supportent les caprices de leur mari et ne parlons pas de la patience des parents à l’égard de leurs enfants !
Il faut toujours lâcher du lest et faire des concessions. Mais de concession en concession on a l’impression d’être comme un citron pressé et d’être vidé de toute notre personnalité. On voudrait se révolter, mais qu’est-ce qu’on y gagnerait ? La guerre ? Et puis, même, il n’est même pas sûr que l’autre, le conjoint ou l’enfant, comprendrait la raison de toute cette colère, de cette amertume accumulée.
Et c’est là sans doute la grande tragédie qui nous guette : c’est de petit à petit avoir le sentiment de tout abandonner pour ne rien y gagner, sauf une paix stérile et desséchante : la paix des cimetières.
Mais est-ce là vraiment, ce que Dieu attend de nous ? Est-ce là vraiment, le fruit de la résurrection ? Ne serait-ce pas plutôt une façon nouvelle de regarder notre vie et surtout notre envie de bonheur ?
Bien-aimés dans le Seigneur,
Souvent, lors de la préparation de fiancés à leur mariage, beaucoup d’entre eux disent qu’ils souhaitent se marier à l’église car ils se retrouvent dans les valeurs chrétiennes. Se pose alors la question de savoir ce qui fait la spécificité d’une valeur chrétienne. En effet, avant le Christ, les êtres humains partageaient déjà entre eux un ensemble de valeurs humaines et elles n’étaient encore en rien chrétiennes puisque le Christ ne s’était pas incarné en notre humanité. Certains iront peut-être même jusqu’à dire que l’Église s’est, au cours des siècles, appropriée ces valeurs humaines et les a christianisées, c’est-à-dire qu’elle va les expliquer uniquement à partir de la Vie du Christ. Toutefois, avec l’avènement du Christ, de nouvelles valeurs sont également apparues et il faut reconnaître qu’au fil des siècles, elles vont être acceptées et intégrées dans de nombreuses sociétés civiles. Chrétiens et personnes appartenant à d’autres religions ou philosophies partagent ces valeurs et ne se posent même plus la question de leur origine.
Il y a donc lieu de reconnaître, qu’avec tous nos frères et sœurs en humanité, nous partageons un ensemble de valeurs communes. Alors, sommes-nous en droit de nous demander, surtout après avoir entendu l’évangile de ce jour : mais qu’est-ce qui rend ces valeurs humaines également chrétiennes ? La théologienne dominicaine française Véronique Margron nous donne cette très belle définition : « la valeur chrétienne est une valeur humaine en excès ».
Ou pour le dire autrement : la valeur chrétienne est une valeur qui se surabonde. Ce qui fait donc la spécificité de la valeur chrétienne est l’intensité que nous lui accordons. Elle semble avoir un goût d’excessif. N’est-ce d’ailleurs pas ce que le Christ vient de dire à ses disciples : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui ». En ce sens, nous partageons un ensemble de valeurs communes avec tous nos frères et sœurs de bonne volonté mais lorsque nous choisissons de vivre ces dernières jusqu’au bout, à l’excès, elles nous offrent une saveur divine.
Cela ne signifie pas pour autant que nous sommes appelés à devenir de grands naïfs face à la Vie. Loin s’en faut. Vivre ces valeurs de manière surabondante nous demande à la fois de la patience et de la générosité. Je m’explique. Prenons d’abord l’exemple de « tendre l’autre joue ». Lorsque j’intervenais comme enseignant dans une faculté, une étudiante me dit un jour en présentant son examen : « dans cet exemple de Jésus, il n’est pas fait mention de la notion du temps. Or cette dernière est fondamentale.
Le disciple du Christ se doit d’être patient. Il a été frappé sur la joue droite. Il a reçu la gifle insultante, la gifle méprisante donnée avec le revers de la main. Il lui faut maintenant prendre le temps nécessaire pour ne pas répondre immédiatement à cette violence par un autre acte violent mais plutôt prendre le temps de chercher à rétablir la relation, à chercher à comprendre le geste, voire peut-être à le pardonner pour qu’au moment où il tendra son autre joue, celui qui l’avait frappé ne le frappera pas à nouveau mais lui offrira la douceur d’une caresse car lui-même aura pris conscience de l’ampleur de son geste et souhaitera rétablir une relation empreinte d’harmonie et de respect mutuel ».
La patience est donc la première qualité requise pour vivre les valeurs chrétiennes. Vient ensuite la générosité puisque la vie en Christ s’inscrit toujours dans l’amour. Et comme nous le savons, l’amour peut nous donner des ailes. Par définition, l’amour jamais ne se divise. Vous n’avez pas moins aimé votre premier enfant lorsque le deuxième est arrivé. L’amour, par essence, a pour vocation de se multiplier. Plus nous en offrons, plus nous avons en nous des ressources nouvelles qui nous permettent d’en donner encore plus. Les valeurs qui s’enracinent et se réalisent dans l’amour ont donc comme conséquence naturelle de se multiplier à souhait. Patience et générosité sont donc les qualités intrinsèques nécessaires de toute valeur chrétienne qui se vit dans cette volonté d’être toujours surabondante à l’image de l’amour de Dieu pour chacune et chacun d’entre nous. Amen.